Chapitre 8

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Nayala s'était mise à un poste de travail vide, derrière une longue table en pierres, derrière laquelle s'affairaient déjà deux femmes et un homme. Ils avaient tous un tissu de tête similaire au sien, grisâtre et détendue. Nora avait dû se faire avoir grâce à cela et c'était pour le mieux.

La nouvelle arrivante regardait ses collègues préparer un appareil rosée qui lui rappela instinctivement son enfance. La pâte servait à confectionner un met raffiné en forme de boule, à la texture pâteuse mais délicieuse, d'après ses souvenirs. Son goût à la fois citronné, fruité, ainsi que légèrement acidulé, provenait de la fleur de bégonia, dont on avait oté les pétales pour les ajouter au mélange.

Enfant, elle en avait reçu de la part d'un jeune garçon d'à peu près son âge, qui devait avoir eu pitié de la voir mendier. Il avait déjà croqué un morceau mais cela n'avait pas empêché Nayala d'engloutir le reste quand il le lui avait discrètement donné.

Elle avait gardé le silence pour n'alarmer aucun des adultes qui l'accompagnaient et profitait ainsi de la compassion du gamin. Ce fut l'unique acte de gentillesse auquel elle eu le droit pendant ses jeunes années.

Il n'avait pas eu l'air apeuré et, dans son souvenir, lui avait même souri timidement avant de rejoindre son groupe. Nayala ne se rappelait pas réellement de son visage mais de sa propre réaction.

Elle avait pleuré. Même si le geste découlait sûrement d'un élan de charité, elle avait été si reconnaissante que la gamine qu'elle était avait espéré le revoir pour le remercier, mais il n'était jamais réapparu.

Nayala n'avait jamais pu y goûter à nouveau, même après en avoir parlé à Yélé. Il lui avait expliqué que la fleur de bégonia se trouvait parmi les plantes cultivées uniquement pour le Palais, et que le peu qui en était vendu à l'extérieur s'avéraient être extrêmement coûteux.

S'installant à bonne distance des autres, elle les observa travailler du coin de l'œil afin d'essayer de reproduire la recette. Si Nayala avait un talent pour les préparations de remède, il n'en était pas de même avec la cuisine traditionnelle dont elle savait uniquement les bases les plus rudimentaires.

C'est quand la jeune femme eut raté sa pâte, au grand dam de sa voisine qui, face à la catastrophe irréparable, lui râlait dessus en levant ses petits yeux bleus au ciel, que Nayala comprit que tout ne serait pas aussi simple. Sa collègue à la voix rocailleuse lui expliqua l'importance de ne pas gaspiller et de rester concentrée, puis jeta la pâte dans une corbeille posée au sol.

Nayala choisit la même explication que précédemment, afin de tenter d'excuser ses lacunes. Elle prétendit être nouvelle et n'avoir pas eu le choix de venir en cuisine alors qu'elle n'y connaissait rien. Une partie de vérité dissimulée dans un mensonge, qui ne plut pas à l'homme que Nayala avait aperçu plus tôt.

- C'est toujours à nous qu'on les refile ! dit-il.

- Ce n'est pas de sa faute... dit sa voisine d'en face d'une voix timide, à peine audible.

- Fais pas attention à Lonir, il est toujours grincheux ! railla celle qui lui avait parlé plus tôt.

L'intéressé grogna en signe de réponse et retourna à son travail :

- Je suis Kalhi et elle c'est Monia, reprit la plus douce du trio.

- Et avant que tu nous le fasses remarquer, oui on se ressemble, c'est ma grande sœur, continua la plus rude des deux.

Et effectivement, la ressemblance était frappante ! Peau blanche, cheveux noirs coiffés en chignons, lèvres fines et pâles puis un nez légèrement retroussé. La seule différence visible était le grain de beauté qu'avait la benjamine en dessous d'un de ses yeux.

Nayala ne savait que penser de ses personnes mais se montra aimable, elle se présenta à son tour timidement :

- Je suis Naya, enchantée... Et désolé pour la pâte, j'ai essayé de faire comme toi, je ne sais pas où ça a loupé !

Monia, qui était la plus jeune des deux, lui apprit la recette. Elle prit le temps de faire étape par étape avec Nayala, qui regarda attentivement, non sans avoir envie de croquer un bout de pâte.

La petite boule d'où s'échappait une odeur exquise l'appelait, lui intimant l'ordre de la manger avant qu'un autre ne le fasse. Elle se rappela n'avoir rien avalé la veille, ni au début des heures éclairées, tant le stress l'avait gagnée après la visite de l'homme masqué.

Son ventre choisit ce moment précis pour émettre un grondement tellement puissant qu'il lui sembla que tout le Palais l'avait entendu. Ses trois collègues éclatèrent de rire à l'unisson, pendant qu'elle tirait sur le devant de son turban, trop gênée pour se joindre à eux :

- Woah ! Je n'ai jamais entendu un truc pareil ! s'exclama Monia, la larme à l'œil.

- Faut manger le matin ! renchérit Lonir, qui peinait à s'arrêter de rire.

- Je n'ai pas eu le temps...

Kalhi jeta un regard vers le reste de la cuisine, puis vers ses deux collègues qui avaient acquiescé en silence, avant de répondre en chuchotant :

- Normalement c'est interdit mais prends-en un, les premiers jours sont toujours les plus stressants. Nous non plus, à notre arrivée, on ne mangeait pas beaucoup... ajouta-t-elle en regardant tristement sa sœur.

- Mais ce n'est pas une habitude à prendre, il te faudra des forces si tu veux tenir, d'accord ? Ajouta-t-elle.

Nayala hocha la tête avant d'engloutir discrètement le met en une bouchée. La pâte gluante mais sucrée puis le coulis acidulé fondaient sur sa langue dans une symbiose des plus délicieuse. Le texture onctueuse laissait place au goût rafraîchissant de la fleur qui arrivait à son apogée en fin de dégustation. Il était encore meilleur que dans son souvenir. Elle n'avait qu'une envie, se lécher les doigts pour ne rien perdre, mais elle n'en fit rien.

Une fois leurs tâches accomplies, après plusieurs heures de travail, elle suivit Lonir, homme de taille moyenne au corps carré, Kalhi et Monia jusqu'à l'intérieur d'une grande salle qui était, d'après l'annotation gravée sur la porte, le réfectoire.

On lui expliqua qu'on pouvait y prendre trois repas pendant les heures éclairées, à n'importe quels moments, mais qu’il fallait se montrer malin afin de manger avant de se retrouver submergé de travail.

Cela valait surtout pour le midi, car peu de temps avant que les étoiles ne s'éteignent les Éminents ne demandaient en général pas grand-chose, et la plupart d'entre eux allaient se coucher tôt.

Ils étaient dans le premier tiers de la file quand ses yeux orangés s'étaient mis à chercher Nora à travers le tissu. Quitte à être ici, autant se faire des alliées, et la jeune femme lui avait paru sympathique, même si elle était partie précipitamment.

Nayala avait dû la mettre en retard en lui faisant faire un détour jusqu'aux cuisines, elle ne pouvait lui en vouloir. Tous les autres Servants semblaient en permanence aussi pressés que la petite femme aux cheveux courts. Ce n'est qu'en entrant qu'elle trouva son visage rond à une table déjà bondée.

Une fois servie d'une étrange bouillie verdâtre garnie de fleurs desséchées, Nayala alla s’asseoir avec ses collègues de cuisine sur une table à demi-remplie. La salle pouvait contenir bon nombre de personnes, qui s'agglutinaient le plus serré possible, aux longues tables, dans un vacarme similaire à leurs zones de travail.

Nayala fit un signe de la main à Nora, qui ne prit pas pris la peine de lui répondre, même si visiblement elle l'avait vu. Pire encore, elle baissa la tête, le nez en direction de son assiette comme si elle avait honte.

Ou bien était-elle véritablement fâchée de ce qui s'était passé quelques heures plus tôt ?

- Tu connais Nora ? lui demanda Monia étonnée.

Nayala détourna les yeux afin de répondre à la jeune femme qui était à sa gauche :

- Pas vraiment, mais elle m'a aidé ce matin quand j'étais perdue et c'est aussi elle qui m'a amené jusqu'aux cuisines...

- Pas la peine d'être aussi déçue, dis-toi qu'en publique elle ne t'adressera jamais la parole sauf pour te donner des ordres, répondit sèchement Lonir.

Nayala n'aimait pas attirer l'attention et encore moins les regards, mais elle pensait trouver en Nora une potentielle alliée, même s’il était trop tôt pour savoir si la jeune femme pourrait la mener inconsciemment vers son objectif final.

Pourtant, ce n'était pas cela qui lui laissait une sensation désagréable dans la poitrine, elle se sentait de nouveau rejetée. Un sentiment qu'elle n'avait pas oublié mais, étant cachée depuis si longtemps, Nayala n'avait pas eu à y faire face.

Elle tira machinalement sur son tissu de tête qui recouvrait le haut de son visage. Kalhi essaya de la consoler :

- N'en veux pas à Nora... Elle a été promue à la section livraison après avoir travaillé d'arrache-pied, ce qui a fait d'elle une Responsable Servante, c'est très rare pour les femmes ! Alors que nous, nous sommes simplement cuisiniers…

C'était la plus calme des deux sœurs, toujours à l'écoute, patiente. Elle parlait sans jamais élever la voix. Elle semblait trouver du bon en chacun. Sa sœur, plus impétueuse, ajouta violement:

- Évidement ! Parce que nourrir ces messieurs dames d'en haut est simple peut-être ? Je ne vaux certainement pas moins qu'elle !

- Je sais Monia, dit sa sœur pour tenter de la calmer après que plusieurs personnes se soient retournées dans leur direction, je dis juste qu'elle a ses raisons.

- Des raisons claires et précises qui lui font oublier ses anciens amis ! insista la benjamine.

Kalhi regardait aux alentours, visiblement gênée d'attirer autant l'attention. Sentiment partagé par Nayala qui se sentait mal à l'aise :

- Parle moins fort, lui supplia Kalhi.

- Je dis juste qu'elle nous a facilement remplacés par ses nouveaux amis Responsables, alors qu'elle ne les aimait pas avant, reprit Monia d'une voix plus basse, tu me comprends Naya ?

A vrai dire, oui. Nayala comprenait qu'elle puisse se sentir rejetée, voir trahie. Voulant adoucir la discussion, elle ajouta sur un ton neutre :

- Je ne la connais que depuis ce matin, mais vu qu'elle m'a apporté son aide, je pense qu'elle mérite que je ne la juge pas trop vite... A notre prochaine rencontre, je lui demanderai ses raisons...

- Si tu l'as recroises un jour, intervint Lonir, il y a beaucoup de monde pour encore plus de travail et nous ne sommes pas là pour régler des chamailleries de ce genre, chacun sait ce qu'il doit faire.

Cette déclaration lui fit l'effet d'une claque : “chacun sait ce qu'il doit faire". Sa priorité n'était certainement pas de demander des explications à une femme qu'elle venait de rencontrer. Encore moins de chercher l'amitié. Trouver l'accès au dernier étage, c'est sur cela qu'elle devait se concentrer.

Elle venait de passer ses premières heures éclairées à l'intérieur du palais et Nayala se dispersait déjà, en oubliant la raison de sa venue.

Une révélation s'était faite à elle, aussi amère que déplaisante. Yélé n'avait pas vraiment eu tort quand il lui avait dit qu'elle avait besoin d'amis de son âge, ceci en était la preuve. Nayala ne supportait pas qu'on l'ignore et encore moins qu'elle puisse se sentir seule entourée de tant de gens. Elle se retrouvait blessée par le comportement d'une parfaite inconnue qui la snobait volontairement :

- Ce n'est pas ma priorité, se répéta-t-elle.

Elle tentait d'enfouir le plus profondément possible espoir et déception, afin de se re-concentrer sur la seule raison de sa présence ici. Malgré l'urgence que lui imposait le délai, elle en était arrivée à la conclusion qu'une bonne dose de repos ne lui ferait pas de mal, après ses quelques heures pleine de péripéties.

Le stress s'empara à nouveau de Nayala quand elle remarqua un point crucial, auquel elle n'avait pas prêté attention jusqu'à maintenant... Où allait-elle dormir ?

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