Dernier jour sur terre

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J'ai reçu la lettre il y a 48 heures. Je ne pensais pas la recevoir si tôt. Elle devait bien arriver un jour. Cent trente ans que je suis née, cela ne pouvait pas durer. Ma mère, elle n'a pas eu cette chance, elle a reçu sa mise à mort lorsqu'elle n'avait que 52 ans. C'est la faucheuse qui l'a enlevée, elle travaille à l'ancienne. Elle ne regarde pas vraiment qui elle emporte, elle prend au hasard, au gré des maladies et des accidents. Avec les avancées de la science, son action se fait rare. Alors, pour réguler la population, c'est A qui prend le relais. Au début, beaucoup ignorait comment il fonctionnait. Aujourd'hui, tout le monde sait que lorsque notre temps vient, c'est qu'on n'a pas réussi à se rendre indispensable. C'est comme ça que fonctionne l'algorithme des derniers jours. Pourtant, voilà plus de 20 ans que j'ai pris ma retraite. Je pensais recevoir mon billet pour l'au-delà bien plus tôt. À croire que la machine est cassé. Bref, me voilà.

Quand j'ai ouvert la boîte aux lettres et que j'ai vu la petite enveloppe dorée, j'ai su que j'allais bientôt devoir laisser ma place. J'ai plutôt bien vécu. J'ai vieilli moins vite que la plupart de mes amis, j'en ai vu naître, puis mourir. Les membres de ma famille ont tous été emportés par la faucheuse.

Il est 8h30, je m'installe sur la terrasse avec ma dernière tasse de café. Je n'en ai pas bu depuis si longtemps. Rien que ça pourrait me tuer. Assise au fond de mon relax, je contemple le jardin que je vais laisser derrière moi, le magnifique saule pleureur qui me rappelle tant mes enfants que j'ai perdus il y a si longtemps. Demain, ma maison sera déjà redistribuée. Les meubles resteront là, ainsi que tout ce qui a constitué ma vie. Puis petit à petit, les nouveaux occupants les remplaceront par leurs affaires. Puisque je suis la dernière et que mes enfants n'ont pas eu d'enfants, demain, personne ne me pleurera, personne n'entamera de deuil. Mourir si tard a au moins cet aspect positif, personne ne souffrira.

J'espère qu'ils garderont les livres. Il y en a suffisamment pour lire toute une vie. Je suis presque sûre que je pourrais en trouver encore que je n'ai pas lus. J'en ai tellement acheté dans ma jeunesse. C'était devenu maladif, je ne pouvais pas m'en empêcher. J'en achetais trois, je n'en lisais qu'un. Si je pouvais les rencontrer pour leur demander de prendre soin de la maison après mon départ, mais c'est interdit par la loi, aucun contact avec les nouveaux occupants. Ça pourrait les bouleverser, ils pourraient ne pas vouloir s'installer dans la maison et ma mort serait alors vaine.

Je vais faire un peu de ménage avant de partir, je ne voudrais pas qu'ils pensent qu'une personne peu soignée vivait ici. Après, j'irai au cinéma. Il y en a un pas mal en ce moment. C'est l'histoire d'une femme qui va faire un vœu qui pourrait changer le destin de la planète. C'est une histoire d'amour évidemment. Ensuite, je rentrerai à la maison, puis je choisirai un livre au hasard, je lirai jusqu'à m'endormir et ce sera la fin.

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