Le cas P.V.P

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 8:00am : c'est l'heure à laquelle se lève chaque jour le professeur Lindbergh. Malgré son vénérable âge de 68 ans, cet homme grand mais assez fin reste dans une forme olympienne et garde un esprit vivace.

 Comme chaque matin, il descend de son lit douillet pour se diriger vers sa garde-robe. Sculpté dans l'essence noble qu'est l'acajou et agrémenté de dorures diverses, c'est un des biens les plus précieux du professeur. Il l'observe une minute, comme à chaque réveil, et parcourt de ses yeux bruns noisettes les nervures du bois. Il saisit soudain les poignées pour l'ouvrir et se retrouver face à une lignée de tenues toutes similaires. Il se saisit de la première chemise blanche en lin qui lui tombe sous la main, l'enfile rapidement et la boutonne tout aussi vite. Sur le même ceintre, il attrape un pantalon en velours brun légèrement troué au niveau des jambes et saute dedans. La ceinture y étant déjà présente, il n'a plus qu'à la boucler et refermer aussitôt son armoire. Il se déplace alors vers le lavabo nâcré juste à côté. Il se regarde dans le miroir. Il actionne le robinet de laiton pour verser de l'eau dans ses mains frêles et se les passer sur le visage ainsi que dans sa crinière grisonnante.

 L'étape suivante de son quotidien consiste à prendre une veste de laboratoire suspendue au crochet le plus proche de la porte. Il se baisse aussi pour se saisir de pantoufles grises et les enfiler d'un mouvement sec des pieds. Avant de sortir par l'accès déjà à portée de main, il attrape pas loin un joli chapeau haut de forme feutré noir. Il y a des années de cela, il l'a agrémenté d'une paire de goggles en cuivre avec des verres fumés ainsi que de diverses pièces de récupération : engrenages, clefs, plaques en aciers, clous... C'est ainsi que Lindbergh déboule chaque matinée à 8:05am dans son atelier en sortant du petit cagibi lui servant de chambre.

 Ce lieu est un concentré de son passé, une vitrine de son présent et un espoir pour son futur. Les ampoules éclairent la pièce de leurs filaments dorés, rouges, verts et même bleutés. Sur les murs, on peut observer des schémas complets dessinés au fusain : dirigeables, avions à moteur, automates et véhicules à roues. Sur chaque table en fer noir qui peuple son sanctuaire, on peut retrouver en vrac mappemondes, maquettes en bois, outils de bricolages, béchers, éprouvettes et surtout des taches d'huile de tailles variées.

 Le professeur passe à travers tous ces obstacles pour se rendre à l'établi principal. C'est une station de travail énorme où plusieurs oscilloscopes et baromètres cliquettent et sonnent à intervale régulier. Il y réside une bien étrange création, qui occupe l'inventeur depuis plus de dix longues années : le propulseur à vapeur portatif ( ou P.V.P ). Ayant travaillé dans un chantier aéro-naval auparavant, il s'est mis en tête de créer une machine qui permettrait à n'importe qui de voler quand il veut ; sans dépendre des autres moyens de transport. Le produit est pratiquement fini, il le sait. Il ne manque plus qu'à intégrer une cellule à vapeur au système pour qu'il puisse être alimenté, ainsi qu'un moyen de refroidissement. Lindbergh se met à penser tout haut :

  - J'y suis presque ! Si seulement cette satanée cellule pouvait rester stable. J'ai tout essayé pour la refroidir : air, eau, azote... Rien n'y fait !

Il sort une paire de binocles en chêne de sa poche droite et la pose sur son nez. Il redresse la machine haute de 80cm grâce aux deux réservoirs dorsaux en cuivre. Par précaution, il évite d'abimer l'hélice principale, vérifie le serrage des différents écrous et boulons ainsi que les bretelles de fixation.

 C'est alors que quelqu'un frappe à la porte de l'atelier. Le savant sursaute et accourt vers cette dernière en faisant voler une pile de documents qui se répandent au sol. Il enlève la chaînette de la porte en fer et l'ouvre précipitamment. Il se concentre sur l'exterieur en regardant partout pendant quinze secondes sans trouver rien ni personne. Frustré, il fait demi-tour en fermant violemment la porte. Il retourne à son poste principal en traînant des pieds. En arrivant devant, il s'immobilise net. Quelques gouttes de sueur perlent sur son front ridé. Il s'écroule subitement à genoux et lance un cri déchirant de désespoir. Des larmes se mettent à couler le long de ses joues. Un flot inarrêtable de tristesse et de chagrin. Oui, 3650 jours de vie viennent de disparaître en moins d'une minute. Le P.V.P n'est plus présent, volé par un inconnu.

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