¡ Barjo !
Grand Brun regarda sa montre.
19h. Heure d’été. Rouen.
Son rendez-vous ne devrait plus tarder.
Adossé contre le mur, cigarette fumante dégainée dans la main droite, jambe gauche délicatement fléchie contre la paroi, il observait la foule qui inondait la terrasse du bar. Aux aguets, il paraissait incognito dans son soyeux smoking en alpaga et ses Ray-Ban impénétrables. Une première personne le frôla, puis une autre. Il trépigna d’impatience, jeta un nouveau un coup d’œil à sa montre.
19h01.
Putain, qu’est-ce qu’il fout ? Il en met du temps !
Nouvelle bouffée de nicotine.
Et soudain, à la dissipation de l’écran de fumée, surgit une silhouette trapue, qui s’achemina vers lui.
A la vue de l’individu, il n’eut plus de doute. C’était bien son rendez-vous.
Crâne Rasé. Lui aussi en Ray-Ban impénétrables, mais vêtu d’une chemise courte blanche. Immaculée.
Crâne Rasé s’adossa contre le mur, indifférent à Grand Brun, le regard braqué sur la foule. Grand Brun suivit son point de vue et s’interrogea : qu’observait-il exactement ?
La sulfureuse et sensuelle blonde drapée dans son exquise robe d’été écarlate qui moulait ses formes généreuses ?
Ou face à elle sa copine brune ventripotente et boutonneuse, au sourire édenté, embellie de lunettes à écaille de tortue, avec un œil de verre, un pied-bot et une jambe de bois?
A moins que ça ne soit cette bande de rastaquouères à l’allure de Bob Marley, qui consommaient sans modération des pétards à tire-larigot en écoutant à plein volume du reggaeton ?
Ou ce gentil couple d’homosexuels, s’observant langoureusement main dans la main ?
Grand Brun les examina plus attentivement.
S’agirait-il de l’efféminé quinquagénaire botoxé aux lunettes fantaisistes, aux bracelets et rubans frou-frous pittoresques sur chacun de ses bras ?
Ou de l’autre maousse à la coupe iroquois et à l’apparence gothique, assorti d'une barbe couleur Barbapapa, aux bras musclés et tatoués, tels des cartographies d’infinis symboles ésotériques, et aux oreilles et narines capables d’accueillir une myriade d’anneaux de toutes les tailles, de toutes les couleurs, ponctués de jolies touches de mucus ?
Grand Brun soupira, peu convaincu par cette hypothèse. Crâne Rasé lui, restait impassible.
Observerait-il alors cette sympathique famille nombreuse, avec la mère et ses jeunes filles voilées de la tête aux pieds, dont le plus âgé avait crevé de son couteau de dix-huit centimètres le ballon de football avec lequel il jouait avec ses frères et sœurs – sans doute car il n’avait pas supporté de perdre, Grand Brun comprenait tout à fait cette décision : il en aurait fait autant – , et dont le plus jeune, en l’occurrence le douzième, était confortablement installé dans sa poussette, et agitait avec jubilation, en braillant à pleins poumons, un petit drapeau Palestinien marqué du slogan « Fuck Israel, Vive Palestine ! » ?
Grand Brun sourit.
Il enviait tellement cette famille !
Elle était tellement représentative de la France !
Mais trêve de digressions.
Grand Brun revint à sa mission.
Après une nouvelle bouffée de tabac, il se pencha vers Crâne Rasé, toujours aussi immobile et figé comme une statue, et lui murmura à l’oreille :
– Comment est votre barquette ?
Tel un automate dans Terminator, Crâne Rasé tourna lentement la tête de quarante-cinq degrés, et dévisagea longuement Grand Brun, placide, les sourcils froncés.
– Pardon ?
– Comment est votre barquette ?
– Comment est votre quoi ? Ah d'accord j'ai compris, mon Dieu…
Soudain Crâne Rasé réalisa et blasé, plaqua sa main contre son front, avant de poursuivre :
– Non, ce n'est pas ça le code.
– Ah. Comment est votre baguette alors ?
– Non, toujours pas : dernière chance.
– Comment est votre braguette ?
– Putain mec, on s’était mis d'accord : c'est la réplique d'OSS 117 !
– OSS 117 ? C'est quoi ce numéro ?
– Mais OSS 117 voyons !
– Connais pas : à part 118 218, 118 712, ou encore 36 15, le code du Père Noël, tu sais, moi et les chiffres, ça fait deux…
Crâne Rasé, hébété, le regard de travers, observa son interlocuteur. Ce n’était pas possible, ça ne devait pas être lui son rendez-vous : être con à ce point-là !
– T'as un grain toi…
– Ah oui, t'as remarqué aussi, sur la joue gauche, je ne sais pas d’où il vient ce grain de beauté…
– Mais non, putain, c'est une image, une expression, comme diraient les Inconnus.
– Les Inconnus ? Quel drôle de nom !
– Putain, non mais franchement arrête, t'es relou : t'as fumé la moquette ou quoi ce matin ?
– Comment t'as deviné ? J'ai pourtant fait en sorte d’arrêter très vite le feu dans ma chambre ce matin, en me levant…
– Punaise, t'es hors concours toi !
– Merci, j’apprécie ce compliment.
– Arrête, franchement arrête, fais une pause, et réfléchis : t'as forcément entendu parler des Inconnus, de Jean Dujardin ?
– Lequel ?
– Pardon ?
– Quel jardin ? Le Jardin des Plantes ?
– Mon Dieu (grand soupir) C'est bien toi Grand Brun, l’agent le plus cultivé du département ?
– A ce qu’on dit, oui : je connais très bien le réalisateur polonais Jean Neymaclack, copain de Sydney Pollack.
– Jean Neymaclack ? Mais c'est complètement un inconnu celui-là.
– Justement : toi tu connais Les Inconnus, et moi je connais des inconnus, chacun son tour, nah !
– Oh putain, je sens qu'on n'est pas sorti de l'auberge…Mais bon, reprenons à partir du code, dernière chance…
– Comment est votre raclette ?
Puis, comme si la fée Clochette lui avait brusquement jeté un sort, sa mauvaise humeur se volatilisa, et Crâne Rasé sourit, découvrant une rangée de dents bien alignées et d’un blanc aussi immaculé que sa chemise. Il retira alors fougueusement ses lunettes, et rétorqua sur un ton enjoué :
- Elle est bonne mon vieux ! Comment ça va ?
- J’en ai une bonne justement à te raconter, dit Grand Brun sur un ton sibyllin.
- Vas-y, je t’écoute, répliqua Crâne Rasé, reprenant son sérieux, ses Ray-Ban revenues sur son nez, l'oreille tendue.
- C’est l’histoire de quatre potes zikos, John, Paul, George et Ringo, qui sont sur un bateau…
- Pourquoi John, Paul, George et Ringo ?
- Je ne sais pas, je trouve que ça sonne bien comme noms.
- Ah ok, mais fais gaffe, faudra quand même demander au patron, on ne sait jamais : ce sont peut-être des noms que tu as vus sur nos prochaines listes d’exécutions, non ?
- Peut-être, peu importe, on s’en fout…
- Ah bah non, on ne peut pas s’en foutre : et si c’est confidentiel ?
- Putain, Cracra…Je peux t’appeler Cracra ?
- Bien sûr mon chou ! (Grand Brun le fixa en silence, sceptique) C’est une formule !
- Ah d’accord je préfère…
- Bah évidemment ! Tu te doutes bien que je ne suis pas péd…
- Euh oui, d’accord, mais, franchement, on s’en fout : ce n’est pas le plus important.
- Ah ok : mais c’est quoi alors le plus important ?
- Bah laisse-moi terminer, et tu sauras ce que c’est !
- Ah ok : je suis tout ouïe alors.
- C’est vrai ?
- Non (sourire)
- Mais pourtant tu viens de me dire oui !
- Non, j’ai dit que j’étais tout ouïe.
Pendant ce temps, le douzième gamin de la famille nombreuse continuait toujours de brailler avec son petit drapeau Palestinien, tandis que l’aîné venait de planter trente fois son couteau sur Barbapapa – l'un des homosexuels de la terrasse –, car il avait osé le regarder droit dans les yeux, sous le regard admiratif de sa mère, enceinte jusqu’aux dents, et qui beuglait des paroles incompréhensibles d'Aya Nakamura, le tout en dansant le twerk. Les deux jeunes femmes, la Blonde et la Brune, aux premières loges, applaudissaient des deux mains, persuadées qu’il s’agissait de la performance d’une tragédie antique.
- Donc, t’en avais une bonne ?
- Euh oui, pardon Cracra, j’ai été distrait…
- Distrait de quoi (regarda la scène) Ah ça ? Mais c’est banal, voyons. (revins vers Grand Brun) Bon, allez dépêche-toi : on n’a pas que ça à faire, on doit nettoyer la terrasse après.
- Ok, ok, ok : donc, c’est l’histoire de quatre zikos, John, Paul, George et Ringo…
- …Qui sont sur un bateau, oui, tu l’as déjà dit : et après ? Ils tombent dans l’eau ?
- Presque !
- Ah. Ok, je t’écoute.
- John et Paul tombent dans l’eau, George tombe aussi dans l’eau, et, attention…
- …Ringo tombe dans l’eau ?
- Oui ! Comment tu as deviné ?
Crâne Rasé dévisagea longuement Grand Brun, blasé.
- Je ne sais pas, l'intuition. Bon, allez, abrège putain, t’es relou, et après ?
- Ok, ok, ok : donc John, Paul, George et Ringo tombent dans l’eau : que reste-t-il ?
Crâne Rasé scruta longtemps Grand Brun, son sourcil droit plus relevé et broussailleux que celui de gauche.
- Bah personne, vu qu’ils sont tous tombés dans l’eau.
- Perdu !
Une table frôla leurs têtes et se fracassa contre le mur. « Baston ! A vos postes ! » cria un tenant du bar, le cigare fumant aux lèvres, une écharpe de munitions lui barrant son torse excessivement musclé, un véritable Sylvester Stallone.
- Allons bon, et c’est quoi alors ?
- Tu donnes ta langue au chat ?
Crâne Rasé grimaça. Grand Brun, prêt à dégainer son Sig Sauer dans la poche arrière de son pantalon, s’attendait à une réaction brutale de son interlocuteur, quand celui-ci éternua, une véritable bourrasque de morve. Grand Brun, interloqué, complètement décoiffé après l’éternuement de son collègue – par chance ce fut une passante qui reçut la tempête de morve en plein visage – jeta un œil à ses pieds.
Un mignon petit chat rayé roux et blanc ronronnant, à l’instar d’une tondeuse, se frottait contre son collègue.
Conquis, Grand Brun s’accroupit et s’apprêtait à la caresser, lorsqu’une giclée cinabre macula son visage.
Grand Brun rouvrit les yeux.
Le chat n’était plus.
Contrarié, il fusilla son camarade du regard et se releva.
- Désolé je suis allergique aux chats, répondit Crâne Rasé.
- Ah, ok. Juste, un instant…
Crâne Rusé fut subjugué. En un coup de mouchoir, Grand Brun fut propre comme un sou neuf.
- Ça va ?, rétorqua ce dernier.
- Hein ? Euh oui…Non rien…
- Ah ok, c’est marrant : on aurait dit que tu as vu la Vierge.
- Vous m’avez appelé ?
Grand Brun et Crâne Rasé pivotèrent, synchrones, vers la personne qui les avait interpelés, et demeurèrent bouche bée.
Il s’agissait de la Blonde.
Les deux compères n’en revenaient pas : punaise, si on leur avait dit qu’elle était vierge !
- Euh non, c’est gentil, ça ira, merci, répondit Crâne Rasé, qui s’était plus vite ressaisi que son partenaire.
- Ah bon, vous êtes sûrs ?, répondit la Blonde d’une voix sensuelle.
- Oui, oui…
- Pour lui, oui, après moi, en ce qui me concerne, ça dépend, on peut s’arranger… (grand sourire de Grand Brun) … C’est quoi ton nom ?
- Marie.
- C’est pas vrai, comme la Vierge ?
Crâne Rasé, lassé, se pinça quelque secondes l’arête du nez, puis ragaillardi, s’approcha de la Vierge Marie, et évita de justesse une nouvelle table qui éclata la fenêtre au-dessus de lui. « Ça va saigner ! » rétorqua le pseudo Sylvester Stallone. En réponse à l’attaque, des tirs de mitraillettes fusèrent des carreaux brisés, les balles transperçant comme une passoire la Mama enceinte – son gros cul à l’air à cause du twerk –, et criblant la poussette dans lequel se trouvait le porteur du drapeau Pro-Palestinien.
- Tu veux que je te montre une leçon ma belle ? continua Crâne Rasé sur un ton enjôleur, indifférent à la situation dégénérée qui l’environnait.
- Tout ce que tu veux mon Grand : ma copine filme en souvenir, continua Marie de sa voix séduisante.
Crâne Rasé releva la tête, perplexe : la Brune enregistrait effectivement la scène, l’air béat, mais à cloche-pied sur son pied-bot, sa jambe de bois servant de support pour son smartphone.
Grand Brun se renfrogna : c’était toujours pareil avec son acolyte, il ne pouvait s’empêcher de s’accaparer celles des autres.
Pourtant la surprise qu’il découvrit le laissa pantois.
La scène qui s’offrait à lui paraissait tellement idyllique.
Il en eût larme à l’œil.
Il ne manquait plus que Whitney Houston pour chanter I Will Always Love You en arrière-plan et il aurait été complètement ému.
D’un côté, la Vierge Marie, ses bras grands ouverts vers Crâne Rasé, les yeux fermés et ses lèvres vermeilles et pulpeuses tendues, prête à l'embrasser…
De l’autre Crâne Rasé, prêt à lui rendre son amour, sa main gauche sur ses gracieuses hanches, sa main droite tendue…
…Qui lui assena un violent coup du tranchant de la main sur la nuque.
Grand Brun se figea.
Pauvre Whitney Houston ! Elle n’avait même pas fini de chanter jusqu’au bout du refrain.
Puis il secoua la tête et se ressaisit.
Retour à la réalité.
La Blonde, éberluée, en eut le souffle coupé, et s’effondra aussitôt sur le pavé, le coup brisé.
Morte, donc.
- Fallait pas m’appeler « mon Grand », salope.
- Eh mais t’es pas bien, toi !
Crâne Rasé, tout en rajustant ses lunettes, tourna lentement la tête façon Arnold Schwarzenegger vers la voix qui l’avait interpelée.
C’était La Brune.
À la vitesse à laquelle elle avançait, Crâne Rasé ne se pressa pas à dégainer son arme, quand la tête de La Brune explosa.
Déconcerté, il fit volte-face, et découvrit le tireur.
- Je n’aime pas les Moches, répliqua Grand Brun, le canon de son arme fumant.
- Cool, ça nous fait un point commun…Bon alors, du coup, il reste qui ?
- Hein ?
- Sur le bateau !
- Ah oui !...Eh bien tu viens de le dire !
- Comment ça ?
- Eh bien il reste le bateau, vu que les quatre potes sont tous tombés à l’eau.
- Attends, tu rigoles…c’est ça ta chute ?
- Bah ouais !
- Mais c’est nul !
- Oh, t’as pas d’humour !
- Mais t’es chtarbé ! Tu m’as pris pour un con ou quoi ?
- Bah ouais !
Entretemps, à la suite d'un appel anonyme, un fourgon de la gendarmerie nationale la plus proche roulait à tombeau ouvert vers la scène de combat.
Mais au bout de deux minutes, le véhicule blindé dérapa et percuta le premier lampadaire venu.
Une fois évacués, les quatre gendarmes découvrirent avec stupeur que leurs quatre pneus ont été crevés de plusieurs coups de couteau.
Probablement un coup de l’extrême-droite, songea le plus naïf de la bande.
En l’occurrence le chef.
Le Capitaine Ducon-Lajoie.
Toutefois, la brigade ne se laissa pas désarçonné, et continua sa route à pied, au pas de charge.
Avant de disparaître cinq mètres plus loin.
Un large et profond cloaque non sécurisé avait oublié d'être refermé.
Probablement un autre piège des fachos.
Ça ne pouvait pas être un oubli de la Mairie, elle était tellement aux petits soins de sa ville, occupée par sa paperasse et ses travaux.
Le Mystère restera entier.
Ainsi, sans aucune aide possible des forces de l'ordre, les deux compères se turent, et tournèrent la tête.
Le silence était brusquement retombé sur la place, dorénavant éclairée d’une poussette enflammée, et jonchée d’une kyrielle de cadavres, ainsi que d’un boudin noir bien cuit – les restes de la Mama.
Pourtant, dans cet aberrant No-Man ’s-Land, un bras jaillit d’une pile pestilentielle de macchabées.
Grand Brun et Crâne Rasé, sous leurs yeux ébahis, découvrirent alors un des rastas rescapés de la fusillade, un pétard fumant au coin des lèvres, ses dreadlocks ensanglantées et brillant comme des guirlandes de Noël.
- Peace and Love mes frères, lança-t-il aux canons fumants des fusils à pompe positionnées aux fenêtres du bar. Juste Peace and Love.
Grand Brun et Crâne Rasé, toujours indemnes et détachés de l’ubuesque scène qui s’offrait à eux, virent le rasta fouiller sa veste (bien) déchiquetée.
Et aussitôt, tel un prestidigitateur, une petite et douce colombe se dégagea de sa main gauche, battant de ses fines ailes en direction des canons du bar.
Grand Brun et Crâne Rasé, émus jusqu’aux larmes, sourirent et applaudirent.
Quelle bonté ce rasta !
Ce dernier, alerté par les applaudissements, se tourna vers eux et leur rendit leur sourire.
- Peace and Love à vous aussi mes frères, je vous aime !
- Nous aussi on t’aime, rétorqua Crâne Rasé, et en plus on vient faire le ménage, c’est pas beau ça ?
Tout sourire, le rasta fit un signe « V » avec sa main gauche, et dévoila de sous son pan de veste (bien) élimé une Kalachnikov de sa main droite.
- Putain t’as le sens de la formule Cracra !
- Merci Grand Brun.
En quelques microsecondes, les deux compères dégainèrent leur Sig Sauer, le rasta dans leur ligne de mire.
Et soudain, le chaos reprit.
Le ballet des fusils à pompes et des mitraillettes du bar recommença, déchiquetant la moindre plume de la pauvre et innocente colombe, ainsi que le rasta restant, qui se trémoussait tel Tonton David sous une rafale de balles, lancés par les tireurs d’élite du bar, Grand Brun et Crâne Rasé.
Puis, au bout de deux minutes, le silence régna à nouveau.
À peine égratignés, Crâne Rasé et Grand Brun s’époussetèrent les bras.
- Eh bien on peut dire qu’on a échappé au désastre, lança Crâne Rasé d’un ton badin en direction de la montagne de cadavres, de la poussette – toujours enflammée –, et de la Mama dorénavant carbonisée – toujours sous la forme d’un gros boudin bien noir.
- Comme tu dis, il n’y a pas eu grand-chose.
- Pour revenir à ton histoire de bateau…
- Oui ?
- C’est franchement nul.
- Ah. Bon, bah au moins j’aurai essayé…
- D’être drôle ?
- Oui.
- Franchement, (Crâne Rasé aimait bien dire franchement) t’es pas fait pour être drôle.
- Ah. Aïe.
- Non mais, attends avant de te morfondre…T’as pas pensé à écrire une histoire, je ne sais pas moi…
- « Jeune Sépa Moa » ? C’est original comme titre !
- Non mais arrête, t’es con.
- Oui.
Crâne Rasé se tut et le lorgna en détail. Grand Brun avait l’impression d’avoir face à lui un émoji à la bouche oblique et aux sourcils froncés sous ses lunettes de soleil.
- Non, sérieusement, reprit son partenaire, je ne sais pas moi…T’as pensé à écrire une histoire…sur ta propre vie ?
- Tu veux dire une autobiographie ?
- Si tu le dis, je ne parle pas italien…
- Hein ?
- Eh bien quoi, on dit bien graffiti, pastrami, scénarii, paparazzi, spaghetti, alors pourquoi pas autobiographie ?
- Mon Dieu…
Grand Brun examina attentivement Crâne Rasé. Putain, c’est vrai qu’il est con lui aussi !
- Tu vois ce que je veux dire ?
- Ouais, je vois Cracra…en fait, tu souhaiterais que je dépeigne ma vie, comme un autoportait c’est ça ?
- Oui, exactement, bonne idée ! Comme un autoportrait !
- Ok…Mais c’est facile à dire ça ! Après faut l’écrire ! Tu voudrais que je commence comment ?
- Ah ça, ça dépend de toi mon vieux, je ne sais pas moi, t’as qu’à démarrer avec une jolie métaphore, comme…
- Hé, vous voulez la voir la Lune ?
Crâne Rasé et Grand Brun levèrent la tête, en parfaite synchronisation.
Appuyées sur le rebord de la fenêtre du premier étage, deux énormes fesses poilues, au sphincter protubérant, lâchèrent un énorme pet fumant en direction des deux protagonistes. Heureusement, Grand Brun et Crâne Rasé, grâce à leur formation expérimentée – et secrète –, parvinrent à éviter in extremis le dangereux missile putride, qui termina sa trajectoire explosé sur le pavé.
- Je crois qu’ils nous en veulent.
- Sans blague, Grand Brun ?
- Saloperies, va ! Venez vous salir les mains, bande d’enculés !, hurla Sphincter Géant.
En agitant fièrement son postérieur, ses voisins les plus proches furent évanouis par l’odeur dégagée, tandis que les autres survirent en se bouchant le nez.
- Ça tombe bien, on vient faire le ménage, Gros Tas !
- Bon du coup, tu ne m’as pas répondu, répliqua Grand Brun à son partenaire, armé jusqu’aux dents.
- Oh mais tu commences à me faire chier Grand Brun ! Je ne sais pas moi, tu n’as qu’à commencer par…
Nul n'entendit ses dernières paroles, mais en tout cas, c'était complètement barjo.
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