Chapitre n°1 : Le début d'un rien

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Ce rêve était venu durant l’exacte nuit précédant ma quatrième rentrée à l’université. J’avais changé de ville, perdu mes repères, perdu mon confort. Pourtant, alors que l’aurore pointait, mon anxiété avait disparu, remplacée par une obsession onirique. Tandis que je parcourais mes habits à la recherche de la tenue parfaite, mon esprit s’acharnait à discerner le visage de cette jeune femme. Mon coeur avait d’ailleurs un espoir étrange, celui de peut-être rencontrer un double bien réel dans ma nouvelle promotion. Pressé par le temps, ralenti par mes rêveries, je bus un verre de jus de pomme avec hâte, et dévala les escaliers de mon immeuble.

Un léger crachin caressait les rues pavées, poussant les gens à marcher d’un pas rapide et fuyard. Pour ma part, je préférais apprécier cette bruine rafraîchissante. J’avais la chance d’être proche de mon université, ce qui m’offrait une marche matinale courte mais revigorante. A chaque fois que mes pieds frappaient le granit, le stress d’une nouvelle vie qui commence se révélait, occultant le visage embrumé de cette nuit.

J’avais l’habitude de changer d’environnement et même de vie, et pourtant les mêmes angoisses revenaient à chaque fois. La plus forte d’entre elles était la peur de la solitude. Celle d’être le fantôme de l’amphithéâtre, celui dont la présence n’a pas d’importance. Ne vous méprenez pas, je ne rêve ni d’être sur le devant de la scène, ni d’avoir d’énormes responsabilités. Non, ce que je redoute, c’est l’indifférence, l’absence de la moindre considération, comme si mes camarades me traversaient au lieu de m’éviter.

Le hall de la faculté était immense et surtout rempli par une centaine d’étudiants, aux âges et aux profils différents. Mes yeux scrutaient méticuleusement chacun de mes futurs camarades, espérant un visage familier, en vain. Je ne voyais ni ami, ni connaissance lointaine, ni personnage inventé de toute pièce par mon cerveau somnolent. J’ai toujours eu du mal à me lier aux autres, d’un lien qui s’allonge et s’épaissit au fil des heures et des jours. J’ai donc attendu que les portes de l'amphithéâtre s'ouvrent, adossé à un des piliers de marbre.

Choisir sa place était une des choses les plus importantes pour moi. Je me doute que la plupart des gens n’y accordent qu’une importance risible, que beaucoup s'assoient sans vraiment réfléchir. Pourtant, vous remarquerez que votre choix est guidé par votre personnalité, vos goûts et votre assiduité au travail. J’ai vécu assez de rentrées scolaires ou universitaires pour savoir que les gens qui s’assoient aux mêmes rangées finissent étrangement par construire des amitiés solides. Malheureusement, je fais partie de ces gens qui ne savent jamais où se placer. J’hésite toujours, tiraillé entre de nombreux arguments. Les premiers rangs sont ceux des obséquieux ou des assidus, mais aussi des plus observés par l’enseignant et les autres étudiants. L’arrière est l’endroit des discrets, des cancres et des dissipés. Le milieu est quant à lui le mélange, où se côtoient les indécis, les nonchalants, les rationnels et les solitaires. Et lors de cette rentrée, je ne savais pas si je voulais être un assidu, un dissipé, ou encore un rationnel. Face à ces centaines de places vides, mon cœur s’emballait tandis que les plus pressés me bousculaient. Je les observais, médusé, me révéler qui ils pourraient être, grâce à ce seul indice.

Malgré l’air dépassé que je peinais à dissimuler, je m’étais résigné à m’asseoir au milieu de l’amphithéâtre, juste devant un groupe de huit garçons que j’avais identifié comme les futurs nonchalants. D’ailleurs, pour éviter d’entrer dans la catégorie des solitaires, je m’étais volontairement mis près du centre de la rangée. Quelques minutes avant le début de la réunion, 4 filles me rejoignirent, s’asseyant à ma droite. Elles semblaient toutes se connaître, j’en avais donc déduit qu’elles avaient fait leur licence dans la même université. Chacune d’elles avait une personnalité différente, ce qui rendait l’ensemble harmonieux. Ce groupe était un carré, une union amicale stable et équilibrée. J’étais désormais triste, car je savais que si je me liais d’amitié avec elles, j’étais voué à être exclu malgré moi. Pourtant, je voulais que la loi de Murphy ne s’applique pas, c’est pourquoi j’avais décidé que si ces filles m’adressaient la parole, je tenterais de sociabiliser, voire de m’intégrer.

Durant une heure, plusieurs intervenants se succédèrent pour nous présenter le programme de l’année, nous endormir par le biais de détails administratifs soporifiques, avant de finalement nous réveiller en nous souhaitant une bonne année. Ce n’était pas la première fois que j’entendais ce discours, et ce serait mentir que de vous dire qu’à l’époque, je croyais encore que cette rentrée serait différente. Cependant pour une fois, je m’étais autorisée à espérer, à rêver. Adossé contre mon dossier en chêne, alors que l’amphithéâtre se vidait, je songeais à la possibilité de vivre une année où tout serait différent. Et, tandis que le dernier étudiant passait le pas de la porte, j’espérais un monde où ce songe devenait réalité.

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