Les bains

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— Est-ce que les bains sont mixtes ? demandai-je à la femme de l’accueil, en bas.

La partie thermale était séparée du reste du bâtiment par un long couloir, signalée par un panneau de lin indigo sur lequel se découpait le mot « yu » : eau chaude. Et à l’entrée, il y avait également une hôtesse d’accueil, qui renseignait les clients venus de l’extérieur pour la soirée.

— Seulement la partie extérieure, m’assura-t-elle. Mais vous pouvez l’éviter facilement : il y a un petit patio extérieur non mixte dans les deux bains, celui des femmes et celui des hommes. De toute façon, M. Ôkami a réservé toute l’installation thermale ce soir.

— Tous les bains ? répétai-je pour être sûre. En entier ?

— En effet. Ainsi, vous n’aurez pas à vous inquiéter d’être nue devant les autres clients ! me sourit la tenancière, certaine qu’en tant qu’étrangère, c’était ce que je craignais le plus.

Mais je me fichais d’être nue devant des femmes inconnues. Ce qui me dérangeait, c’était de l’être face à Hide... qui serait nu lui aussi.

Au Japon, le nu intégral est la règle dans les bains publics. En plus, il y en a un certain nombre qui sont restés mixtes, reliquats d’une époque où le tabou du corps judéo-chrétien n’avait pas encore été importé dans l’archipel nippon. Cela devient rare, toutefois. On en avait cherché avec Yûichi, à l’époque, allant jusqu’à Kusatsu pour ça, sans succès. Mais ici, dans cette auberge de luxe, cela existait encore. Sûrement à la demande de riches hommes d’affaires qui voulaient emmener leurs maîtresses... ou les exhiber. Qu’à cela ne tienne. Je n’en étais plus là avec Hide : il m’avait vue me trémousser en lingerie érotique devant lui, un godemiché à la main. Et je pouvais toujours circuler avec ma serviette. Du reste, l’étiquette dans les bains japonais voulait qu’on ne dévisage pas son voisin. Elle tenait rarement lorsqu’il s’agissait d’étrangers, mais puisque Hide avait réservé le bain pour son seul usage... Ce qui me paraissait normal, plus j’y réfléchissais. Les tatouages. Ils étaient interdits dans la majorité des établissements thermaux, car ils faisaient peur aux clients. À juste titre, dans ce cas précis !

Je pris mon temps dans la partie des femmes pour bien me récurer. Il s’agissait d’arriver dans les bains le plus clean possible, sans une seule goutte de savon. J’attachai mes cheveux sur la tête et les ornai d’un petit tissu imprimé, comme cela se faisait communément. Puis j’enroulai ma serviette autour de mon corps — elle était si petite qu’elle m’arrivait en haut des cuisses, cachant à peine mes fesses — et poussai la porte en verre pour aller dans la partie extérieure.

La lune était haute au-dessus des pins, et de là, on voyait la mer. Une agréable odeur de sel marin et d’eau soufrée flottait dans l’air, parmi la vapeur qui montait des différents bassins. Il y en avait de toutes les sortes, de toutes les tailles et de toutes les couleurs. Discrètement, en fond sonore, on pouvait entendre une petite musique de fond délicate et relaxante : le genre d’ambiance « zen » qu’on entend dans les spas, mais version chic. Je dépassai avec regret un bassin empli d’une eau laiteuse et descendis les marches de pierre pour m’avancer plus loin dans le jardin, jusqu’à un grand bassin de pierres naturelles qui s’ouvrait au fond sur une petite grotte. Hide était là, adossé dans un recoin, ses bras musclés largement écartés sur les dalles mouillées. Il avait les yeux fermés.

Je pris un moment pour l’observer sans me faire remarquer. Son torse sculptural — je n’avais jamais vu de Japonais aussi musclé — sortait à moitié de l’eau. Je m’attardai un moment sur la toison épaisse sous ses bras, me rappelant que, pour les Japonais, les poils pubiens comme axillaires étaient éminemment érotiques. Comme ses cheveux, qui luisaient comme l’aile d’un corbeau, repoussés en arrière sur son crâne, elle était d’un noir de jais.

Mais ce qui attirait mon regard, surtout, c’étaient les tatouages. Hide avait le corps entièrement tatoué. Sa « peau de brocard », selon l’appellation consacrée, couvrait ses épaules jusqu’à la moitié de ses avant-bras, ne laissant découverte qu’une bande bronzée sur son sternum — à l’exception du kifuda entre ses biceps —, son nombril et son bas-ventre. Je m’attardai sur ce dernier, tentant de deviner ce qui se laissait à peine entrevoir dans les reflets changeants de l’eau, d’une transparence exemplaire. En relevant les yeux, je croisai ceux de Hide. Aiguisés et perçants comme une lame de katana.

Un lent sourire apparut sur sa bouche cruelle.

— Qu’est-ce que tu regardes ?

Je baissai vite le nez.

— Rien du tout, mentis-je.

Si seulement il pouvait enlever ce sourire moqueur de sa face... et ce regard, qui me déshabillait sans vergogne, s’attardant sur mes cuisses, dévoilées par la serviette trop courte, et la naissance de mes seins, qui s’affichaient eux aussi juste au-dessus des mamelons.

— Tu ne viens pas dans l’eau ? finit par demander Hide.

— Je... est-ce qu’elle est très chaude ?

— Celle-là, pas trop. Ce bassin est à 32° à peine.

Il devait l’avoir choisi exprès.

— Viens, finit-il par dire. Ça fait partie de ton contrat.

— On avait dit pas de...

— Je sais ce qu’on a dit, me coupa Hide. Pas de baise (Il insista sur le mot), pas de strip. Mais tu peux quand même venir te baigner.

Je plongeai timidement un pied, puis l’autre. L’eau était comme il l’avait dit, agréablement chaude sans être brûlante. Lorsqu’elle monta à mi-cuisse, je remontai la serviette, tentant vainement d’entrer dans l’eau sans dévoiler un centimètre de peau. Hide, que mes tentatives avaient l’air de beaucoup divertir, ne me lâchait pas des yeux.

Finalement, je pus m’asseoir et faire passer la serviette au-dessus de ma tête.

— Pourquoi tu m’as fait venir ? osai-je lui demander une fois assise.

— Tu vas comprendre.

— Comment ça ?

Soudain, je réalisai que nous n’étions plus seuls. Un homme venait d’apparaitre entre les arbres, tous tatouages dehors. Je tournai la tête à la vue de son service trois-pièces.

Le type posa un regard dénué de toute pitié sur moi, la moue arrogante. Il était jeune, et terriblement beau, dans un style beaucoup plus léché que Hide.

— Qui est cette pute ? lâcha-t-il aimablement.

— Exactement ce que tu viens de dire, répliqua Hide. Ne fais pas attention à elle. Elle ne parle pas japonais.

— Tu es sûr ?

— Certain. Tout ce qu’elle sait dire, c’est « moins fort s’il te plait », ou « pas dans le cul, Hide », osa ce salopard avec un sourire félin, déclenchant le ricanement de son interlocuteur.

J’hésitai à lui hurler dessus. Mais Hide me payait, et il venait justement de me dire pourquoi. Il voulait que je me taise, que je joue les potiches muettes. Surtout, j’avais peur de sa réaction — et de celle de ce type au regard si dur — si je me levais et que je me barrais. Pour aller où, en plus ? Masa ne m’avait donné aucun indice sur ma destination exacte, et il était déjà reparti.

L’autre type paraissait contrarié de me voir là. Il me dévisagea sans vergogne, baissant ostensiblement le regard sur ma poitrine, heureusement dissimulée par l’eau. Puis il finit par tourner son attention sur Hide.

— C’est bon pour Yo, lâcha-t-il enfin. Il fera le boulot.

— Bien.

— Mais c’est la dernière fois. Ça devient compliqué, même dans la zone contaminée... la dernière fois, le convoi s’est fait contrôler par les flics. En pleine cambrousse, de nuit, sur une route de montagne... Heureusement, Yo et ses hommes avaient déjà largué la cargaison. Mais ils ont demandé une augmentation. Et les Chinois sont sur les dents...

Qu’est-ce que j’étais en train d’entendre ? De quoi parlait ce mec ?

— On s’en branle, des Chinois, fit Hide en passant nonchalamment son bras sur mon épaule. Je leur avais déjà dit de dégager de notre secteur.

— Mais y a ce type, le tueur légendaire, ou le tigre blanc, je sais plus comment les Chinetoques l’appellent... Si le Si Hai Bang se met en rogne...

Le rire de Hide, carnassier, me fit presque oublier sa main qui s’était glissée sur mes côtes, à proximité des seins.

— Le Si Hai Bang, laisse-moi rire... ! Quant à ce « tigre blanc », il ne me fait pas peur. Je le prends quand il veut, et il le sait. Sur un ring, dans la rue, n’importe où.

Je crus discerner une rougeur sur les pommettes agressives de son interlocuteur.

— Je n’en doute pas... il parait que c’est un ex combattant lui aussi, et qu’il connait ta réputation...

— Je suis toujours un combattant, corrigea Hide. Même si j’ai officiellement raccroché les gants.

L’autre mec s’était rapproché.

— Je sais, souffla-t-il d’une voix étrangement basse. À propos de combat...

Je rêvais, ou il venait de glisser une main sur la cuisse de Hide ?

Une pression ferme sur mon sein droit me fit oublier ce que je venais de voir. Hide était en train de me peloter !

— Tu restes avec ta pétasse ce soir ? grogna le type en me jetant un regard plus noir qu’un ciel d’orage.

— Ouais. Je vais la monter toute la nuit.

— Je pensais qu’on aurait pu boire ensemble pour fêter la fin de cette affaire...

— Je fais pas la fête tant que tout n’est pas entièrement réglé. Et je veux baiser une femme.

Je sentais que j’étais rouge comme une tomate. Choquée, révoltée. Mais pas seulement.

— Si t’as besoin de te vider les couilles, je connais des endroits... insista le type. Pas obligé que ça soit dans la chatte ou le cul de cette petite p...

Hide lui colla brutalement sa grande main sur la bouche.

— Allez, on s’arrête là. J’ai tout réglé pour ce soir, tu peux prendre ce que tu veux et faire la fête comme ça te chante : c’est pour moi. Tu peux même faire venir des filles. Moi, je m’occupe de celle-là.

— J’aime pas les putes, grogna le type, visiblement furieux.

Hide s’était levé. Je détournai la tête, peu désireuse de me retrouver en face de ses parties génitales. Je jetai tout de même un regard à son fessier sculptural. Je voulais faire ça discrètement, mais Hide me prit évidemment sur le fait.

Koi, onna, ordonna-t-il avec un geste autoritaire.

Viens, femme. Plus primaire, il n’y avait sans doute que Conan le barbare.

Mais je lui obéis, toute frissonnante, cachant comme je le pouvais ma nudité avec ma serviette. Une seule question me taraudait : pourquoi ces manières impérieuses et vulgaires, si vulgairement macho, m’émoustillaient-elles autant ?

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