Ce qui ne s'achète pas

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Une fois Hide parti, je fis le tour de l’appartement. Jamais je n’avais vécu dans un tel endroit. Mais je ne m’y sentais pas chez moi. C’était vide, trop neuf, trop beau. J’y installai le contenu de ma valise, et cela ne changea rien. Même une fois le reste de mes affaires arrivées, convoyées du bas par Masa. Sao m’avait envoyé un texto :

Ces types m’ont filé une enveloppe de cent mille yens en « dédommagement », comme ils disent. Dis à ton mec que je ne peux pas accepter.

Le tact yakuza...

Je soupirai, décidée à répondre plus tard. Mais j’avais un autre message. Momoka.

J’ai appris pour Hide et toi. Tu sais ce que j’en penses, mais félicitations quand même. C’est un gros poisson.

Momoka, comme tout le monde, avait été mise au courant de ma relation avec Hide. Je lui renvoyai un petit « merci ».

Tu veux qu’on se voie ? proposa-t-elle.

Ce soir, je peux pas. Demain ?

Ok pour demain.

Le Starbucks de Shibuya, comme la dernière fois ?

Je voudrais un truc un peu mieux. Je connais un très bon restaurant d’oden à Ginza, très réputé. Je voudrais t’inviter pour fêter ta graduation.

« Graduation », comme pour l’école : c’était comme ça que les hôtesses appelaient leur éventuelle sortie du métier.

C’est trop gentil, mais... un pot-au-feu ? Par cette chaleur ?

Il fera frais le soir. Et tu n’es pas obligée de prendre la soupe. Le but, c’est de boire du bon saké avec des accompagnements sympas.

Ok, cool. À demain, alors !

Je reposai mon téléphone. J’espérai juste que Hide n’avait rien prévu. Probablement non. Après tout, il ne venait que tard le soir, pour me baiser. Il ne fallait surtout pas que je prenne cette relation pour ce qu’elle n’était pas.


*


Les poignets attachés aux montants du lit par des menottes molletonnées, je haletais sous l’intensité des assauts de Hide. C’était la troisième nuit que je passais avec lui, et je ne m’étais toujours pas habituée à l’épaisseur de sa queue. Il fallait dire aussi qu’il n’y allait pas de main morte.

— Hide... finis-je par lui murmurer. Est-ce que tu veux bien me détacher les mains ? Je voudrais pouvoir te toucher.

Il me jeta un regard étonné. Visiblement, j’étais la première fille à lui demander ça.

— Je te fais mal ?

— Un peu, oui.

Il attrapa la clé et défit les menottes.

— Si t’en peux plus, faut me le dire tout de suite.

— J’ai surtout mal aux bras.

Hide fit claquer les menottes sur ses propres poignets.

— Regarde, m’expliqua-t-il en actionnant un petit bouton. Il y a un système de sécurité.

Il enleva, remit et enleva à nouveau les menottes. Je le contemplai, fascinée. Ce visage aigu, beaucoup moins féroce lorsqu’il était détendu, ce regard sagace et patient. L’épaisseur de sa chevelure noire, la barbe qui commençait à poindre sur son menton mal rasé. La cicatrice qui lui barrait la joue. Et, surtout, cette musculature ciselée, présentement couverte de sueur.

Je posai ma main sur son poignet, puis de l’autre, l’attrapai par les cheveux. Il fronça les sourcils.

— Garde les menottes, murmurai-je face à son regard surpris. Pour une fois, c’est toi qui sera attaché.

D’une pression des cuisses, je lui fis comprendre ce que je voulais. Il saisit immédiatement, et me laissa le retourner comme au judo. Je claquai la seconde menotte sur le cadre du lit et lui tirai la tête en arrière, faisant saillir sa pomme d’Adam. Puis je vins lentement m’empaler sur lui.

— Putain, grogna-t-il.

— C’est moi qui donne le rythme. Toi, tu suis. Tu es mon uke, celui qui subit.

Je me mis à le chevaucher lentement, poussant mon bassin contre lui sur un tempo lascif. Chaque frottement contre son ventre dur m’envoyait une vague de volupté, aussitôt électrisée par la compression de son membre sur mes chairs, que je happai à nouveau en serrant très fort mon périnée.

— J’en peux plus, lâcha Hide, les deux poings serrés à blanc sur le cadre du lit. Je veux finir.

— Attends encore un peu. Gaman shiro yo.

Je vis passer un éclair de révolte dans ses yeux noirs. Aucune fille n’avait jamais dû oser l’impératif avec lui... ni même le baiser activement comme je le faisais.

Le frottement, associé à la sensation de pénétration contrôlée — sa verge ne pouvait pas entrer toute entière dans cette position — était divin. Mais ce n’était rien comparé à la vision qu’il m’offrait : celle d’un mâle puissant mais soumis, cherchant désespérément à garder le contrôle.

Je me laissai retomber sur lui, prise par l’assaut de l’orgasme. Sa main se posa sur mes fesses, puis la deuxième. Il s’était détaché.

— À moi, maintenant, gronda-t-il avec un demi-sourire mauvais.

Il me retourna, m’écarta les cuisses bien haut puis me pilonna sauvagement. Un autre type de plaisir... qui me fit bientôt crier, et inonder les draps de nos jouissances mêlées.

Hide s’alluma une clope, puis il se leva au bout de trois taffes tirées pensivement, en silence.

— Faut que j’y aille.

Je m’y attendais, mais je fus quand même déçue.

— Tu ne restes pas dormir ?

— Non. Des trucs à régler. Masa s’occupe de toi, ne t’en fais pas, grommela Hide en farfouillant dans ses affaires.

Je gardai les yeux verrouillés sur son tatouage, blasée. Son dos. C’était tout ce qu’il me montrait.

— Il faudrait peut-être que je demande à Masa de venir dormir ici, alors, ironisai-je. Puis qu’il fait tout ce que tu ne peux — ou ne veux — pas faire.

Hide se retourna, les yeux brillant de colère.

Nani ?

L’interjection sèche révélatrice du choc intense ressenti par un homme japonais, ascendant énervé.

— Je disais ça pour rire, murmurai-je.

— Masa est mon premier wakagashira, gronda Hide en pointant un doigt menaçant sur moi. C’est l’homme en qui j’ai le plus confiance ici-bas. Évite de plaisanter sur lui à l’avenir.

Sinon quoi ?

Mais je m’abstins de demander. Hide, qui avait fini de boutonner sa chemise bordeaux, passa comme une trombe dans le salon, les sourcils froncés. Il était furieux.

Je restai au lit, me refusant à le raccompagner. Du coin de l’œil, je le vis poser une nouvelle liasse de biftons froissés sur la table avec un claquement rageur. Dans son monde, il suffisait de lâcher des billets pour résoudre tous les problèmes... mais il y avait aussi des choses qui ne s’achetaient pas.

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