Préparation

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Je restai une journée entière à Yonaguni, pendant laquelle je ne fis que dormir. Puis Hide me ramena à Tokyo en avion. Il m’installa à Karuizawa, comme prévu. Ce fut la première nuit que je passai dans son lit sans baiser. Cramponnée à lui comme à une bouée de sauvetage, j’alternai cauchemars et épisodes de terreur pure. Si Hide perdait... car il allait perdre, c’était quasiment certain. Qu’allais-je devenir ? Comment vivre sans lui, désormais ?

Je passai la journée du lendemain dans un état second, à boire du thé glacé servi par Masa, qui ne me quittait pas d’une semelle. Hide avait disparu. Sans trop oser le demander, je devinai qu’il s’entrainait.

— Masa... tentai-je alors que nous étions tous deux assis sur l’auvent, à écouter les cigales chanter. Est-ce que Hide... sait encore se battre ?

Masa me lança un regard impénétrable. À travers ses verres fumés, c’était difficile de deviner ce qu’il pensait.

— Ne t’en fais pas pour ça. Si j’étais Li Intyin, je m’inquiéterais de mon assurance tous risques, actuellement. J’espère que son organisation a prévu le rapatriement de son corps.

— Tu crois qu’ils iront jusqu’au bout ? demandai-je timidement.

— Ce sera un combat à mort, oui, confirma-t-il avant de tremper ses lèvres dans le thé fluorescent. Mais ne pense pas à tout ça. Ce ne sont pas des affaires de femmes.

Je baissai le nez. Des affaires de femmes... de la grosse baston à mort, elles étaient exclues.

— Tu as dit qu’Hide n’était plus au niveau, insistai-je.

— Oh. J’ai dit ça ?

Masa avait parlé d’un ton désinvolte.

— Oui... Tu l’as dit.

— Je ne voulais pas que tu l’encourages à affronter ce chinpira, c’est tout, répondit-il. Je pense que le boss a mieux à faire. M’enfin. S’il a envie de se dérouiller le poings sur cette arête sucée... pourquoi pas.

Un silence pesant tomba entre nous. J’avais l’impression que Masa, sous ses airs nonchalants, essayait de nous rassurer tous les deux. Je lui avais déjà demandé comment cela c’était passé lorsqu’il avait affronté Li Intyin, en m’inquiétant de son état de santé. Il avait balayé mes questions et mes excuses d’un revers de main. Visiblement, un homme ne parlait pas de ce genre de choses, et encore moins avec la copine de son boss.

Le lendemain soir, Hide, qui essayait de conserver une apparence de normalité, mit le baseball à la télé — il était supporter des Softbanks Hawks de Fukuoka — et apporta un plateau chargé d’onigiri de supermarché et de briques de yaourt, au milieu d’une assiette de pancakes coréens au kimchi visiblement faits maison. J’admirai l’effort, mais rien ne me faisait envie.

— Mange, ordonna Hide en coupant une part de chijimi avec ses baguettes, qu’il porta devant ma bouche comme pour la becquée. C’est moi qui l’ai faite.

— Si c’est toi qui l’as faite... je suis obligée de manger, obtempérai-je.

En plus, c’était bon. Je le félicitai.

— J’adore le chijimi, dis-je faiblement.

— Je sais. Sao me l’a dit.

Il s’était donc renseigné.

— Prends aussi des onigiri. Y en a au tarako, au saumon et au thon-mayo. Je t’ai aussi acheté du lassi à la mangue.

Je lui jetai un regard reconnaissant. Il avait vraiment pensé à tout.

Je ne le mérite pas, pensai-je en me rappelant de ce que m’avait dit Li Intyin.

Je l’avais vu dans mes cauchemars, en train de me parler, agenouillé à côté de moi comme un mauvais fantôme. Il avait remplacé Idriss dans le rôle du croquemitaine nocturne.

Une fois le repas fini, je me pelotonnai contre Hide. La télécommande à la main, il zappait d’une émission de télé débile à une autre. Les Hawks avaient perdu le match.

— Ils étaient plus forts il y a dix ans, observa-t-il.

Comme lui.

Soudain inquiète, je relevai le regard vers mon amant.

— Hide... Masa m’a dit, pour ta blessure.

Il fronça les sourcils.

— Ma blessure ?

— Celle que tu as eue quand... ces Coréens t’ont battu.

Hide éteignit la télé.

— À part cette cicatrice au visage, c’est une blessure invisible. Et elle ne m’empêchera pas de me battre.

— Mais tu es resté dans le coma pendant...

— Deux semaines et demie, coupa-t-il. C’est tout.

— Hide... Je ne veux pas que tu perdes !

Il me regarda. Ces grands yeux noirs... est-ce que j’en avais déjà vu de plus beaux ?

— Lola. Ne t’inquiète pas. Tu seras partie avant. J’ai pas pu t’avoir un billet plus tôt, mais tu partiras le lendemain. Je t’ai réservé une chambre à l’hôtel en face du terminal 2 à Narita, et Masa sera là avec toi jusqu’au départ.

Je me redressai. Qu’est-ce qu’il était en train de me raconter ?

— Mais... et toi ?

— Ne t’inquiète pas pour moi, je te dis.

Sauf qu’il avait pris la précaution de m’éloigner.

— Mieux vaut que tu partes, dit-il en s’allumant une cigarette. Ce n’est pas bon pour toi, ici.

— Mais je ne peux pas te laisser ! Surtout pas sans savoir ce qui va t’arriver !

— Tu n’es pas de mon monde. C’est trop dangereux pour toi de rester ici. Trop dégradant, aussi. Tu mérites mieux.

— Mieux que toi ? Je ne crois pas que ça existe, répondis-je du tac au tac.

Hide secoua la tête. Il avait l’air consterné.

— Lola... J’ai déjà perdu la femme que j’aimais une fois. Je ne veux pas te perdre aussi. Tu dois t’en aller, retrouver le soleil. Les gens comme moi sont condamnés à l’ombre.

Je baissai la tête, vaincue. Quelque part, il avait raison.

Cette nuit-là, nous refîmes l’amour. Ce fut tendre, lent et doux. Je n’arrivais pas à m’imaginer que c’était la dernière fois que je couchais avec lui. Pourquoi ? Pourquoi fallait-il que je trouve l’amour au bout du monde, et que ce soit avec quelqu’un qui avait dédié sa vie au crime ?

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