Glasgow 3

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De retour dans la capitale, mes parents me coupent l'argent de poche (je reste sauvé pour le logement et la bouffe). Mon planning est inexistant, sauf quand il s'agit de roder en face du PMU, demander quelques pièces aux passants pour boire, jouer et espérer la MD. Ça ne se passe pas comme prévu. Je veux me défoncer plus que jamais. Donc j'opte pour un plan possiblement mortel. Je m'en bats les steaks. Au CSAPA fin novembre 2019, je fais la rencontre d'un toxico maigrichon et mal en point de descendance portugaise. Il m'invite chez lui, et me parle durant tout le trajet d'héroïne et de son substitut, la méthadone. J'ignore les dangers de ce médicament surtout si l’on n’a jamais baigné dans le monde des opiacés. Mais je rassure Sylvain et je lui échange deux paquets de cigarettes pour 20 mg de métha. J'estime que ce n'est pas assez alors que je n'y connais rien. J'investis donc dix euros de plus et il me rajoute 50 mg mais avec un conseil qui a survolé mes oreilles : "tu ne prends surtout pas les 70 d'un coup ce soir. Tu en prends 20 là puis 30 demain. Vendredi, tu résistes et samedi tu termines les 20 restants". Le surdosage est courant avec cet analgésique qui présente une longue demi-vie. Il faut faire très attention au grammage. Et éviter l'alcool.


Je fais tout le contraire. Je respecte les 20mg du mercredi alors que ma mère me récupère pour me donner une carte de retrait après l'adhésion au RSA. Et malgré ses sévères angoisses liés à sa dépression, elle préserve un regard plus ou moins lucide. J'étais comme dans un rêve où tout circulait au ralenti. Je dis à ma mère que j'ai bu de l'alcool afin de cacher la dérangeante réalité. Le lendemain, déçu un peu de mon expérience, je me moque des consignes. Sans hésiter, j'avale les 50 mg avec un grand verre d'eau et je m'enivre chez moi. Sylvain s'infiltre dans mon studio. Tout comme ce caïd d'origine tunisienne. Un sacré numéro celui-là ! Il reste statique au PMU sans miser un centime avant de m'amadouer et de me considérer comme "mon ami". Encore une fois je tombe dans le piège et je l'autorise à monter les sept étages de mon immeuble. Il restera plusieurs jours, scotché au radiateur car le début d'hiver est rude.

La méthadone monte très fort mais Sylvain ne s'alarme pas trop. Il se répète : "je t'avais prévenu, c'est du costaud. Calme-toi sur la tiz juste". Je suis sérieusement atteint. J'explique à mes deux invités que je dois rejoindre la place de Clichy pour récupérer mes gains d'une course de chevaux. Je ferme la porte du studio et plus aucun souvenir... avant que je me réveille dans le brouillard et la confusion extrême. Je remarque tout de suite que je suis assis sur un lit avec des appareils puissants autour de moi et un tube connecté à mes voies respiratoires. L'heure est grave. Une dame au regard rassurant s'approche de moi et me tends un écriteau et un feutre. Vu qu'il est impossible pour moi de parler, je dois m'exprimer par l'écriture. Et le premier mot que j'écris amuse mon interlocutrice : "police ?". Elle hoche vaillamment de la tête pour dire non. Plus de doute : je suis à l'hôpital dans une chambre qui semble si loin de Terre. C'est très douloureux ce que je vis, la sonde fait mal à ma bouche, je ne peux pas bouger, je ne peux pas hurler, je ne peux que penser. Et ça bouille à l'intérieur. Heureusement que je suis assez sédaté de Valium injecté directement par la perfusion car mes jambes gigotent furieusement. Je saisis enfin que j'ai fait une overdose de Méthadone. Je demande à nouveau à la dame via la petite pancarte : "J'ai failli mourir docteur ?". Sa réponse est fuyante mais je sais que j'ai frôlé le paradis. Ou l'enfer. Ou rien. C'est très impressionnant. Surtout quand j'entends une jeune infirmière ou médecin lâcher, derrière la cabine séparée par une vitre : "il a tellement de chance, mais il si est jeune !". 27 ans, j'ai failli rejoindre le club des Amy Winehouse, Kurt Cobain ou Jimmy Hendrix... sans avoir rien composé.

Je n'ai toujours aucune idée de quel jour et quelle heure il est. Mais je devine que c'est la nuit quand les deux infirmières, un peu dégoutées de devoir sauver un toxicomane, me proposent néanmoins de choisir la chaîne de radio. Je demande Nova et "on se croit en boîte de nuit" lance l'une des soignantes. Un peu de deep house pour surmonter ce cauchemar. Ce moment relaxant et suréaliste ne durera pas longtemps. Après un sommeil naturel, je me réveille en flippant ma race. Je vis ma première hallucination intense de délirium tremens. Il fait jour et je regarde la pièce mais... elle est à l'envers ! Le plafond prend la place du sol ! Tel un tableau de Van Gogh. Le Valium aide à stopper cette perception abracadabrante, limite diabolique. Un grand répit viendra ensuite quand l'équipe médicale donnera le feu vert pour faire enlever la sonde respiratoire héroïque. L'extubation s'avère très délicate et je vois du sang s'éclabousser dans une des perfusions. Je comprends que je ne suis plus sous ventilateur ou respirateur artificiel et je dois me remettre à respirer naturellement. Dans le box des professionnels de santé, on me pousse à inspirer et expirer plus longuement. Ce n'est toujours pas assez, je me fais gronder. Je me bats comme un lion, je ferme les yeux et je force au maximum mes poumons à redécoller. Je réussis l'opération et on me félicite pour la première fois depuis des mois ! Libéré vocalement, j'ai toujours du mal à parler. Je suis épuisé. Je m'adresse à la même brave femme : "j'ai consommé de la méthadone et je me rappelle de rien. J'ai des sérieux problèmes d'addiction". Elle me raconte que des passants ont appelé les pompiers alors que j'étais allongé sur le trottoir inconscient en train d'inhaler mon vomi. Elle m'informe aussi qu'une psychiatre addictologue viendra me rendre visite demain, soit lundi. Je commence à déchiffrer le calendrier. J'ai consommé la méthadone vendredi vers 21h. J'ai perdu connaissance avant minuit. J'écoutais Nova dimanche vers trois heures du matin (selon la chaîne), je m'étais réveillé quelques heures avant. Mon coma aura donc duré entre seize et vingt-quatre heures. Je pense à mes parents, au studio squatté par deux vipères, à mon futur sans issue, à la rue d'Assas que j'ai fracassée et à la mort qui a entrouvert la porte. Mais il ne faut jamais sous-estimer un battant.

Le lendemain matin, tout s'accélère. Je peux enfin me déplacer de mon lit à une chaise, je mange et la psychiatre me reçois. Mon père m'appelle en même temps mais utilise un ton et un vocabulaire inadéquats. La psy prend les choses en mains et le recadre en lui fustigeant : "vous ne comprenez pas que votre fils vient tout juste de sortir de la réanimation. A quoi ça sert de l'enfoncer ?". Mon père a eu la peur de sa vie et a réagi comme il a pu. Je ne lui en veux pas. Puis la toubib aux cheveux bruns, frisés, dépassant la cinquantaine et qui a dû en voir des tonnes dans sa vie me tue avec cette interrogation : "voulez-vous mourir Stanislas ?". C'est la première fois qu'on me la pose et je bégaie pour y répondre : "non... je n'suis pas sui...ci...daire. J'veux me soi... soigner ! Mais c'est si... si dur !". Mon hospitalisation prend fin quand ma mère, agressive et que je ne reconnais plus, débarque et presse toute l'équipe à me libérer de Cochin. Sait-elle que j'étais dans le coma ? Je ne lui ai rien dit jusqu'à aujourd'hui. Je quitte l'hôpital du XIVe arrondissement exténué, avec des odeurs désagréables remontant jusqu'à mes narines et ma gorge, des poumons douloureux mais qui s'amélioreront avec des antibiotiques et un sentiment de victoire malgré tout. Mon père autorise que je me repose à Solférino avec ma maman qui vient tout juste de sortir de Sainte-Anne. Je lis en boucle le compte-rendu d'hospitalisation. Et je réalise que mon coma était le pire qu'il soit avec un Glasgow de score 3 (soit le coma le plus profond). Grâce à Dieu, je suis né avec un métabolisme exceptionnel et une santé de fer. Le lendemain de mon accident, je cours comme un malade dans les rues parisiennes pour libérer toutes les toxines. Mais le duo mère-fils n'arrange aucune des deux parties. Incontrôlable, Domi ne me laisse pas souffler et j'implose avant d'exploser physiquement je lui assène un coup de tête. Sous les ordres de mon père, je reviens au studio. Je le retrouve dégradé, envahi par des pâtes sur le sol et par des documents personnels posés sur la table d'un inconnu arménien. Où se trouve le Tunisien ? Qu'a-t-il pu bien mijoter en son absence ? Que faire de ces deux cartes de crédit, du permis de conduire et de la carte d'identité de la malheureuse victime ? C'est la veille du nouvel an et, dans ce capharnaüm, je reçois Gautier. "T'aurais dû essayer la carte !", fustige-t-il stupéfait. On descend au Carrefour et, grâce au sans contact, on s'offre gratuitement une bouteille de Jack Daniel. Mais tout ça ne m'amuse pas. Au fond, j'ai la trouille du retour du Tunisien ou de l'Arménien. Sans compter que la porte de l'appartement est saccagée. Mais l'année 2019 ferme ses rideaux avec un grain de répit et une soirée sympathique sous MD dans un bar dansant avec mon meilleur ami revenu de Belgique pour franchir un cap dans sa carrière.

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