Cure mon cul

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Direction ma première cure de désintoxication.


Ça se passe dans la clinique de Villebouzin non loin de Massy (91). Cette clinique spacieuse dotée d'un grand parc abrite une centaine de patients aux difficultés mentales et addictions variées. Je me retrouve au milieu d'un schizophrène qui communique à des poteaux, d'une dépressive qui dévore des tablettes de Xanax, d'une travailleuse en burn-out totale, d'un héroïnomane qui se pique dans le parc, d'un cocaïnomane totalement dégénéré qui me gâtera avec plusieurs rails consommés le soir en évitant l'attention des infirmières, d'un accro à la vodka et au poker en ligne et d'un bipolaire avec qui je sympathise et fume du cannabis avant le dîner (même si cette plante me rend parano). Bienvenue dans la cour des miracles.


Sevré aisément de l'alcool (les tremblements sont discrets à mon arrivée) grâce au Xanax, j'y resterai six semaines mais je triche. Je consomme et passe des heures sur PokerStars. Je ne prends pas mes soins au sérieux et je passe à travers les gouttes. J'opte pour une postcure dans le sud-est de la France. Je réalise que le manque de coke ou de beuh s'avère bien moins douloureux que celui de l'éthanol. Mais je tombe sur un psychiatre addictologue de la vieille école qui me gave de Valium. Étrange vu je suis sevré et qu'il n'y a plus aucun risque de crise d'épilepsie ou de délirium tremens (état d'hallucinations sévères qui peut faire délirer dangereusement le patient), sans oublier que je suis sous anti-dépresseur (qui agit aussi comme anxiolytique). Soyons franc, j'aime entrer dans la tête des toubibs, et je trouve les bons mots pour atteindre mon désir : les benzodiazépines.


Je ressors de cette clinique avec peu de travail réalisé sur moi-même, une addiction grandissante aux jeux d'argent et une prescription folle de huit valium 10mg par jour ! Je me sentais faussement détendu dans ce paysage montagnard à couper le souffle. Les randonnées, les séances d'acupuncture, les exercices de sport et de relaxation, les repas sains et copieux... tout était réuni pour je progresse. Mais le jeu isole et je passais des heures à taper le ballon dans un stade de foot boueux en visant la transversale avec mon téléphone à la main pour ne pas manquer un full house. L'argent, je l'obtenais par mes parents qui me font confiance en cure car je suis encadré et par la vente de cartouches de cigarettes achetés par mon père. Le processus de soins mène à un échec cuisant. Avec un patient survolté on se vante bêtement sur un projet farfelu pour la sortie : "ivresse douce". En quittant les Pyrénées, je gobe une douzaine de Valium avant de rejoindre la gare où je vomis après avoir consommé une Leffe. Rechute immédiate et prévisible. À mon l'arrivée à la gare d'Austerlitz, ma mère me récupère ivre. J'ai honte, c'est scandaleux. En plus elle s'est battue pour me trouver un nouveau studio non loin de l'appartement de mes parents à Boulevard Raspail en face du métro rue du Bac (encore la ligne 12). Domi contrôle encore ses nerfs... pas pour longtemps. Soixante-quinze jours de cure pour rien. Le studio de dix-huit mètres carrés ne me convient pas, je le fais vite savoir, ce qui détruit ma mère psychologiquement.


C'est vrai qu'il n'est pas top : sept étages sans ascenseur, beaucoup de vieux meubles, une moquette moche et trouée, une salle de bain étriquée mais une belle vue sur les monuments historiques de la capitale dont la tour Eiffel. Nous sommes en juin 2019 et mes relations sociales vont rapidement se dégrader. Je commence à comprendre pourquoi je consomme : recherche d'euphorie, ennui, début d'un isolement social, complexe d'infériorité vis-à-vis de mon père, une anxiété débordante et un trouble sexuel envahissant. Je dois trouver la solution à ces problèmes et j'opte pour la pire d'entre elles : se réfugier dans les produits. Donc j'augmente les doses de chaque psychotrope. Je m'inquiète sur l'alcool et les benzos qui me font perdre affaire sur affaire comme ma pièce d'identité que je perdrai au moins cinq fois en trois ans. Ne parlons pas des téléphones volés : une douzaine facile. Je surenchéris à peine et rappelons que l’exagération est le mensonge des honnêtes gens.


Mais têtu comme un Slave, je crois toujours aux bienfaits de la MDMA. Je ne réalise toujours pas que "la drogue de l'amour" ouvre une place au mal dans mon psychisme. Surtout que je la surconsomme seul, mélangée à du Valium pour écraser la descente qui n'a jamais été si traumatisante sur moi (je suis un expert du bricolage des substances). Lors de mon anniversaire des 24 ans, on partageait le gramme en six. Désormais, je ronge le cailloux en entier (aussi parce que les effets de la D sont moins fortes sous sertraline) et je m'installe dans une brasserie près de la gare de Montparnasse où je kiffe mon trip sans alcool (reprise de L'Espéral), avec Comfortably Numb de Pink Floyd qui tourne en boucle dans mes oreilles, sans déranger mes voisins de table. Je suis respecté par les serveurs mais je rentre au studio avec une sensation de vide. Pourquoi consommer cette MD chère que j'arrive à me procurer grâce à ma mère toujours optimiste qui me débloque de l'argent et d'une bonne série de victoires au PMU ? Pour écouter Elton John sans socialiser ? Pour espérer aborder une fille qui snobe mes yeux autant pétillants qu'inquiétants ? Pour croire au soi-disant miracle de ce produit qui, au contraire, infecte ma sérotonine et développe ma bipolarité ? Plus je consomme de la Molly, plus mon cerveau doit travailler intensivement pour retrouver des moments de bonheur et d'apaisement. Donc au lendemain de la défonce, je dévalise les 8.6 du Carrefour City, je m'acharne sur les tablettes de valium, je mise de plus en plus au PMU et, quand je gagne, ma conso de D s'aggrave.

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