Prélude
« Les dieux existent, c'est une certitude. Comment le sait-on ? Et bien une fois par an, ils essaient de nous tuer. La Déferlante est crainte comme une malédiction redoutée de tous, que l'on soit politicien ou simple fermier. Mais tant que nous n'avons pas été victimes de sa cruauté, tant que nous n'avons pas assisté impuissants à l'enlèvement d'un de nos proches, englouti par les flots, nous ne pouvons pas imaginer le caractère vicieux de ces divinités que pourtant nous idolâtrons.
C'est à se demander si nous les adorons à cause de notre espoir vain qu'un jour ils fassent preuve de pitié à notre égard, ou parce que nous les redoutons trop pour avoir l'audace de leur résister. Notre empire porte le deuil constant de chaque individu qu'ils nous retirent pour le noyer dans leur Déferlante. Nous vivons enchainés par nos croyances à des divinités qui s'échinent à garder suspendue au-dessus de notre tête une épée meurtrière affutée au fil des ans par nos larmes et nos suppliques.
Les dieux se rient de nous et de la faiblesse de caractère dont nous faisons preuve. Ils nous ont privés de notre temps, de notre destin, de nos espoirs, de nos amours, mais voilà bien une chose qu'ils nous ont laissée : la faiblesse de notre humanité. Cette faiblesse qui nous pousse à pleurer nos morts, à les regretter de toute notre âme. Qui nous pousse à nous ensevelir vivants sous nos maisons, de peur d'être le prochain fauché par la mort qu'apportent les eaux divines. Qui nous pousse à nous suicider, parce que nous ne pouvons plus tolérer notre condition d'individus séquestrés par des créatures qui se sont octroyé le droit de vie ou de mort sur nos existences.
La souffrance du peuple millésime est aussi infinie que la mer qui borde notre territoire. Mais voilà la sempiternelle question que nous ne nous posons plus, parce que nous avons peur de sa réponse.
La souffrance d'un peuple est-elle audible si personne n'est là pour y prêter attention ? »
Hardwick PRESCOTT, Les engrenages du Nouveau Culte
Éditions VERTWIST
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