De l'autre côté de la maison

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   « Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne… »

J’ai lu l’inscription sur la porte d’entrée du gîte avec étonnement. Il y avait bien longtemps que je n’avais pas connu d’épisodes de neige en Bretagne et même à Pontivy, à part quelques grammes de givres sur les pare-brise des voitures le matin, il n’avait pas de quoi craindre le blizzard. Ce n’était pas mon style de sauter hors de mon lit de bonne heure le matin, je ne me sentais pas concerné par cette pancarte vintage, sans doute l’œuvre d’un amateur de poésie.

   Avec mes copains de la fac de Lorient, nous avions prévu un week-end bières, fumette et musique. Anthony était venu avec sa gratte et Ronan son cajón, pas de fille dans nos pattes, juste de quoi prendre du bon temps entre mecs. On venait fêter la fin des partielles, réussies ou pas. Pierrick avait lamentablement foiré ses épreuves de socio. Il passait son temps à se lamenter. « T’as ton billet pour septembre Picou !» La voiture avait trouvé sa place sur les herbes hautes derrière la maison. Le proprio avait laissé les clés sous un pot, près de l’entrée. Du coup on s’était promis de revenir un autre soir. Peut-être qu’on pourrait dormir à l’œil si la clé était toujours là et que la maison demeurait vide ?

   La soirée fut carabinée. Il ne restait plus une goutte à boire avant quelque chose comme 2 heures du matin. Ronan avait l’air cramé. Moi, je tenais le coup. En matière de consommation d’alcool, j’avais une certaine endurance dont je n’étais pas peu fier. Picou avait gerbé dehors. Ce qui ne l’avait pas empêché de descendre une bière aussi sec dans la foulée. Je ne sais plus comment nous avons fini dans nos sacs de couchage mais le lendemain, après quelques heures de sommeil, je me suis réveillé avec un maudit mal de tête. Par la fenêtre, alors que mes yeux ne voyaient pas encore tout à fait clair, une tête me regardait. Une grosse tête de vache. Je suis sorti, il y en avait partout, tout autour de la maison. Elles me regardaient, le museau brillant et humide, avec de grosses boules en guise d’yeux qui semblaient dire « qu’est-ce que vous foutez là ! »

   J’ai eu froid aux cuisses. Un vent frais cherchait à me transpercer la peau. J’ai compté les vaches puis admiré les alentours. Le soleil me piquait les yeux alors je suis rentré. J’ai secoué Pierrick qui m’a méchamment lancé une beigne. Devant le raffut que nous faisions en nous chamaillant, Ronan est apparu dans l’encadrement de la porte. Sans même avaler quoique ce soit, juste le temps de fumer une clope, nous avons mis toutes nos affaires en vrac dans la voiture et nous avons quitté les lieux, arrachant de l’herbe avec nos pneus.

   Des années plus tard, j’avais dans les 24, je suis repassé devant le gîte. La pancarte était toujours là, semblable à mon souvenir. Je me suis repassé le fil de ce fameux week-end. Ronan, Pierrick et moi avions réussi nos examens, finalement. Une fois rentré chez moi, j’avais tapé la phrase du panneau, presque machinalement, sur Internet. J’avais lu le poème. « Vois-tu, je sais que tu m’attends. » Je pensais à une fille. Sandrine et ses longs cheveux noirs, ses jolis seins. Nous avions rompu une histoire qui n’avait jamais réellement démarré.

   Le mot « tombe » résonnait fortement en moi. Picou avait souffert, emporté par une nuit d’alcool, dans un bête accident de voiture. Il allait s’en sortir mais il n’était pas passé loin du cimetière. Des mois de rééducation pour tenter de retrouver l’usage de jambes brisées par les tôles. Il n’était pas encore tiré d’affaire. J’ai posé un pot de bruyères derrière la maison. Les vaches avaient disparu. Je buvais moins, j’avais mis la pédale un peu plus douce sur ces soirées de défonce. Je reviendrai avec Picou quand il marchera enfin. J’ai pris la main de ma belle et nous avons continué à marcher dans la campagne.

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