Chapitre 1

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Novembre 1502

Les jambes toujours écartées, à moitié allongée, la sage-femme lui demanda un dernier effort pour sortir le placenta. Lisa n’y arrivait plus. Son corps réclamait le repos. Se fondre dans un lit moelleux où elle pourrait enfin dormir, voilà ce qu'elle voulait. Devant son refus d’obtempérer, la sage-femme tira violemment sur le cordon qui pendait béant. Une douleur nécessaire. Avec vigilance, elle s’assura d’avoir réussi à sortir tout le placenta sans oubli avant de décréter la délivrance complète.

Lisa se disait que cette fois était la dernière. Son mari ne l’y reprendrait pas. Tout cela n’était que souffrance. Un enfant n’était que souffrance. De sa naissance jusqu’à sa mort. Elle en avait fait les frais, elle le savait. Son époux, lui, n’y entendait rien.

Sous les regards outrés, elle refusa le sein à son enfant, à bout de force et sans en comprendre la raison, cela la répugnait.

Lisa tendit le petit être brun à sa belle-mère qui prit soin de l’essuyer et de l’envelopper dans un drap propre et sec. Ce troisième petit-fils, héritier précieux, elle s’empressa de le descendre pour le présenter à son fils.

Lisa rampa sur son lit pour trouver l’oreiller dans lequel elle plongea pour rencontrer un sommeil salvateur. Juste avant de s’endormir, elle se promit de ne plus jamais recommencer cette folie.

Son mari nomma son fils Andrea. Il ne lui demanda pas son avis. Mais ce n’était pas vraiment nécessaire. Devant son refus de l’allaiter, ils trouvèrent une nourrice. Le petit garçon semblait robuste et son père s'enorgueillit de ce troisième fils qui devenait le sixième enfant de la fratrie.

Lisa se demandait ce qu’il avait bien pu faire pour s’attribuer cette réussite. Il l’avait ensemencée et elle avait fait le reste. C’est elle qui aurait dû être fier du travail accompli. Mais il n’en était rien. Elle était juste soulagée d’être débarrassée du fardeau qui pesait sur ses reins et la rendait malhabile et pataude.

Cet enfant avait déchiré son corps plus durement qu'un autre. Il était né gros.

Alors que pour ses autres enfants, elle avait eu un amour inconditionnel presque instantané, celui-ci ne lui inspirait que répulsion. Elle peinait à le prendre dans ses bras. Pourtant, elle se pliait aux convenances par peur d’être jugée.

Son mari l’avait remerciée. La belle affaire. Tant de souffrance pour un simple merci. Une coupe décorative, voilà ce qu’elle avait toujours été. Quelque chose s’était révoltée en elle dans ce "merci". Elle le sentait, elle aurait bien pu mourir, il n’aurait gravé que ce seul mot sur sa pierre tombale. Voilà à quoi se résumait sa triste vie. Mettre bas les rejetons de son très cher Francesco. Toute ses années, elle avait vécu dans l'illusion de sa condition, trop absorbée par ses grossesses successives.

Alitée depuis quinze jours, les larmes la prenaient dès le réveil. La sage-femme rassurait son mari inquiet, cet état était passager. Lisa en doutait. L’enfant dans son berceau, lui était étranger. Un petit être innocent qu’elle regardait sans avoir conscience qu’il était sien. Elle ne ressentait rien. Elle savait, tout cela était anormal, elle était impuissante. Elle n’aimait pas son fils. Elle en éprouvait un coupable sentiment, se demandant chaque jour ce qu’elle pouvait bien faire pour que cela change. Elle devait être patiente, l’amour venait parfois avec du retard. Albina elle-même lui avait partagé son désamour pour son premier né. Il lui avait fallu plusieurs mois avant de le considérer comme son enfant.

Quand Francesco avait vu sa femme rejeter l’enfant, il n’avait pas hésité à le prendre en charge. Il ne savait pas ce qui se tramait dans la tête de Lisa mais il sentait que le petit réclamait des bras aimants. Francesco se voulait compréhensif, mais au bout de quelques semaines, sa patience s' éprouva. Il ne voulut pas l’invectiver mais il ne résista pas. Il ne la connaissait pas femme sans cœur. Elle devait se reprendre, revenir à la raison. Francesco supportait mal de voir ce masque de tristesse qui ne la quittait plus depuis le décès de leur fille.

Après un mois, sa vie reprit son cours. Celui de mère de famille qui devait paraître épanouie. Les vexations de sa belle-mère, elle aussi, refirent surface. Tout comme les visites nocturnes de son mari, inconscient de ce qu’elle endurait. Le corps de Lisa se rétablissait lentement mais seul son bon plaisir le préoccupait. La prière restait son seul hypothétique recours pour ne pas tomber de nouveau enceinte.

Depuis son mariage, ses journées se bornaient à s’occuper de l’intendance de la maison et de l’éducation des enfants. Elle était devenue mère, avant même d’enfanter, d’un petit garçon d’à peine deux ans. Son mari n’avait pas rechigné à lui léguer son fardeau. Bartolomeo, était attachant. Elle l’avait bien volontiers accepté. Il égayait ses mornes journées. Puis, son premier enfant était vite arrivé, un petit Piero. Suivi de trois autres, des filles. A vingt ans, quatre enfants, cinq si elle comptait Bartolomeo, comblaient son ennui.

Sa plus grande souffrance jusqu’ici était la perte de sa fille, sa petite Piera, morte à même pas deux ans. Une mort inexpliquée pour les médecins, comme beaucoup d'autres. Son cœur avait sombré dans les limbes et ne jamais se relever. Son mari affirmait que d’autres enfants viendraient. Comme si les autres enfants pouvaient se substituer à la petite fille disparue. Son cœur de mère savait que rien ne la remplacerait. Lisa la pleurerait toute une vie en silence. Seule.

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