Chapitre 14

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Elle avait été effrayée par ce qu’elle avait entraperçu l’autre jour à l’atelier de Léonard. Elle n’aurait jamais imaginé cela de Salai. En même temps, il possédait une part si féminine. Elle-même quand elle l’avait rencontré avait eu du mal à le ranger dans le genre masculin. Mais cette abomination, avec Léonard en plus. Voilà qu’elle comprenait mieux leur connivence. Certains de leurs gestes aussi. Et certains de ses malaises. Révulsée, elle se sentait surtout trahie. Elle le savait maintenant, elle aimait Salai de toute son âme. Et savoir qu’il aimait quelqu’un d’autre, même un homme, la blessait. La nuit, elle pensait à lui. À ses douceurs, ses baisers, ses mains sur son corps à elle. Souvent, l’image de ses mains sur le torse de Léonard lui revenait. Alors, elle pleurait. Elle pleurait aussi silencieusement que possible, la tête plongée dans son oreiller pour étouffer le bruit. Elle s'empoissonait de la cruauté de la vie. Le sommeil ne venait que très tard. La journée, elle flottait dans un état second que le manque de sommeil accentuait.

Un après-midi, alors qu’elle regardait les enfants jouer dans la cours intérieure, Anna lui annonça la présence de Salai. Elle le fit venir. La présence des enfants lui assurerait ainsi une contenance, une certitude de ne pas craquer. Elle le reçut debout, fière, la tête haute sans un sourire.

« Lisa. La salua-t-il.

- Sieur Carpotti.

Elle tentait de mettre toute la distance possible entre eux, ignorant son air de surprise amère.

- Je te ramène ton châle.

Tout en le disant, il lui tendit le tissu qu’elle attrapa du bout des doigts de peur d’un contact. Il ressera son étreinte sur l’étoffe. Gardant ainsi un lien entre eux.

- Tu as l’air de n’avoir pas dormi depuis des jours.

- Vous n’avez pas à vous inquiéter de mon état.

- Mais je m’inquiète Lisa. Beaucoup même.

Elle le regarda dans les yeux.

- Merci pour le châle, vous pouvez partir.

- Lisa…

Il voulut la prendre par l’épaule. Elle se recula vivement.

- Ne me touchez pas.

Le regard de Salai exprima une telle souffrance avant de se retourner qu' elle voulut le retenir, mais son geste s’arrêta net, suspendu dans le vide. Alors qu'il disparaissait de son champ de vision, elle porta le châle à son nez tentant d’y trouver un peu de son odeur masculine qu’elle aimait tant.

Elle ne retourna pas à l’atelier. Léonard devrait se contenter de ce qu’il avait pour finir le tableau. Elle lui écrivit dans ce sens. Elle ne pouvait pas revenir dans l'antre qui abritait ses démons. Son obsession de Salai était déjà assez difficile, elle ne voulait surtout pas raviver une flamme qui ne ferait que la consumer.

Sa vie retourna à sa platitude et elle s’en trouvait mieux ainsi. Les fêtes de Pâques se préparaient déjà. Trois mois passés déjà sans qu’elle reçoive de nouvelle de Salai. Son tourment conservait toute son intensité. Recevoir une lettre de sa part déclencha un mélange de joie, de colère et d’appréhension.

« Qui vous écrit ? Demanda Francesco qui lisait devant la cheminée.

- Albina.

Elle se surprit à pouvoir mentir si facilement.

- Vous ne lisez pas ?

- Je le ferai plus tard. Dit-elle en rangeant la lettre qu’elle crevait de lire sans attendre dans la poche de sa robe. Il y a encore quelques préparatifs que je dois continuer. »

Son mari ne chercha pas plus loin, replongeant son nez dans son ouvrage.

Le soir, enfin seule dans sa chambre, elle décacheta la lettre, les mains tremblantes et se mit à la lumière de la bougie.

Salai écrivait son incompréhension, sa souffrance. Il lui rappelait la beauté de leur étreinte. Il lui posait sur le papier l’envie qu’il ressentait pour elle. Des larmes roulèrent sur ses joues. Il étalait sa compréhension sur ses réactions. Il clamait son souhait de l'avoir rencontrée avant son mariage, la posséder, lui offrir son nom, lui donner ses enfants. Mais il comprenait, alors, il renonçait, la délivrait d'un adieu de tout son cœur. Lui souhaitant le meilleur.

Cette lettre, qui aurait pu panser ses blessures, la dévora de colère. Colère contre Salai et son ignoble vérité. Colère contre elle-même et son romantisme navrant de mièvrerie. Colère contre son mari qui l’avait jeté dans les bras de cet homme. Colère contre sa vie qui n’était rien d’autre qu’une ligne monotone.

Alors, cette lettre, elle la déchira. Elle pleura sans un bruit de rage et de tristesse, incapable de s’arrêter. Trop consciente de l’abysse de sa vie. Comment ne plus succomber ? Elle ne savait pas. Même dans la conscience de l’énormité de sa faute, de la manipulation de Salai, elle se jugeait faible. Elle tremblait de le revoir. Elle chuterait encore. C’était sans appel. Elle le savait. Le désir, la soif d’aventure courait dans son sang bouillonnant. Elle le sentait. Elle s'estimait depuis toujours complaisante dans sa chaire. Comme voulant conjurer le sort, elle brûla la missive à la flamme de sa bougie. Laissant la brûlure du dernier carré de papier, lui faire lâcher l’objet de ses tourments, qui termina de se consumer à ses pieds.

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