dans la peau d'une autre
Je me sens vieux bien que j’aie seulement quarante ans. Ma femme se plaint toujours de ma nonchalance. Elle fait entre autres : les tâches ménagères, prépare les repas et règle les factures tout en étant très belle. Une soirée, je voulus être intime avec elle mais elle refusa. Je fus en colère et quittai la chambre à coucher pour dormir dans le salon. Hormis mon mécontentement, je dormis comme un bébé. Mais j’eus ce rêve qui me réveilla le petit matin ; lorsque je fis ma toilette, je guettai le miroir. À ma surprise je me vis dans une coupe de cheveux féminine, les figures d’une femme. Je me touchai et il s’avéra que je suis désormais une femme.
Après la panique, j’acceptai bizarrement mon destin. Soudain un homme fit son entrée, il eut la même gueule que moi. Il passa devant moi et feignit des salutations. Une vague de tendresse m’envahit et je me jetai vers la cuisine pour préparer le petit déjeuner. Je le préparai avec amour mais contre mon gré, je me maquillai en observant les rides autour de mes yeux. Je suis devenue vieille, je ne plairai plus à mon époux, peut-être qu’il me quittera pour une jeune femme plus belle que moi. Alors je mis plus de maquillage. Je me précipitai vers lui pour lui faire sentir mon nouveau parfum ; il fut indifférent. Je me sentis délaissée et abandonnée. Une vague de tristesse m’envahit. Il va certainement me quitter. Cette paranoïa me conduisit vers la cuisine pour bien faire la vaisselle et la lessive. Toujours en colère, j’allai au travail. Une fois arrivée, j’entendis la rumeur qu’ils allaient promouvoir l’un de mes collègues pour le poste de représentant de la marque que j’ai servie pendant des âges. Impossible de me promouvoir ; ils allaient choisir un homme charismatique comme Henri aux cheveux poivre et sel ou quelqu’un d’autre. Oh s’ils me choisissaient. J’ai tout ce qu’il faut pour bien faire ce travail : assiduité et compétence étaient mes traits. J’espère qu’ils tiendront en considération mes prouesses. Je rongeai les ongles toute la journée. Enfin arriva l’annonce, ils ont choisi la nouvelle gonzesse, la promotion s’est échappée. Je compris maintenant, ils n’ont rien à faire d’une quarantenaire comme moi. À mon âge je ne puis être la façade de la marque. Si j’étais un homme, mon âge et mes rides ne seraient pas un obstacle. Déçue, je rentrai à la maison pour la corvée qui m’attendait. Zut, c’est la grève des cheminots. Que puis-je faire ? Je pense que je rentrerai à pied mais ces nouvelles chaussures me firent mal. Voilà ce qui passa pour essayer d’être belle.
Je dois passer par cette ruelle mais la nuit vient de tomber ; mon cœur battit la chamade. Je sortis le portable et je prétendis faire un appel pour que les pervers me laissent passer. Heureusement, je fus à la maison saine et sauve. L’accueil chaleureux de mes enfants presque adultes me fit plaisir. J’ai presque oublié la journée difficile que j’ai éprouvée. Encore le bazar dans la maison que je dois nettoyer toute seule. Mon bien-aimé m’ignora en lisant un magazine. C’est l’heure de coucher et mon mari veut faire l’amour mais je suis épuisée. Je le laissai faire pourvu qu’il ne cherche pas ailleurs. Comme d’habitude, le rapport fut fini avant que je puisse me réjouir. Il tourna vers l’autre bout du lit et commença à ronfler en me laissant insatisfaite et insomniaque. Je ne pus même pas lui parler de ma journée.
Je me rappelai quand on sortait ensemble. Les câlins, les fleurs et les baisers avec passion. Il me fit sentir comme si j’étais la seule femme au monde. C’était euphorique, comme c’est beau l’amour ; enfin comme il était beau. Lorsqu’il m’approcha dans la bibliothèque, je fus réservée mais je jouai le jeu. Le jeu passionnant des premières danses de séduction. Il était dur à cuire, avec son regard perçant et sa posture farouche. À la fin je succombai à son charme et je me donnai à lui. Le premier rapport, oh comme il était à la fois intense et chaleureux. Il me fit sentir comme une femme à part entière qui s’exprime en aimant. Maintenant, je fus délaissée et abandonnée à cause de la fatalité du temps.
Je me levai avant lui, il était en train de ronfler. Je me demandai dans quel monde paisible il vivait, sacré veinard ! Mais je n’eus qu’une idée à la tête, divorcer. Les enfants allaient bientôt quitter la maison. Je me trouverai seule avec cette boule d’ennui et d’oisiveté, impossible. J’irai faire le tour du monde, j’aurai le temps pour la romance même si elle est courte mais qu’elle soit explosive. Je rencontrerai un étranger dans un pays lointain où il me dira des mots tendres avec sa langue maternelle, que je ne comprendrai pas. Je consommerai la flamme de l’acte bestial pour que je puisse me sentir une femme comme avant. Lorsque je finirai de faire l’imprudente, je quêterai le vrai amour, j’allumerai l’étincelle qui ne s’éteindra jamais. J’irai aux plages avec le sable doré et le soleil ardent. Je boirai toute la liqueur du monde et je danserai jusqu’à l’aube avec les pieds nus.
À la cuisine, lorsque je préparai le petit déjeuner, je me permis de vérifier mon smartphone. Une notification de LinkedIn se jeta à ma gueule. C’était une offre de travail à l’étranger. Un poste très intéressant qui paie bien. Je pourrais me réjouir d’une expérience fructueuse digne de mes compétences. En plus, un séjour à l’autre bout du monde m’offrirait une escapade de la monotonie que je suis en train de subir. Que dois-je faire ? Quitter mon conjoint après vingt ans de mariage. Céder une histoire d’amour pour une aventure que Dieu sait à quoi elle aboutira ? Ça y est, ma décision est prise, je vais quitter cette vie anxieuse et rejoindre la terre promise. Je vais consulter mon avocat pour préparer la paperasse.
J’attendis le réveil du pauvre. Il serait dévasté par la nouvelle mais tant pis. Mon bonheur passe avant tout. Dès que je lui apprendrai ma décision irréversible, je prendrai ma valise et quitterai la maison.
Tout d’un coup je me réveillai à bout de souffle, agité. Je quittai le salon pour aller à la salle de bain et je contemplai mon visage devant le miroir. C’était ma figure d’antan. Je suis redevenu un homme. Tout cela n’était qu’un rêve morbide. Mais j’ai appris quelque chose de très important : l’empathie.
Ma femme s’est enfin réveillée, je la serrai avec toute ma force et je lui dis « comme c’est difficile d’être une femme ! » elle me répondit « Mais ça vaut le coup mon cœur »

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