Des plumes d'oie

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   La couette pèse sur mon ventre, une couette remplie de plumes d’oie comme on en fabriquait avant. Mes enfants et surtout mes petits-enfants n’ont pas idée de la manière dont jadis on se réchauffait dans une chambre sans radiateur et que les draps du lit frigorifiaient la peau dès que l’on se mettait au lit. Je mettais une brique sur la cuisinière à charbon, la déposais sous le drap du dessus. Le tour était joué. Je l’enlevais avant d’aller me coucher. Cela ne durait pas longtemps mais cette chaleur était bien agréable. Ou bien j’utilisais une bouillotte en caoutchouc que je remplissais d’eau chaude. Je n’ai jamais acheté de couverture électrique. J’avais tellement entendu d’histoires sur des gens qu’on retrouvait à demi calcinés après un court-circuit. Mes plumes d’oie, à mi-saison, faisaient largement l’affaire.

   Lorsque les enfants de ma fille viennent à la maison, ils sautent toujours sur le lit. Les ressorts du matelas sont devenus tellement mous au fil des années que leurs pieds semblent disparaître dedans, entre les plis de la couverture. Le parquet de ma salle à manger leur sert de patinoire. Car mon lit est en quelque sorte dans la salle à manger. Autrefois, il y avait un épais rideau qui séparait le coin nuit du reste de la grande pièce. Mais depuis un moment, il a disparu. Je ne parvenais plus à le nettoyer correctement. Autrefois je dormais à l’étage. Avec l’arthrose qui ne cesse de me faire souffrir aux hanches, j’ai fini par la laisser aux enfants et au reste de la famille. À bientôt 78 ans, il faut savoir être raisonnable.

   J’ai lu quelques pages d’un gros livre d’Henri Troyat. J’aime bien cet auteur. Quand on ne sait pas quoi m’offrir pour mon anniversaire, j’ai droit à un livre de Troyat. J’espère qu’il va mourir bien après moi et surtout continuer à écrire encore longtemps, sans quoi je ne sais pas ce que je trouverai sous le papier cadeau. Je ne résiste pas longtemps à l’envie de dormir. La journée a été fatigante. Ramasser de l’herbe pour les lapins m’a épuisé plus que d’ordinaire.

   Du bruit à la porte. Heureusement, elle est bien fermée. Mais qui peut bien venir à cette heure tardive ? D’ailleurs quelle heure est-il ? Dans le noir, je n’arrive pas à retrouver les LEDS rouges du radioréveil. Des bruits de pas dans l’escalier. Une porte que l’on ouvre. Curieusement, je ne me sens pas gagnée par l’inquiétude. Je me sens même apaisée. Un cri dans la pièce. C’est ma fille. Je la devine debout près du lit. Je la sens proche au son de sa voix. Elle dit simplement «maman, pourquoi tu es partie ? ».

   Mais je suis là, pourquoi dit-elle cela ? J’entends les enfants renifler. Mon gendre est là, lui aussi. Je me sens incapable de leur parler, de me redresser dans mon lit. Plus tard, sans que je puisse dire quand, j’entendrai cette phrase pleine de tendresse : « elle est morte dans son sommeil, c’est une belle mort ».

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