Oscar

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Au matin, Oscar était né. C’est du moins le nom qui fut donné au petit bébé retrouvé sur les marches d’un hôtel de ville de l’Est français. Une famille aimante me recueillit et m’éleva avec autant de tendresse que possible. Moi, je n’avais pas vraiment oublié le passé, mais il fallut du temps à mon cerveau pour comprendre à nouveau qui j’étais.

Mes premières années furent douces, chaudes, bercées par les petits déjeuners, les chansons et les dessins animés. Puis, lorsque je fus en âge de parler puis de lire et d’écrire, des éclats de souvenirs refaisaient parfois surface, sans que je sache comment les interpréter. Alors je tentais de mettre des mots les uns après les autres, des mots comme « Elise », « AFRAID », « guerre » ou « voyage », et mes parents, en retour, me trouvaient rêveur et bien précoce.

Je me mis à organiser tout ce à quoi je pensais dans des grandes frises écrites et dessinées, pensant qu’il s’agissait d’histoires venues de mon imagination. Tout n’était pas exact, évidemment. Je mélangeais toutes mes vies entre elles et avec ce que j’avais vu à la télévision.

A l’école primaire, mon père m’inscrit à un cours de karaté, et il fut très surpris de voir à quel point j’en maîtrisais les codes. Moi-même, je ne savais pas trop comment c’était possible. A l’école, c’était la même chose. Je faisais selon mes professeurs preuve d’une grande maturité, je ne faisais pas la moindre faute d’orthographe et ma culture semblait bien plus grande que celle de mes camarades.

Quand on me demandait comment je savais une chose ou une autre, je répondais que je l’avais vue en rêve. Je devins vite un petit prodige, jusqu’à mon onze ans, où je devins champion de France de kickboxing. C’est cette année là que je vis une émission sur les « vies antérieures » vécues par des enfants de mon âge. J’en revenais à peine : le portrait qui était dressé semblait être le mien.

Ma mère prit alors contact avec une médium célèbre qui chercha à m’hypnotiser et à rentrer en contact avec mes prétendues « vies précédentes ». Aucun de ses artifices ne marcha sur moi, mais j’avais peur de la vexer, alors je fis comme si. Lorsqu’elle me posa des questions sur la personne que j’étais avant, plein de noms me vinrent en tête. Je lui dis :« Arthur , non, David ! Non… Je crois que c’est Jean, mon prénom. »

C’est en lui disant cela que la conscience de mon condition me revint petit à petit. Mais je me remplis peu à peu d’amertume : accepter d’être Jean à nouveau, c’était tirer un trait sur cette vie douce qui m’avait été offerte, et je n’avais pas encore la maturité pour cela. J’étais redevenu un petit garçon à protéger et à guider, et je n’avais au fond de moi pas envie d’être autre chose.

Lorsque la médium partit, je vis que le regard de mes parents avait changé. Mon père, qui était d’ordinaire si sceptique, semblait être comme pris de peur. Avait-il vraiment recueilli un petit garçon, ou quelque chose de plus ancien, plus étrange ?

Je m’en rendis compte et à partir de ce jour, je fis semblant d’avoir oublié toute cette expérience. La médium revint, mais je n’entrais plus dans son jeu.

Parfois, une étrange mélancolie me serrait le cœur. J’avais envie de redevenir Jean, mais tout était trop flou. Et surtout, j’aimais mes parents. J’avais appris à leur faire confiance, à être de nouveau limité, vulnérable. Et si pour garder leur amour il me fallait tordre la vérité, alors je le ferais.

C’est sans doute à partir de là que je devins un véritable menteur, dès que les choses tournaient au vinaigre pour moi, j’usais toujours de lâcheté. Était-ce une trop grande attache au confort que j’avais gagné, après avoir été exposé à tant de guerres ?

Lorsque j’entrais à l’université, je rejoignis un groupe d’élévation spirituelle de tendance new age. Puisqu’il y était question de réincarnations, je m’adonnais à toute sorte de rituels. Jusqu’au jour où ma mémoire revient clairement, pas seulement comme un vieux rêve. J’étais persuadé d’être Jean Morel.

Pour m’en assurer, je me fiai à un souvenir particulier : je me rappelai avoir laissé mes carnets dans un cottage anglais, et c’est en y allant que je les retrouvai.

Tout y était, tout ce que je croyais avoir imaginé.

Pendant ce temps, le monde évoluait à toute vitesse, et l’on commença à nouveau à parler de conquête spatiale. La première colonie avait été établie sur Mars et l’on expérimentait un tout nouveau modèle de voyage interplanétaire.

Je quittais mon père et ma mère et cette incarnation, Oscar, fut une vie d’intenses découvertes et d’apprentissage.

A l’âge de trente-huit ans, j’embarquai pour mon premier voyage martien. Mes carnets, toujours à portée de main, me guidaient à travers mes vies passées, dont je peinais parfois à me souvenir. La sagesse que j’avais accumulée me poussait a chercher un équilibre entre action et contemplation, entre ambition et renoncement.

Je fus scientifique, diplomate, parfois conseiller auprès des nouvelles institutions et j’appris à m’adapter à chaque époque.

En l'an 2 278, alors que j’avais passé 91 ans sous cette forme (la plus longue période que je n’ai jamais vécue dans un seul corps), je mourus de vieillesse près d’un collègue de confiance à qui j’avais tout avoué. J’avais besoin qu’il m’aide à accueillir ma prochaine vie.

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