Jour de chance
Je sais que ce texte est un peu maladroit. Je le pose là en espérant l'améliorer. Je vais le laisser un peu reposer pour le relire plus tard d'un oeil neuf
Jean était un grand brun rempli de doutes, avec ce regard un peu absent des rêveurs. A cette époque, il était mince, presque maigre avec de longs cheveux noirs. Il habitait seul, dans un petit studio, boulevard Diderot, à Paris.
Pendant la journée, au travail, il avait du mal à se concentrer. Il pensait beaucoup à Geneviève du Marketing. Geneviève, gaie, rieuse. Elle occupait tout l'espace, avec un mélange inédit de douceur et de vivacité ! Si élégante avec son carré châtain. Quand elle souriait, le ciel s'ouvrait devant lui, peu importe où il se trouvait. L'existence repoussait ses limites, si loin qu'elle paraissait ne plus en avoir. C'était une veillée d'armes sans la guerre, l'excitation du tout possible. À la savoir vivante si près de lui, il se sentait à la frontière d'une autre existence où tout serait plus intense, comme un cheval qui sent depuis son box, l’approche de son cavalier.
Il avait eu son téléphone par Valérie, une collègue de la compta.
Le soir, dans son studio, il tournait en rond, impatient de la retrouver au travail, le lendemain. Il lui tenait des conversations imaginaires, avec la chance de pouvoir répéter la scène ad libitum, échappant aux gaffes et autres bafouillages.
— Geneviève, vous êtes si belle !
A force de répétition, lorsque son esprit enfiévré retrouvait un instant de lucidité, il s’entendait parler tout seul et comme par un effet de dédoublement, réalisait à quel point son discours sonnait creux. Il tournait dans son minuscule salon et dans ses pensées, se cognant à une chaise, à la table ronde, à ses propres limites. Il en avait presque les larmes aux yeux.
— Je ne vais tout de même pas lui parler de mes auteurs de science fiction préférés. Elle doit lire autre chose, du Gallimard, c'est sûr.
Un Whisky, ça aide. Il s'était décidé à l'appeler.
C'était un soir comme les autres. Il s'étalait en longueur, inutile. Calé dans son canapé, Jean regardait sans le voir, l'échiquier sur la table basse, juste à côté du cendrier qu'il avait acheté pour elle. Elle qui n'avait pas encore franchi le pas de sa porte.
Il avait composé son numéro. Le téléphone avait sonné, trois fois, quatre, cinq, six, sept, huit et le répondeur s’était déclenché. Il avait raccroché sans oser laisser de message, déçu et soulagé en même temps.
Et il s'était retrouvé seul avec lui-même.
Un autre soir, quelqu’un avait sonné à la porte. Jean s'était raidit. Il se languissait, mais n'était pourtant pas prêt à partager sa solitude.
"Je ne vais pas répondre." se disait-il. " Je préfère rester seul, à quoi bon ?"
Il avait ce genre de pensées et restait à se morfondre comme une peluche abandonnée.
— Jean, c'est moi !
— Étienne ? Avait-il répondu.
— Ouvre !
Étienne, son meilleur ami, avait insisté, il s’inquiétait et n'avait pas l'intention de rester sur le palier. Jean avait eu l'air heureux de le voir, malgré sa mine de chien battu. Il avait dit :
— Tu as quitté tes problèmes de robinets qui fuient et de trains en retard ?
Sitôt prononcée, il avait regretté cette plaisanterie maladroite. Étienne était encore instituteur à l'époque et il se faisait une idée très réductrice du métier.
Ils avaient commencé à jouer aux échecs. L'histoire ne dit pas qui avait les blancs. Il jouaient peut-être une espagnole, une partie ouverte comme ils les aimaient. Au milieu de la partie, le téléphone s'était mis à sonner, le fixe de l'appartement, à cette époque, les portables n'étaient pas encore très répandus.
Donc, le téléphone sonnait. Jean s’était levé comme un ressort. Pourtant il ne répondait pas. Il regardait l'appareil d'un air effaré. Les sonneries se succédaient. Chaque seconde durait une éternité, comme quand on retient sa respiration. Et puis forcément au bout d'un moment ça s'était arrêté. Quel silence ! Étienne avait fait un geste montrant son incompréhension. A cet instant, il ne se doutait encore de rien. Quand le téléphone s’était remis à sonner, il s’était demandé si Jean n’avait pas des ennuis. Jean avait pris sa veste et avait claqué la porte de l’appartement. Il s’était enfui de chez lui.
Et ce téléphone qui remplissait tout l'espace, insupportable.
Sur l’échiquier, le fou ricanait sur sa diagonale tandis que le cavalier piaffait, impatient de se battre. La Reine blanche n'avait d'yeux que pour le Roi noir, qui ne voyait rien.
Étienne n'était pas chez lui, mais il voulait en avoir le cœur net. Il décrocha. Une femme parla au bout du fil.
— Jean ? avait-elle demandé.
Étienne hésitait, ne disait rien, gêné.
— Jean ? Répondez-moi ! le ton s'était fait rebelle, impérieux.
— Ce n'est pas Jean, c’est Étienne, un copain. Jean est parti ... Faire une course, parvint-il à articuler.
La voix avait repris, moqueuse.
— Si tard ?
Étienne ne savait pas quoi lui dire. Elle avait l'air bien gentille. Les ennuis de Jean ne lui semblaient à présent plus si graves.
— Ne soyez pas gêné. Dites-lui simplement que j'ai appelé, s'il vous plaît, a-t-elle ajouté.
— Vous êtes ?
— Geneviève... Merci Étienne.
C'est à ce moment qu’Étienne avait appris son existence.
Elle avait raccroché. Étienne était resté pendu au téléphone quelques secondes, avant de reposer le combiné. La voix de Geneviève l'avait retenue un instant et comme pour se défendre d'elle, il était sorti à son tour. Il était tombé sur Jean qui faisait les cent pas.
— C'était Geneviève !
— Je sais.
— Tu devrais la rappeler. Elle a l'air d'y tenir.
— Qu'est-ce que tu en sais ?
Étienne avait préféré changer de sujet.
— Allez viens Jean, les pièces s'impatientent !
Jean s’était radouci et ils étaient remontés.
— Tu m'en parleras si tu veux, avait quand même tenté Étienne.
C'est qu’il aurait bien aimé en savoir plus. Ce manège avait piqué sa curiosité. Il se sentait déjà complice.
La suite, Il l’a vécue au premières loges. Un soir, qu’il accompagnait Jean qui l'avait entraîné dans un autre quartier, sous un prétexte ou un autre, il semblait guetter quelque chose ou quelqu'un. Geneviève rentrait chez elle. C'était une grande femme aux cheveux châtain, ramenés derrière la tête. Un nez droit, des traits réguliers, le visage rond, très doux, franc, un peu triste. Elle portait une robe blanche, à grandes fleurs. Elle marchait vite en serrant d'une main son sac et de l'autre un petit téléphone portable. L'air doux saturé du parfum des tilleuls, invitait pourtant à la rêverie. Jean s’était alors avancé tandis qu’Étienne s’était adossé à un mur, observant de loin. Geneviève avait ralenti le pas à l'approche d'une porte cochère. Elle cherchait ses clés. Jean n’allait-il pas l’effrayer en arrivant de nulle part ? Imaginez la scène, un mouvement dans la pénombre d'un réverbère éteint. Une figure masculine s'y découpe, engoncée dans une veste en jean trop étroite. Inquiète, Geneviève avait pressé ses mains contre la porte et laissé échapper ses clés. Perturbée, elle avait pressé la touche bis de son téléphone portable. Une sonnerie avait retentit dans la rue, Jean cherchait dans ses poches.
— Jean ! S'était t-elle exclamée, surprise et rassurée.
Il s’était rapproché encore un peu, le visage mal rasé, sombre, fatigué.
— Je ne sais pas quoi dire…
Geneviève avait souri.
Jean s’était repris et avait quitté son air navré.
— Il n'est pas trop tard ?
Elle l’avait regardé droit dans les yeux, le sourire toujours aux lèvres.
— Il est un peu tard pour aller danser ! avait-elle annoncé, finaude.
— Trop tard ? avait répété Jean, avec une vraie détresse dans la voix.
Elle avait ri, la main sur la bouche comme pour se faire taire.
— Désolé, avait dit Jean sans pouvoir la quitter du regard.
— Il est trop tard pour rester sur le trottoir devant chez moi ! Avait-elle improvisé.
Elle le mangeait du regard, tentant de le retenir des yeux. Jean avait de la chance.
— Désolé. avait-il répété machinalement. Mais il souriait à son tour.
— Je suis désolé, vous ne savez dire que ça ? Désolé pourquoi ? Allez, je vous invite à boire un verre. Vous allez m'expliquer pourquoi vous êtes si désolé et vous avez intérêt à être convaincant ! avait-t-elle ajouté en riant.
Elle avait ramassé ses clés, ouvert la porte et l'avait pris par le bras et tiré à l'intérieur. Étienne avait repris son chemin avec dans la tête une berceuse de son enfance. La vie déroulait sa petite musique douce et mélancolique et l’air recelait un parfum fleuri qui ressemblait à l’espoir. Il espérait juste que Jean aurait encore un peu de temps pour leurs futures parties d’échecs.
Annotations
Versions