Il fait froid, au-dehors la nuit était déjà tombée. La ville était illuminée de belles décorations festives rappelant les fêtes de fin d'année à venir. Plusieurs magasins étaient encore ouverts, après tout il ne devait être que 19h, sans doute fermeraient-ils bientôt.

En entrant dans un magasin, une odeur de vieux livre avait envahi les narines de notre héros. Pourtant, il n'y avait là aucun manuscrit, aucun bouquin. Il se trouvait dans un magasin de vinyle, les ancêtres des CD eux aussi dépassés par l'immatériel.

Pourtant, ce qu'il pensait offrir était bien un souvenir à une personne qui lui était chère.

Le seul vendeur de la boutique s'avança vers lui. Il avait une allure massive et portait des vêtements entièrement noires, un t-shirt présentant une pochette d'un album des années 90 et un pantalon cargo noir avec des dr Martens. Il avait les cheveux longs, fins et bruns attachés en queue-de-cheval. Une barbe négligée de quelques jours seulement. Un regard un peu sévère très foncé également.

Il l'observa un moment, puis lança d'un ton franc et d'une voix forte avec un accent du sud de la France très prononcé :

 - Qu'est-ce qu'il vous faut?

De sa petite carrure, notre héros répondit d'une voix sans accent, monotone et timide qu'il recherchait un vinyle d'un certain album d'un certain groupe des années 90.

 - Ah! Ca mon bonhomme ce n'est pas le meilleur! Tu n'y connais pas grand chose n'est-ce pas?

S'esclaffant en voyant notre héros se décomposer, le grand vendeur posa sa grande main ressemblant presque à une patte d'ours sur l'épaule de celui-ci et le guida à travers sa boutique. Voyant que le héros était indécis et pas convaincu parce qu'il lui présentait, le grand gaillard ajouta :

 - Ce n'est pas ton style de musique hein? Faut que tu comprennes que les gens qui écoutent ce genre ils aiment quand ça envoie la purée! Attends, je vais te montrer!

Le vendeur pris de passion par son propre discours partit dans l'arrière boutique, il saisit sa vieille Gibson désaccordée et un petit ampli. Il n'avait pas joué pendant longtemps et pourtant une fois l'instrument entre ses mains c'est comme s'il n'avait jamais cessé de le faire. En quelques tours de clés et en utilisant son oreille, il avait réussi à accorder la Gibson et la tendit vers son client.

 - Ca devrait le faire ! Aller, prend-là, joue-moi un truc que tu aimes et imagine face à toi une foule en délire, des gens qui sautent sur les autres, de la poussière qui s'élève dans le ciel tellement tes spectateurs dansent et sautent. Observe les points levés vers toi, les paroles de tes chansons raisonnées si loin que le village à côté les entends encore, les basses faire trembler le sol...tu les vois?

 - Heu...je ne sais pas en jouer Monsieur. lança timidement le héros

 - Donne-moi ça! Je vais te montrer moi, observe bien!

Le vendeur arracha la Gibson des mains frêles de son interlocuteur. Tant pis s'il ne savait pas jouer, la musique était accessible à tous, elle était une mélodie universelle, qu'on aime le style ou pas elle avait cette capacité de s'adresser à tout le monde, sans distinction.

Il commença par de simple riff, des gammes simples comme pour se remettre en tête comment ses doigts puissants devaient s'articuler autour du long manche de la guitare. Les premières notes étaient simples, sobres et mélodiques. Puis les phalanges du vendeur accélérèrent leur danse sur les épaisses cordes de métal produisant une mélodie de plus en plus vive, puissante, lourde et forte. Le client, comme hypnotisé par la musique suivait fidèlement les mouvements des doigts du vendeur. Soudain il sentit le sol vibrer sous ses pieds et remonter jusque dans sa cage thoracique. Une vibration puissante qui éveilla en lui une forte émotion, comme un gain de confiance en lui, une bouffée de liberté.

Plus le vendeur joué, plus il entendait les cris des spectateurs, les paroles de chansons qu'ils ne connaissaient absolument pas. Il faisait de plus en plus chaud dans le magasin, une forte odeur de transpiration et de bière envahit la pièce, la fumée troubla sa vision...enfin non, la poussière! La lumière des projecteurs dansait et donnait vie et forme à l'épais nuage de poussière qui l'empêchait de voir le vendeur jouer. La musique s'éleva de plus en plus forte, elle frappait le moindre recoin de la pièce et faisait vibrer les vitres. Des ondes paraissant agressive et pourtant si réconfortante, elles enveloppèrent notre héros pour le guider à travers ce brouillard, il réussit ainsi à retrouver le vendeur, la lumière était focalisée sur lui, sur ses mouvements sur le manche de la gibson et enfin les derniers riffs torturés et sensibles, mélancolique.

La dernière note raisonna un moment dans la pièce, autour de notre héros, tout redevint normal. Il avait l'impression d'avoir voyagé à des kilomètres de là sans même avoir bougé de la boutique. Le vendeur souffla un moment, essuya la sueur de son front avec la paume de sa grosse main et s'esclaffa de nouveau avec sa grosse voix. Ses cheveux étaient maintenant détachés et décoiffés.

 - Alors, tu comprends mieux non?

 - Oui je pense! Merci pour cette leçon, Monsieur.

 - Pas de quoi petit gars. Faut bien que tu choisisses un bon cadeau pour ton pote non!

Les deux individus se sourirent mutuellement. Le héros avait finis par appréhender un monde qu'il n'avait jamais vu et le vendeur...qui pouvait-il être? Un magicien? Non, ça n'existe pas dans notre monde une telle chose. Peut-être était-ce la passion qui lui permettait d'être si convaincant?

Le héros repartit avec un sublime vinyle à offrir à son ami. Bien que si différent de par leur goût ou leur style de vie, la musique était universelle et mettait tout le monde d'accord. Qu'on l'aime ou pas, les sentiments qu'elle avait le pouvoir de révéler en chacun nous permettait de l'apprécier à sa juste valeurs.