La lettre

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Une fois notre déjeuner finis, nous remontons ensemble chacun à son bureau, je suis si fatigué de cette personne, si je pouvais seulement prendre ma journée pour aller dormir, je le ferais, je me sens comme vidé de toute énergie vitale…
Je ne conçois absolument pas comment on peut faire un monologue d’une heure, sur des sujets aussi futiles que sont les voitures et les timbres ?
Et comment faire pour arriver à croire que l’on a une discussion avec quelqu’un ? Alors qu’en réalité, on passe son temps à déblatérer de simple mots qui ne sont même pas repris par l’interlocuteur d’en face, autant parler avec un mur, là au moins vous êtes sûr, qu’il ne vous répondra pas.
Qui sont ces personnes qui sont en mesure de parler d’eux même pendant plus d’une heure sans jamais donner la parole à ceux qui les écoutent ?
Et moi qui suis là, plein de gênes n’osant à mon habitude, pas m’affirmer ! Je suis pire que lui, je me laisse volontairement sucer le sang par simple convention sociale ! Par peur de lui faire de la peine, comme si en réalité, j’en avais quelques choses à faire de son ressenti…
Je m’installe enfin à mon bureau, loin de cette nuisance, enfin seule face à moi-même.
J’aperçois sur la pile de documents à jeter, une lettre qui n’a absolument rien à y faire, avant de partir manger toute à l’heure, il n’y avait que ces documents qui se trouvaient là disposer en pagaille les uns sur les autres, c’est en quelques sortes mon bordel à moi, cela ne paraît pas ranger à première vue, mais je sais où se trouve chaque chose dans le moindre détail.
Et si cette lettre avait été là, je l’aurais forcément remarqué !
Je jette un léger coup d’œil sur le bureau d’en face où se tient habituellement Marthe, elle n’est pas encore remontée, quand je suis parti, il n’y avait qu’elle qui occupait encore la salle…
Je saisis la lettre entre mes mains, la regarde attentivement, elle n’est pas cachetée, c’est une simple enveloppe, il n’y a ni nom ni adresse marqué…
J’attendrais que Marthe remonte, et lui demanderais le moment venu, si ce n’est pas elle qui l’aurais laissé là par inadvertance, en attendant, je me remets à mon dur labeur…
Les minutes passent… Pris dans mon travail, je ne pense plus réellement ni à cette lettre, ni à Marthe, au bout de quelques heures et vers la fin de la journée, je remarquais qu’elle n’était pas encore remontée…
Aurait-elle pris sa journée ? Quand j’y pense, c’est vrai que toute à l’heure, elle se tenait la tête comme si quelque chose n’allait pas…
À vrai dire, j’ai mis cela sur le compte de son incompétence, et ce ne serait vraiment pas étonnant qu’il s’agisse bien de ça… Elle est tellement bête la pauvre !
On la voit souvent se tenir dans cette position, et la plupart du temps, c’est parce qu’elle ne comprend tout simplement pas comment traiter, tel ou tel dossier.
Et si elle avait laissé cette lettre pour moi !
Serait-il vraiment convenable de l’ouvrir sans savoir, ? Et puis même si elle tenait absolument à ce que je l’ouvre pourquoi n’a-t-elle pas tout simplement inscrit mon nom dessus !
J’attendrais au moins jusqu’à demain pour lui demander.
Qu’aurait-elle à me dire qu'elle ne puisse pas me dire en face de toute façon ?
Imaginé, que j’ouvre cette lettre, et que dedans, j’y découvre qu’elle aurait des sentiments pour moi depuis toujours.
Depuis la première fois, quelle aurais posé les yeux sur moi, elle se serait rendu compte que nous étions faits l’un pour l’autre…
Enfin, quand je dis poser les yeux sur moi, on est bien loin de la réalité à chaque fois que je lui jette un regard je la vois tournée la tête de l’autre côté, comme pour m’éviter.
Serait-elle impressionnée par tant de charisme émanant de ma personne ou bien serait ce mes beaux yeux qui l’auraient envoûté à ce point ?
Vous l’aurez compris, je dis ça pour faire bonne figure, car je n’ai absolument rien de particulier…
Je suis un homme tout ce qu’il y a de plus normal, je suis grand et mince, si mince même que si une bourrasque de vent venait à souffler un peu trop fort, je n’aurais aucune chance d’y résister, elle m’emporterait aussi loin qu’elle emporte une feuille d’arbre. J’ai des cheveux court et brun, je porte de petites lunettes ronde, car sans elle, je ne vois absolument rien, je ne suis ni musclé et encore moins sportif, mes deux bras sont aussi épais que deux spaghettis réunis, et mes jambes, je n’ose même pas en parler.
Ce n’est assurément pas le costume noir, la chemise blanche, ou bien le pantalon, qu’on nous oblige à porter ici tous les jours qui me mettrais un tant soit peu en valeur…
Pour ce qui est de mon éloquence et de mon charisme, ils sont inexistants, et à vrai dire, je n’ai pas vraiment l’opportunité d’en faire profiter grand monde ici !
Si Marthe n’éprouve rien pour moi, pourquoi serait-elle à ce point gênée par mon regard ? A-t-elle autre chose à cacher ?
Un secret si inavouable qu'elle n’ose même pas me regarder dans les yeux de peur que je ne la perce a jour.
Non-non ! Je préfère l’hypothèse du coup de foudre, cela me parait plus crédible !
Si tel est le cas comment je pourrais faire pour me débarrasser d’elle gentiment ? Comment lui faire comprendre que nos sentiments ne sont pas partagés ? Comment faire pour ne pas passer pour un vulgaire briseur de cœur ?
À trop y réfléchir, je me suis perdu dans mes pensées et je n’ai absolument pas vu le temps passer, il est déjà l’heure de rentrer, je ne resterais pas plus longtemps au travail aujourd’hui, j’emporte la lettre avec moi…
La nuit venue, à mon habitude, je me retourne dans mon lit, mais cette fois-ci bien plus que d’habitude, effectivement cette lettre commence à m’obséder… Dois-je l’ouvrir ? Des milliers de questions me viennent en tête…
Ma vie, serait-elle à ce point sans intérêt que je m’angoisse pour une simple lettre ? Serait-ce le contenu que j’aurais peur de découvrir ?
Et puis de quoi pourrais-je avoir si peur en fin de compte ?
Serais-je si angoissé de découvrir qu’une personne, que je ne trouve ni séduisante ni forcément à mon goût s’intéresse un minimum à moi ? Au fond, quel mal y a-t-il a ça ?
Est-ce que ma vraie peur serait qu'elle perce à jour qui je suis réellement ?
Ah ça, c’est sûr qu’il y en pleins d’autres qui s’en seraient trouvés flattés, qui en auraient fait des tonnes et qui auraient rouler des mécaniques.
Je les vois d’ici c’est gens-là, ils en auraient même profité pour renflouer leurs egos. Comme ferais, n’importe qui doté de bons sens, me direz-vous !
Mais non moi, c’est tout le contraire, je ne suis pas comme ça, et je vais vous dire pourquoi.
Parce que je suis tout simplement minable, j’en arrive à être pris en otage par une simple lettre
Je suis là face à ma lâcheté perpétuelle, et à ma peur du changement.
Je n’ai jamais vraiment su profiter de la vie à fond, je suis toujours là à réfléchir pour tout et n’importe quoi, et c’est encore pire quand la solution est plus qu’évidente, j’ai tendance à me torturer l’esprit et partir dans tous les sens.
Vous savez le pire dans toute cette histoire ? C’est que, mais travers je les connais très bien ! Ils me rongent tous les jours jusqu’à m’en rendre malade.
Tout ce que je suis en train de dire, je le sais déjà même plus que bien, je ne fais que me répéter inlassablement, tel un disque rayé qui tournerais en boucle.
J’ai beau avoir analysé les confins de mon esprit des centaines de fois, retourné chacune des phrases que j’aurais dites dans tous les sens, et essayé de prendre sur moi pour changer des milliers de fois, cela a toujours été un échec cuisant.
Cette vermine que je suis revient inéluctablement, cette facette si minable de ma personne, cette peur inconsciente du changement qui m’entraîne au point d’avoir peur d’ouvrir une simple lettre.
Je répète inlassablement le même cycle et je ne comprends pas pourquoi je n’arrive pas à prendre sur moi et ne plus réfléchir, au moins pour une fois !
Peut-être que si je cessais de penser tout simplement, je pourrais enfin être celui que j’aimerais être et non celui que je suis.
Un trouillard minable, se conformant à tout par peur, quelqu’un à qui on impose ses idées et qui acquiesce sans broncher, celui sur qui on peut marcher et qui ne diras rien.
Un vulgaire paillasson, voilà ce que je suis ! J’ai beau m’idéaliser, essayer de paraître, mais je ne dupe en réalité pas grand monde et les gens le savent très bien.
Je n’arrive même pas à me convaincre moi-même, je ferais mieux d’avouer qui je suis et de crier à tout-va, VENEZ VOUS ESSUYEZ LES PIEDS SUR MOI ! Crachez-moi donc au visage.
Tel le vulgaire insecte que je suis, je vous en remercierais gracieusement !
Mais non ! Même cela, je n’oserais pas le dire ! Je suis bien trop lâche pour pouvoir oser sortir un tant soit peu de ma zone de confort.
Vous savez un insecte ça se cache dans les moindres recoins, et se blottit dans la pénombre. Pourquoi devrais-je être différent de mes congénères ?
Si quelqu’un me bousculait dans la rue volontairement, je ne m’en offusquerais même pas ! Je m’en excuserais même !
Telle une misérable mouche à l’agonie, qu’on essayerait d’écraser, je m’enfuirais, prenant mon envol, avec de la chance, je m’éclaterais contre un mur !
Oui, vous avez bien entendu ! Je m’excuserais d’avoir été là à ce moment précis, car dès qu’une once de conflit pointe le bout de son nez, je disparais, m’efface, et deviens quasiment inexistant.
Et ce n’est pas tout ! Même dans mes rares moments de succès, je suis pareil, au lieu de me glorifier comme quelqu’un de censé, de faire toute une montagne d’un rien, j’ai tendance à tout minimiser.
Je suis exactement comme ce cafard qui s’enfuis dès qu’on allume la lumière !
Oh, dieu seul sait que j’aimerais pouvoir faire partie de ceux qui se lancent des fleurs à tout-va ! Vous savez ces gens médiocres qu’on doit féliciter dès qu’ils se lèvent de leurs lits le matin !
Et si pour une fois, une seule, imaginons que j’acceptais ce qui m’arrive ? Si seulement pour une fois, j’arrivais à regarder la réalité les yeux grands ouverts, lui faisant face ?
Et si au lieu d’être un vulgaire insecte je devenais un lion brave et fier ?
En deviendrais-je quelqu’un de mieux pour autant ? Ou bien me perdrais-je dans les abîmes disparaissant pour toujours ?
Et si je n’avais pas envie de devenir quelqu’un que je ne suis pas ? Si j’avais envie de rester moi-même, seul dans les confins de cette pénombre qui me plais tant ?
Et si en fin de compte, je n’avais pas réellement le choix et que c’était la seule chose à faire ? M’oublier pour survivre.
Il en est assez ! Je dois faire les choses sans réfléchir, et je m’en fais cette fois-ci solennellement la promesse !
A partir de maintenant, je n’essayerais plus d’arrondir les angles ! Je clamerais haut et fort ce que je pense ! Et si cela ne convient pas à certaines personnes ? Tant mieux !
Je serais la parfaite copie de ce que l’on attend de moi, quelqu’un de médisant passant mon temps à juger les autres.
J’arrêterais de faire semblant, m’efforçant d’essayer de plaire à tout le monde. De toute façon, les gens n’en valent absolument pas la peine !
A partir de maintenant, si quelqu’un me bloque le passage, je le bousculerai sans hésiter !
Tel un lion qui se bat pour son territoire, je serais intransigeant ! Féroce même !
Et quand j’arriverais à exécuter la plus petite des taches qui m’incombe, je ferais comme si j’avais trouvé le saint Graal, je me ferais voir par tout le monde.
Oh que oui ! J’obligerais tout, c’est imbécile à s’intéresser à moi ! À m’idolâtrer et à m’envoyer des milliards de fleurs au visage pendant que moi, je resterais là impassible m’efforçant de les rabaisser, leurs plongeant la tête dans les abîmes de leurs médiocrités.
Et puis vous savez quoi en y réfléchissant bien, pour une fois, une seule, je vais en profiter !
J’enfilerais mes plus beaux habits…
Je ferais de Marthe mon sujet d’expérience, je l’utiliserais pour en ressortir grandi, je ferais comme tous ceux qui utilisent les autres pour arriver à leurs fins.
Je l’exhiberai fièrement à mon bras, ne me souciant ni de ses envies et encore moins de ses rêves futiles de jeune fille si fragile…
Pour une fois, je jouerais à ce jeu de séduction qui me débecte tant ! Je lui enfilerais ses plus belles œillères, lui faisant croire au grand amour, et je la persuaderais même, que sans moi, elle n’est rien !
Je ne serais qu’un miroir et elle ne verra en moi que l’illusion qu’elle voudra voir, je lui renverrais le reflet de ses plus beaux espoirs, je me jouerais d'elle, tous les jours un peu plus.
Au fond, elle ne s’en rendra jamais compte, car les gens ne voient en quelqu’un d’autres que ce qu’ils veulent bien voir !
Je ferais d’elle mon jouet la rabaissant plus bas que terre, déchirant son cœur, la rendant presque folle, pour la récupérer ensuite.
Que voulez-vous ? Il faut savoir avancer comme on peut !
Au bout de ces longues minutes interminables de réflexions, reprenant peu à peu mes esprits, je saisi enfin cette lettre entre mes mains tremblotantes, et la déchire pratiquement en essayant de l’ouvrir.
À mon grand étonnement, dedans ne se trouve qu’une vulgaire feuille de papier blanc, pratiquement toute froissée et pliée en quatre que je m’efforce de déployer instantanément.
Vous, y croyez-vous ? Toute, ces jérémiades interminables pour un simple bout de papier !

Dessus, n’est affiché que mon matricule, une adresse, une date et un horaire.


- B 447, 16 juillet 2189, 17 h 30, 17 Rue de Vaugirard


Rien ne laisse à penser que c’est bien Marthe qui a écrit ce texte, elle aurait pu au moins le signer !
Et puis comment pourrais-je le savoir, il m’est impossible de reconnaître son écriture !
Me serais-je encore monté la tête comme le vulgaire crétin que je suis ?
Pourquoi me donnerait-elle rendez-vous dans six jours ? Alors que nous nous voyons au travail quotidiennement !
Il faut que j’arrête de réfléchir inutilement ! Je prendrais mon courage à deux mains, je lui demanderais plus de précisions demain !
Il y a quelque chose qui ne colle pas à toute cette histoire !
De toute façon, c’est un mal pour un bien, elle ne m’intéressait absolument pas ! Nous pauvres humains que nous sommes quoi que nous fassions, nous resterons toujours si misérables, jusqu’à ne plus pouvoir voir la réalité des choses en face, tout simplement conditionné par nous-même, si malléable d’esprits.

Le lendemain, le réveil sonne à la même heure comme à son habitude !
La seule chose qu’il y a de bien avec lui, c’est qu’il n’y a absolument pas besoin de s’en occuper, il détecte automatiquement la date et l’heure à laquelle vous devez vous levez et sonne en conséquence.
D’ailleurs, n’allez pas n'imaginer pas un réveil standard doté d’un cadran avec des aiguilles qui tournent, non-non !
Il est directement incorporé au mur, des enceintes se trouvent à proximité des coussins, juste au-dessus du lit.
Impossible de le berner et de vous soustraire à vos obligations !
Non-non ! Tout a été pensé au millimètre près pour ne vous laisser aucune échappatoire possible, son bruit strident retenti de plus en plus fort, sa sonnerie semblable à une sirène de pompier est de plus en plus rapproché et sonnera jusqu’à vous extirper de force du lit !
Elle fait un boucan terrible, je n’ai jamais réussi à rester plus de cinq minutes allongés à l’écouter.
Au bout d’un certain temps, elle en devient tellement puissante que je suis sûr qu’à force de passivité, elle vous éclaterait les tympans en mille morceaux.
Je ne devrais peut-être pas vous le dire, mais j’avoue avoir déjà essayé d’éteindre cette maudite sonnerie et de me recoucher juste après, sauf qu’il doit sûrement y avoir une sorte de mécanisme qui mesure le poids sur le lit, car dès que je me suis remis sur le sommier, elle s’est remise à sonner de plus belle.
La seule solution serait peut-être de vous insérer ces genres de bouchons d’oreilles, mais ils ne sont plus à la vente depuis très longtemps maintenant, ils sont réservés à des applications professionnels, en même temps, c’est un accessoire de bien-être, donc non-indispensable à la vie courante, le faire produire à grande échelle serait inutile.
C’est vrai qu’aujourd’hui en tout cas, moi, ils m’auraient étés bien utiles, j’aurais pu rester un peu plus longtemps à rêvasser, mais bon, on ne fait pas toujours ce qu’on veut !
J’aurais bien aimé être malade au moins comme ça, j’aurais eu une bonne raison de rester couché, dans ce cas-là, je n’aurais eu qu’à aller devant le miroir me faire ausculter par le système de santé, et j’aurais eu l’autorisation de me recoucher paisiblement.
Que c’est beau la technologie, j’aurais pu dormir sur prescription du médecin !
Quoi ? Non ! N’allez pas croire que j’essaye par tous les moyens d’éviter de parler à Marthe, bien au contraire, je suis bien déterminé à en découdre.
D’ailleurs, je l’avais presque oublié celle-là. Pense-t-elle aussi à moi en ce moment ? Rien n’est moins sûr !
Fini de rêvasser, je me lève enfile ses maudits habits qui n’ont pas été lavés depuis des lustres maintenant, je suis justement censé les amener au pressing du ministère aujourd’hui afin qu’ils m’en redonnent d’autres, et il était temps, ils commencent à sentir le moisi.
Chaussette noire, pantalon noir, chemise blanche, cravate noire, veste noire, sans oublier, le badge à accrocher juste en dessous de la poche de la chemise, qui indique tout simplement mon grade, employé cadre, matricule B 257, coefficient 2.1, à vrai dire, il n’a aucune réelle utilité, hormis celle de savoir à qui on parle.
La dernière fois, d’ailleurs, quelqu’un est venu me poser des questions assez étranges sur mes dossiers, cet homme d’un certain âge, aux cheveux ébouriffé et grisonnant, voulait savoir, sur qui et quoi je travaillais précisément, j’ai trouvé ses questions quelque peu indélicates, sachant que nous ne sommes pas habilités, à parler des dossiers en cours, et encore moins à quelqu’un qui n’arbore pas son badge.
Sans ce précieux sésame comment savoir à qui on s’adresse ?
En l’occurrence, mon flair ne m’a encore une fois pas desservie, je lui ai calmement demandé son matricule ainsi que son coefficient, question à laquelle il n’a voulu donner aucune réponse.
Il s'est tout simplement retourné et à continuer son chemin comme si de rien n’était, je ne m’étais pas trompé, il s’agissait en réalité, d’un contrôle interne sur le respect des procédures, d’autres en ont fait les frais, et se sont retrouvé à la porte comme des malpropres. Mis à pied comme on dit ici !
Que voulez-vous les consignes sont les consignes !
Et s’il y a bien une chose que l’on doit respecter la lettre, ce sont bien elles, le règlement intérieur se doit d’être notre bible, notre livre de chevet en quelques sortes, il faut en connaître chaque ligne par cœur, personne ne peut se prévaloir de ne pas les connaître.
Quant à la tenue réglementaire, je n’ai rien à choisir, et cela me va très bien, je n’ai jamais été très doué avec le choix des coloris, et ça évite toute cette perte de temps à trifouiller dans les placards à la recherche d’habits qui nous iraient ou pas.
De temps à autre aux approches des fêtes, on nous oblige d’ailleurs à choisir entre différents pull-overs, tous plus ridicule les uns que les autres, ils appellent cela le concours du pull le plus moche, une sorte de tradition si vous préférez, cela nous permet de tous nous voir sous un autre jour. À ce qu’ils disent, l’auto dérision parfois ça ne fais pas de mal. Des événements sont organisés assez quotidiennement, des concours d’orthographe, de calcul mental, tout cela dans l’unique but de resserrer les liens entre nous.
Pour tout vous dire, je ne suis pas très enthousiaste à l’idée de ses événements, d’un naturel plutôt solitaire, les liens, j’aurais tendance à vouloir les lier autour du cou de certains, et je n’ai absolument pas besoin d’un pull pour paraître ridicule, mon naturel suffit amplement, je n’ai besoin d’aucun accoutrement.
Une fois habillé, je file devant le miroir me brosser les dents, et passer un léger coup d’eau sur mon visage, cinq minutes d’eau courante, ni plus, ni moins, le décompte est précis, et l’eau s’arrête de couler au moment opportun, j’ai aussi l’obligation de me faire ausculter par ce même miroir.
Il s’agit du système de santé, je n’ai jamais très bien compris son fonctionnement, ce que je sais par contre, c’est que tous les jours, je dois me tenir bien en face de celui-ci, qui analyse grâce à je ne sais quel capteur, si j’ai besoin de telle ou telle vitamine, si j’ai bien dormi ou non, si je souffre d’un quelconque rhume, toute ces données couplées à celle de mon bracelet, permettent de prévenir toute maladies potentiel.
Aujourd’hui d’ailleurs, je peux lire, au travers du miroir qu’ils me préconisent, de la mélatonine, il a sûrement dû remarquer mon stress de ces derniers jours, j’irais en récupérer ce soir, après le travail.
Je ne dirais pas que ces auscultations quotidiennes ont prolongé l’espérance de vie des humains, les données que nous avons à ce sujet sont d’ailleurs assez biaisés, du fait des dernières pénuries de denrées, mais le fait est que d’après le gouvernement, depuis que ce système a été mis en place, les hôpitaux et les médecins, sont beaucoup moins sollicités qu’avant, ce qui n’est pas une mauvaise chose en soit.
Ce système permet d’ailleurs de prévenir, largement en avance toute maladie potentiellement liée à l’âge, dont Alzheimer, Parkinsons, et j’en passe.
Les gens ont tendance à aller voir le médecin pour tout et n’importe quoi, nous avons d’ailleurs la chance d’avoir la gratuité du service médical, ce service est largement subventionné par l’État, même s’il n’est plus question d’argent aujourd’hui, il y a toujours des ressources qui y sont allouées, et pourquoi vouloir gaspiller quelque chose, inutilement.
Je dois me dépêcher, je vais être en retard pour la séance de remise en forme quotidienne, chez nous, on fait la chasse à la sédentarité, c’est comme au temps des Romains, un esprit sain, dans un corps sain.
Après de longues minutes de marches, je me trouve enfin là sur ce satané tapis de course, je cours tout moite et exténué, les gouttes de sueurs, ne font que ruisseler depuis le haut de mon front pour finir par s’écraser un peu partout sur mon tee-shirt.
On aurait pu croire que le simple fait d’avoir marché jusqu’ici m’aurait permis de m’affranchir de la séance de sport quotidienne, mais non ! Bien au contraire elle s’en trouve même plus difficile, après ce seras au tour du moment tant redouté, effectivement le coach sportif, ou plutôt ce satané programme informatique sans cœur, ma préconisé de faire deux séries de vingt squats, vous savez cet exercice qui consiste à faire une flexion sur ses jambes tout en gardant les mains droites devant soit, c’est vrai qu’à première vue, cela parait assez simple à réaliser, mais ce simple mouvement répété en boucle, provoque chez moi une fatigue incommensurable, sachant qu’il faut en plus de çà, avoir la position parfaite, sinon attention, il vous faudra reproduire le bon mouvement, jusqu’à validation de celui-ci.
Le coach recherche avant tout la beauté du geste, l’excellence !
Ici ce programme à tout pouvoir de décision sur quiconque, il sait exactement quel groupe de muscle entraîner aujourd’hui, celui que vous avez travaillés hier,
C’est un vrai tortionnaire ! Ne cherchez d’ailleurs aucune pitié dans son regard, car premièrement, il n’en a pas, et deuxièmement, il considère que vous flagellez de la sorte, il n’en tire aucun plaisir, il fait cela pour votre bien.
Et puis quoi qu’il en soit c’est une machine, il ne considère absolument rien, vous aurez donc, beau pleurnicher sur votre sort ou bien même vous tordre de douleurs, rien n’y fera.
Il vous faudra afin d’apaiser son courroux, vous contentez d’effectuer vos exercices avec une rigueur quasi militaire, jusqu’à validation totale du programme de la matinée.
Et même dans ces conditions ne croyez pas, le satisfaire, le nom de ce programme, « Maximum sport trainer » rien que l’énonciation de son nom en dis long, parfait boulimique insatiable, il en demande toujours plus, aujourd’hui, ce sont deux séries de vingt squats, demain qui sait, ce seront peut-être dix séries de quarante.

A voir la tête des autres participants, aujourd’hui j’ai dû avoir de la chance, ils sont rouges, exténués, à bout de souffle, certains se tiennent le dos, s’étirent, l’odeur répugnante de leurs sueurs me parviens jusqu’au narine, je jette un regard prolongé sur cette pièce, à la recherche de Marthe, mais sans succès, sur un instant je crois reconnaitre de dos sa chevelure blonde, j’empresse alors le pas, jusqu’à arriver pratiquement à sa hauteur, je lui touche délicatement l’épaule de ma main afin d’attirer son attention, mais une fois retournée, je suis pris au dépourvu, à ma grande stupeur, ce n’est pas elle, gêné j’acquiesce tout simplement disant c’est quelques mots.


- Excusez-moi, je vous ai pris pour quelqu’un d’autres.


Je continue ma route à toute vitesse, bousculant au passage cette femme qui n’a rien demandé à personne, je m’empresse de me changer et de remettre mes habits, je ne prends même pas la peine de me passer sur le corps, ce vulgaire gant de toilette humide mis à notre disposition dans les cabines de change.
Je cours, jusqu’au bureau dans l’espoir de l’apercevoir, je bondis sur les marches d’escalier, me tenant à la rampe je les saute pratiquement deux par deux, mais une fois la porte franchis, je me prends maladroitement les pieds sur ce maudit seuil et trébuche, je m’aplatis au sol, mais me relève immédiatement comme si de rien n’était, je ne vois pas l’ombre d’un chat, je suis le premier arrivé et bien heureusement, car personne n’a eu l’occasion d’admirer cette chute rocambolesque.
Je m’assois, allume mon écran, prépare mon bureau, j’attends patiemment, pris d’une certaine nervosité, je les vois tous à la chaîne rentrer les uns après les autres, et de un, et de deux, et de trois. Ils sont tous là, sauf elle ! J’attends encore et encore, cinq minutes passent, puis dix, puis quinze, le temps s’écoule, tout le monde se met à son poste et entreprend de vaquer à ses occupations quotidiennes, malgré moi, je fais de même, sauf que je n’ai pas vraiment la tête à ça.
Les heures passent, et toujours pas l’ombre de Marthe en vue, assis à ma chaise, sans m’en rendre compte, je me mets à remuer la jambe frénétiquement de haut en bas, plein de questions me viennent alors en tête. Où peut-elle bien être ? Pourquoi n’est-elle pas venue travailler aujourd’hui ? Lui est-il arrivé quelques choses ?
Et plus j’y pense, plus ma jambe remue, faisant au passage bouger la table.
Damien, matricule B 799, vraisemblablement lassé par ce remue-ménage constant qui dure depuis des heures maintenant, me dis d’un ton brusque.


- Tu peux arrêter s’il te plaît ?


Ce à quoi je réponds


- Oui, bien sûr, désolé, je ne m’en étais absolument pas rendu compte. Tu sais pourquoi Marthe n’est pas encore arrivé ?


En guise de réponse, il émet un simple hochement de tête de gauche à droite, et me montre du doigt la caméra, pour me signifier, que les discussions personnelles sont interdites durant le travail, c’est vrai que j’avais oublié ce détail, effectivement, l’article N° 17 du règlement intérieur stipule :

Article N° 17 : Les seules conversations autorisées durant l’exécution des tâches qui vous incombent doivent êtres expressément liés à l’élaboration de celles-ci, en aucun cas, vous n’êtes autorisés à adresser la parole à l’un de vos collègues, hormis à un supérieur hiérarchique et seulement dans l’hypothèse où se serait ce même supérieur qui entreprend le dialogue au préalable.
Bien entendu, le caractère d’urgence prévaut à cette règle, les différents caractères d’urgences sont mentionnés à l’article 24 du présent document, s’y référer en conséquence. Tout manquement constaté sera passible, d’un avertissement allant jusqu’au renvoi définitif.


Ici, tout est régi, administré, nous sommes constamment épiés, il y a un protocole pour tout, au total, il y a plus de cent quarante articles qui composent ce satané règlement intérieur, inutile de dire qu’il est impossible pour quiconque de dévier du droit chemin, sinon il passe à la trappe.
Non pas que je sois d’un naturel très bavard, bien au contraire, habituellement cela ne me dérange pas du tout, j’apprécie le silence, mais je trouve cette règle en particulier totalement absurde.
Si mon stylo tombait à terre et qu’il roulait malencontreusement, jusqu’au pied d’un de mes collègues aurais-je le droit de lui demander de le ramasser ? Si j’étais pris d’un quelconque mal, aurais-je le droit de crier à l’aide ?
N’ayant pas d’autres choix en l’occurrence, je reprends tout simplement mes occupations, essayant de garder ma concentration à son maximum.
La journée se finit sans surprise, sur la même note qu’à son commencement. J’avais essayé par tous les moyens de savoir pourquoi Marthe n’était pas venu travailler, mais personne n’en savait rien, à l’heure du déjeuner, j’ai même réussi non sans mal à m’extirper des conversations ennuyeuses de B 799, afin d’aller faire le tour des bureaux, j’essayais de me convaincre en vain, qu’on l’avait peut-être simplement changé de service.
Elle avait tendance à ne pas manger avec les autres, peut-être aurais-je la chance de la croiser « inopinément » dans l’un des bureaux.
Il était fréquent d’être de remplacement pour la journée, cela se produisait en général quand un autre service était totalement débordé, ou en sous-effectif, dans mon imaginaire cela était tout à fait plausible.
J’ai donc monté et descendu désespérément à la recherche de Marthe des dizaines et des dizaines de fois les nombreuses marches de ce maudit escalier, jusqu’à en user mes malheureuses chaussures.
Je déambulais frénétiquement dans ces longs couloirs, claquant les portes les unes après les autres, jetant à l’intérieur de chaque pièce un regard plein d’espoir, suivie d’une désillusion immédiate, désillusion qui a chacune de ses maudites portes s’amplifiais de plus en plus, jusqu’à atteindre la dernière d’entre elle, qui me fis tomber dans les méandres du désenchantement le plus total.
Je n’étais plus que l’ombre de moi-même, comme envoûté, sans espoir, au bord des larmes et pris d’une fatigue nerveuse, que je n’avais jamais ressentis jusqu’à lors, j’avançais sans but et sans fin, le long de ses couloirs. Sans ambition, tentant encore parfois désespérément la chance, j’ouvrais de temps à autres une autre porte, que j’avais déjà ouvert au préalable. Sait-on jamais !

Non ! Je ne pouvais m’y résoudre ! Je devais la retrouver coûte que coûte !

Tel une fouine, toujours aussi obnubilé, je continuais donc à errer un peu partout, j’allais jusqu’à demander à n’importe qui, de passage.

- Excusez-moi, vous n’auriez pas croisé par hasard une jeune fille blonde, portant des lunettes, passée à l’instant ?

Certains me répondaient tout simplement, d’un « Non pas du tout, désolé ! » Mais la plupart ne prenaient même pas cette peine et en guise de réponse me jetaient tout simplement un regard vitreux, remplis de mépris, comme si j’étais le pire des pestiférés.

Au rez-de-chaussée, sur le détour d’un couloir, j’aperçus, une allée qui jusqu’à maintenant m’était inconnue. À ce moment-là, j’avais perdu tout espoir de retrouver Marthe, je m’engouffrais dedans par simple curiosité.
Et quel ne fut pas mon étonnement, au bout de ce long couloir, une simple porte, donnant sur un escalier que je m’empressais d’arpenter,

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