La gueule de l'emploi

14 minutes de lecture

Le second à mourir fut Lurk. La Buse en fut presque désolée : c’était un des lieutenants de Brugue. Plutôt beau garçon. Ils avaient couché ensemble quelques mois plus tôt. Elle s’était même dit que ça pourrait ne pas être trop désagréable de le revoir.

C’était de toute façon compromis maintenant, puisque Lurk était sur le dos, les jambes secouées de spasmes, ses deux mains pressées sur sa gorge béante, pendant que des bouillons de sang coulaient, entre ses doigts. Il pleurait, bavait, le visage barbouillé de morve. Il plaisait un peu moins à la Buse comme ça.

Elle continua d’avancer dans le couloir sombre, ramassée sur elle-même, à peine éclairé par quelques chandeliers à la lumière glauque. Arrivée à un angle, elle se plaqua dos au mur. Une cavalcade descendait l’escalier. Elle compta : un, deux, trois, quatre. Parfait.

Ce qui faisait d’elle la personne la plus dangereuse des Trois Ducats, c’était sa capacité à toujours conserver la tête froide.

Elle n’était pas la plus forte.

Et pas, toujours, la plus rapide.

Mais elle gardait, même dans des tempêtes de chaos indescriptibles, qui souvent étaient de son fait, un calme glacial et une détermination de rapace.

Et un manteau.

Son manteau.

Elle passa ses mains dans les rabats du vêtement et en sortit deux petites arbalètes à répétition. Ses préférées. Elle jaillit, toujours accroupie, au pied de l’escalier. Un, deux, trois, quatre. Les hommes tombèrent les uns sur les autres, émettant des grognements sourds au moment où les viretons s’enfonçaient dans leur corps.

Arbalète-de-la-mort. Je vais devoir choisir un nouveau nom pour aller à l’Ouest. Un peu long, peut-être, pensa-t-elle en enjambant les corps pour en monter l’escalier.

Arrivée en haut, elle sentit, plus qu’elle ne vit, les flèches qui lui étaient destinées. Dans un réflexe désespéré, elle plongea sur sa gauche. Pas du tout une roulade élégante et maîtrisée. Elle tomba douloureusement sur le dos, sans grâce. Heureusement, il y avait une pièce ouverte. Malheureusement, il y avait deux hommes de Brugue dedans.

Instantanément, deux traits leur traversèrent le menton, leur cloison nasale et ressortirent par le haut de leur crâne pour se ficher dans le plafond en bois marqueté. La tête froide, le calme glacial. Et beaucoup de chance.

La Buse se releva, en grimaçant et en se frottant le dos. Dix ans déjà qu’elle se disait qu’elle n’avait plus vingt ans.

Bon, ces salopards l’attendaient dans le couloir. De ce qu’elle avait pu en voir en arrivant à l’étage, ils s’étaient retranchés derrière des tables qu’ils avaient mises en travers du passage.

C’était assez flatteur qu’une des bandes de malfrats les plus craintes des Trois Ducats s’était retranchée pour l’affronter elle seule, comme s’il s’agissait d’un escadron de Rais de Sang.

En attendant elle était bloquée dans une pièce aveugle. Pas de fenêtre pour s’esquiver, pas d’autre porte. Juste des caisses en bois vides, un vieux mannequin et deux cadavres encore chauds.

Elle passa un bras dans l’embrasure de la porte, une flèche se planta presque aussitôt dans l’encadrement de bois.

— Fais chier !

Elle rangea ses arbalètes dans son dos et en ressortit deux petites sphères en terre cuite de quelques centimètres de diamètre.

— Putain, toi aussi tu me lâches ? Je fais quoi avec ces conneries, moi ?

Le manteau avait toujours offert ce qu’il fallait, pas ce qu’elle voulait, mais là il se foutait de sa gueule.

De rage, elle lança une des boules d’argile contre un mur. Elle comprit tout de suite. Elle eut juste le temps de mettre son foulard sur son nez et de rabattre le capuchon du manteau, avant qu’une épaisse fumée grise et irrespirable n’emplisse le petit réduit dans lequel elle s’était réfugiée.

Elle se promit de s’excuser auprès du manteau… et ensuite d’arrêter de causer à un foutu vêtement.

Elle s’accroupit, jeta la dernière bille au fond du couloir, compta jusqu’à trois et attendit que les gardes de Brugue se mettent à suffoquer et à tousser avant de s’élancer, une dague longue à lame courbe dans chaque main.

Elle monta l’escalier du dernier étage, les cheveux plaqués de sueur, ses bottes poisseuses de sang. La fumée se dissipait. Elle souriait.

Elle s’arrêta devant la grande porte de la halle du dernier étage.

Là où Brugue recevait. Elle savait ce qui l’attendait derrière : une grande pièce décorée avec une élégance surprenante pour un malfrat. Pas clinquant, juste chic.

Deux coursives latérales en bois, sur lesquelles une dizaine d’hommes de main l’attendraient. Leurs arbalètes pointées vers l’embrasure. Et au centre de la pièce, en rang serrés en bas, protégeant leur chef, le reste des hommes de Brugue.

Elle, la personne la plus dangereuse des Trois Ducats, allait finir en mode effiloché sur un tapis qui valait plus cher que sa dette.

Un air bête de taverne lui revint, qu’elle fredonna en passant ses mains dans son dos :

— Ce soir je vais me payer du bon temps. Ne me stoppe pas maintenant, je me sens vivant…

On y était.

Elle avait atteint les limites de son plan et peut-être d’un peu plus. C’était là, le moment du saut dans le vide.

Elle se laissa glisser dos à la porte et s’assit.

Ne pas crever juste pour emmerder l’Hinterland ? Non mais sérieusement ? Aller à l’Ouest ? Pfouah ! La blague. Elle se ferait chier là-bas.

Non son plan n’était pas un sursaut de vie ou une connerie de ce genre. Elle avait juste prévu de crever en emmenant le plus de monde possible avec elle. Pas plus.

De toute façon, elle ne pouvait plus reculer. Si elle faisait demi-tour maintenant, Brugue la ferait traquer jusqu’à la fin de ses jours. Peu importe combien il y en aurait.

Ces derniers temps elle avait beaucoup repensé au Nord. À cette nuit qui avait ensuite tout conditionné. En réalité elle n’avait jamais pu s’affranchir de l’écho de ces instants. Et des pleurs de ses sœurs.

Elle passa sa main dans une de ses poches et trouva la fiole de poison. Ça aurait quand même été plus rapide. Et puis elle aurait pu en profiter pour se bourrer la gueule. Une dernière fois. Elle en sourit, tristement cette fois.

La chanson s’imposa encore à elle :

— En suspension et en extase, donc ne m’arrête pas, car je m’éclate, m’éclate…

Elle se redressa vivement et se dérouilla les épaules avant d’inspirer profondément en fermant les yeux.

C’est qu’il fallait du courage, en fait, pour passer volontairement le seuil de la vie à l’obscurité glaciale.

D’un coup de pied elle ouvrit la porte, une arbalète et un couteau de jet en main. Et plus grand-chose à perdre. Ou à espérer.

En se jetant dans la halle, elle eut le temps de vivre assez longtemps pour trébucher minablement dans quelque chose au sol. Encore assez longtemps pour sentir la douleur quand elle s’entailla avec sa propre lame en tombant.

Elle était encore en vie quand elle se rendit compte que l’obstacle sur lequel elle avait buté était la tête de Brugue. Détachée de son corps.

— Ça annule la dette ? demanda la Buse, toujours affalée sur le côté, à l’intention du crâne, les yeux ouverts et la langue pendante.

Elle se redressa, jeta l’arbalète et sortit une épée fine de son manteau, observant la salle. Son flanc entaillé la lançait. Elle y passa la main, qui ressortit poisseuse d’un sang épais.

— Fais chier.

La salle était vide, aucun des hommes de Brugue n’était présent.

En fait non : quelqu’un était avec la Buse dans la grande halle.

Au fond, derrière le fauteuil que le bandit appelait son trône, caché autant que sa masse le pouvait, dans l’obscurité d’une des coursives, se tenait le colosse. Celui aux bottes couvertes de vomi.

Il s’avança d’un pas.

— C’est à toi que je dois dire merci ? demanda la Buse en mimant de la main un geste de décapitation.

Le géant ne répondit pas. A la place, un petit tintement régulier se fit entendre.

Une jeune fille menue sortit de l’ombre du colosse. Elle se déplaçait avec difficulté, soutenue par des cannes d’ivoire magnifiquement ouvragées, chacune valant bien plus que trente-cinq mille cuivres-argents.

Sa tenue, sobre, se composait d’un chiton en tulle de soie sombre rehaussé de motifs complexes brodés en fil d’argent. Sur la tête, elle portait une résille de perles, de palladium et de phalanges, que la Buse supposait humaines, polies, qui produisait un chuintement presque aquatique à chacun de ses mouvements.

Son visage diaphane, aux traits encore juvéniles portait les scarifications classiques d’une Seigneure d’Or de plus de douze ans.

À son cou pendait une pépite d’or sertie.

Une Chrysaphoros, à Porte-Sud, quel honneur, pensa la Buse.

Une héritière d’une des cinq Grandes Maisons Seigneuriales. La plus grande peut-être même.

La jeune Seigneure était flanquée de deux personnages qui s’étaient presque matérialisés à ses côtés. Entièrement vêtus de noir et portant une armure légère à lamelles de cuir, leur visage était dissimulé par un masque de métal mat seulement percé de fentes aux yeux. Des Sudjahiks. Des gardes de grande qualité.

Merde ! Depuis l’épisode des Sœurs du Tombeau elle détestait les gens qui portaient des masques et des épées.

Brugue, c’était eux. Le colosse aurait aussi arraché les bras. Et les jambes.

Discrètement, la Buse passa les mains dans son manteau et en sentit les manches des lames de jet. Ça pourrait faire l’affaire avec les deux gardes. Mais pour Montagne violente, ça reviendrait à essayer de couler un iceberg en crachant des noyaux d’olive dessus.

La Buse comprit ou étaient les hommes de Brugue. L’argent d’une Seigneure d’Or pouvait acheter n’importe qui. Dommage que Lurk n’ait pas été mis au courant.

La petite Chrysaphoros avait eu un compte à régler avec le gars, avec qui la Buse avait un compte à régler. Et la gamine et ses amis patibulaires avaient géré ça, de façon plutôt efficace. Pour une fois que ça tournait pour elle, elle n’allait pas bouder son plaisir.

La jeune fille lui sourit et la Buse eut le temps d’apercevoir ses dents taillées en pointe et incrustées de gemmes, l’émail percé à vif.

Ces salopes adorent souffrir. Et instinctivement elle passa sa langue sur une de ses incisives anormalement aiguë. La seule qu’ils avaient eu le temps de limer. Avant cette nuit. Un petit bout d’ivoire pointu qui la rattachait encore, malgré elle, à cette jeune Seigneure et à son monde.

— Je vais y aller, hein. Bravo pour… ça.

Elle pointa du pouce la moitié de Brugue.

— Je ne vous ai pas vus. Vous ne m’avez pas vue. Ok ?

Elle se retourna et commença à s’éloigner.

— Attendez !

La voix de la Seigneure était douce, pas hautaine ni impérieuse comme l’aurait attendu la Buse. Elle demandait. N’exigeait pas.

— Nous vous attendions.

La Buse s’arrêta. Ses épaules s’affaissèrent. Elle ne bougea plus pendant quelques instants, puis capitula. Elle souffla et se retourna.

Pourquoi je me retourne toujours ? pesta-t-elle.

— Ce matin, enfin… à mon réveil, je n’étais moi-même pas certaine d’être là, maintenant. Comment pourriez-vous m’attendre ? Votre altesse… Seigneuriale ?

— Elwig Petits-Pieds le savait.

La jeune boiteuse désigna le colosse d’une fine main gantée.

La Buse examina les pieds d’Elwig. Minuscules. Elle ricana. Pas croyable qu’un tel tas de muscles tienne sur ces moignons. Elle n’avait pas fait attention, trop occupée à les couvrir de vomi.

Le géant ne perçut pas la moquerie.

La Seigneure continua :

— Il sait énormément de choses. Sur nous tous. Pas toujours tout, ni tout le temps. Pour lui, c’est comme si notre histoire s’écrivait au fur et à mesure. Je l’avais chargé d’un message pour vous. Mais, vous l’avez quelque peu…

La jeune fille désigna avec délicatesse les bottes encore souillées. La Buse se remit à pouffer. Le géant encaissa encore.

La Seigneure reprit :

— Il m’a dit que vous étiez la personne la plus…

Elle hésita.

— … la plus dangereuse de cette ville.

La Buse eut du mal à cacher sa déception. De la ville ? Non mais faut pas déconner là. Je suis pas un vulgaire caïd de quartier. Les soudards de l’entrée étaient peut-être les plus dangereux de leur ruelle. Lurk était sans doute un des hommes les plus dangereux de la ville. Et il était mort en faisant de petites bulles de morve avec son nez.

Mais elle était la Buse. La personne la plus dan…

Ses récriminations silencieuses furent interrompues par la Seigneure qui reprit :

— Je voudrais vous proposer du travail, Madame Buse.

— La Buse, c’est suffisant, coupa-t-elle, faussement modeste.

— Buse, dit la jeune fille.

— Non, La B… laissez tomber. Quel job ?

Mais putain, pourquoi faut que tu demandes ? Tu réponds juste « Non merci ». Tu ne retournes pas, tu ne demandes pas « Quel job », bordel à cul.

— Tuer mes mères, mes grandes sœurs et mes tantes, dit la jeune Seigneure le plus naturellement du monde.

Elle reprit après une pause :

— Mais aussi exterminer la maison Leukagyros.

La Buse éclata d’un rire forcé, qui sonnait vraiment faux.

Elle savait, pour l’avoir subi, que ces ordures consanguines du Nord avaient tendance à s’entretuer. Mais elle pensait avoir compris que, comme partout, c’étaient les gros poissons qui liquidaient les petits.

C’était en tout cas ce qu’elle avait déduit quand elle avait vu, à huit ans, cachée dans une armoire, un garde de la maison Leukagyros exploser le crâne de sa petite sœur contre un seuil de fenêtre.

Mais là, se trouver face à cette gamine aux jambes trop maigres et trop tordues pour la soutenir, parler d’occire au moins deux branches entières des souveraines les plus puissantes du Nord, voire de l’Hinterland, ça lui en jeta un petit.

Elle tenta de garder son flegme et sauta d’un bond sur la longue table en bois qui trônait au milieu de la halle. Elle marchait sur l’épais plateau en évitant la vaisselle qui était dressée.

— Ça, c’est des vrais problèmes de famille, et je sais de quoi je parle ! On ne serait pas cousines ?

Elle descendit finalement de la table puis déambula en silence dans la pièce vide et froide, les mains croisées dans le dos, sous son manteau, ses pas claquant trop fort sur les dalles en pierre.

La petite infirme ne plaisantait pas, c’était clair. La Buse voulait en savoir un peu plus. Cette proposition de travail au Nord n’était pas anodine.

Elle avait un sens aigu de la réparation en ce qui concernait les torts qui lui étaient faits. La preuve : elle avait massacré au moins dix personnes qui ne lui en avaient fait aucun, quelques minutes auparavant. Juste au cas où.

Pourtant, il y en avait un pour lequel elle n’avait jamais rien réclamé. Un qu’elle avait choisi de laisser loin derrière, sans réparation. L’outrageuse offense encore béante, sur laquelle elle avait juste déposé un voile d’oubli. Et d’excès.

Et là, cette nuit de mort lui était renvoyée au visage par une gamine boiteuse qui, dans une autre vie, aurait pu décider elle-même d’exterminer sa famille.

Elle fit encore quelques pas et s’assit sur le trône de Brugue, un lourd siège en bois à l’assise en velours gris et orné de fourrures. Chic, mais pas très confortable.

La Seigneure la laissa patiemment s’installer, avant de reprendre doucement :

— Vous n’étiez qu’une enfant. On vous croyait toutes mortes. Je sais qui vous êtes. Elwig me l’a dit.

Un silence s’abattit. Puis la Buse éclata de nouveau d’un rire nerveux trop bruyant.

Foutu géant, tu connaîtrais pas les runes de la grande loterie, plutôt ?

Elle aurait bientôt une conversation avec lui. Ou elle lui arracherait la glotte, tout dépendrait. En attendant, elle joua la carte de la mauvaise foi.

— Vous êtes marrante. On peut savoir de quoi vous parlez ?

Le siège était de moins en moins confortable. Elle sortit un couteau du manteau et affecta de se curer les ongles.

La Seigneure ne répondit pas, elle se contenta de sourire doucement, sans malice.

Bordel… Mais comment elle fait ?

— Vous croyez que vos vieilles histoires de famille, vont me faire remonter au Nord ? Je pense que je vais passer mon tour, merci.

La Buse n’avait pas encore réussi à estimer les conséquences, impliquant un colosse et deux gardes hautement qualifiés, d’un refus définitif. Et puis la situation avait un peu évolué.

Lorsqu’elle avait franchi la porte de la halle, elle était prête à mourir en emportant le monde avec elle. Depuis, elle avait vu la tête de Brugue sur les dalles, loin de son corps.

C’était le genre de vision qui lui redonnait un peu goût à la vie.

Problème trois sur trois, soldé.

La Buse s’étonnait de la vitesse à laquelle les choses pouvaient changer.

Aussi, et même si la conversation lui plaisait de moins en moins, elle essayait de gagner un peu de temps.

Elle lança nonchalamment son couteau en direction de la poutre au-dessus de sa tête.

Le jet était totalement raté : ses mains tremblaient, et le couteau retomba dans sa direction toute lame devant.

La Buse sauta à toute vitesse du trône, juste à temps pour éviter l’arme qui se planta dans l’assise avec un bruit mat.

Les Sudjahiks ne réagirent pas. Seul Elwig arqua légèrement un sourcil.

Toujours pas impatientée par le cirque grotesque de la Buse, la Seigneure reprit :

— Je ne vous demande pas uniquement de revenir. Je vous propose d’avancer. D’écrire la fin de l’histoire qu’on vous a volée. Et je vous donne les moyens de le faire.

Touchée.

La Buse, qui peinait à retirer le couteau planté dans le fauteuil, s’arrêta, se tourna vers la Seigneure et inclina la tête.

— Les moyens, hein ? Et c’est quoi ? Une bénédiction ? Une grosse poignée de pièces ? Et puis qui vous dit que j’ai encore quelque chose à faire de cette histoire, qui n’a d’ailleurs pas forcément eu lieu ? Elle s’était approchée de la Seigneure et de son escorte.

— Et qui vous dit que j’ai envie d’aller me faire trouer la peau pour vos petites querelles de famille ? Et surtout : vous avez fait tout ce chemin pour ça ? Vous n’avez pas des messagers ou des pigeons ? Sérieusement ?

— Ce sont les coutumes. Je dois demander personnellement le prix de la vie. Et vous aurez une compagnie. Des mercenaires. Des armes.

Ok, la petite savait lui parler.

Mais la Buse ne voulait pas capituler aussi facilement. Elle reprit :

— Des hommes, j’en ai eu, des armes encore plus. Et pourtant je ne suis jamais retournée au Nord, pour y régler quoi que ce soit. C’est peut-être que j’ai mes raisons, nan ? Vous croyez pas, votre Seigneurie ?

Elle se ficha devant la jeune infirme, à bonne distance tout de même. Elle avait perçu l’infime changement de position des deux gardes. Elwig, lui, restait impassible, presque pas concerné par la conversation.

— C’est toute l’histoire de votre vie : une fuite en avant perpétuelle, pour ne pas avoir à vous retourner. Pour ne pas avoir à revenir sur cette nuit. La Chrysaphoros sourit à la Buse. Sans justice, sans vengeance, aucune liberté pour vous, Madame Buse. Et vous le savez. Elle montra la pièce vide de la main. Ce soir vous étiez acculée et vous êtes allée au bout de votre logique. Sans notre intervention, cela aurait été la fin de votre histoire. C’est une offre inespérée.

Encore touchée.

La Buse devait reprendre l’avantage, mais juste pour la forme.

C’était le moment de dégainer son meilleur argument :

— Combien ?

Un marché venait d’être conclu. La jeune Seigneure sourit mais ne répondit pas. Ce n’était pas la peine, la Buse savait que cette enfant pouvait lui offrir bien plus qu’elle n’aurait pu compter. Ou boire.

Elle retourna d’un pas décidé vers la table, prit un cruchon, le sentit, but une gorgée de vin, s’essuya d’un revers de manche. Elle s’assit sur le coin du plateau de bois poli, soupira. Puis dit en fixant la jeune fille :

— Je pars à la fin de la semaine, je veux la moitié du solde et voir la compagnie avant.

Elle se leva, fit une révérence grotesque.

Elle avait une ardoise à régler dans une auberge ce soir.

Instinctivement, la Buse passa une main dans son dos. Sous son manteau.

Après tout, aller au Nord, c’était comme aller à l’Ouest, puis tourner à droite.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire lkreuz ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0