Chapitre 5

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Même si mon fils avait essayé de m’éviter au maximum, cette après-midi avait été incroyable. Tous les invités étaient rentrés chez eux et chacun était désormais chacun dans sa chambre. Avant de me coucher, je terminais de prendre une douche, de me préparer et sortie de la salle de bain. J’aperçus alors Océane, allongé dans les draps dans une drôle de position. Elle tentait de me séduire, je le savais, mais je ne comptais pas me laisser avoir.


— Tu en as mis du temps, commença-t-elle.

— Il faut bien, répondis-je le plus neutre possible.

— Tu as pensé quoi de cette fête ?

— Plutôt bien réussi. Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas passé un tel événement en famille. Ça fait du bien.

— Je suis bien d’accord avec toi mon amour. Mais il manque encore quelque chose.

— Quoi donc ?


En sachant pertinemment ce qu’elle voulait, je posais ma robe de chambre dans la penderie et m’allongeait au côté de ma femme. Sa main se posa instantanément sur mon ventre. Dans ses yeux, je comprenais ce dont elle avait envie.


— Tu veux commencer par quoi, chérie ?

— Pas ce soir, Océ. Je suis fatiguée.

— Qu’est-ce qu’il se passe, Elena ? C’est la première fois que tu me dis non.

— Je suis juste épuisée, ne t’inquiète pas.

— Qu’est-ce que tu ne me dis pas ? C’est à cause de Ben c’est ça ?

— Je ne supporte plus cette situation. Le voir s’éloigner de moi chaque jour, sans que je ne puisse rien y faire. J’aimerais savoir ce qu’il pense, percer l’abcès, mais il refuse de me parler.

— Tu sais qu’il a entraînement de tir à l’arc demain ?

— Après l’école oui.

— Emmène-le. Va le voir tirer, prenez une glace, promenez-vous au parc. Faites quelque chose ensemble. S’il est seul avec toi, il sera bien obligé de te parler.

— C’est vrai que je ne suis jamais allé à l’un de ses entraînements.

— C’est l’occasion. Et si vraiment il n’y a rien à faire, j’aurais une conversation avec lui. Ça te convient comme ça ?

— Je vais faire ça. Faudra juste que je reporte exceptionnellement ma réunion avec tous les apprentis.

— Fais-la le matin au lieu de l’après-midi.

— Bonne idée ça. Merci mon amour.


Sur cette perspective de changement, je m’endormis dans les bras de ma femme en souriant. Contrairement à moi, elle trouvait toujours une solution à mes problèmes, surtout quand ça concernait l’organisation de mon emploi du temps. En même temps, elle était aussi là pour ça.


C’est de bonne humeur et en pleine forme que j’attaquais cette nouvelle journée. Mes enfants me rejoignirent pour le petit déjeuner et j’en profitais pour prévenir tous les tuteurs de l’avancement de la réunion. A dix heures précise, tuteurs comme apprentis était réuni autour de la table de la grande salle. Seule Kaitlyn, l’apprentie informaticienne de Juliette fut excusée, sa mère étant malade.


— Merci à tous d’être venu plus tôt. J’ai prévu de passer la fin d’après-midi avec mon fils, mais tenait à faire cette réunion. Bianca, où est Emma ?

— Un problème urgent. Elle va vite arriver.

— Très bien. Commençons par faire un tour de table. Les jeunes, je vous écoute.


Ses réunions, qui avaient lieu une fois par semaine, avaient pour objectif d’assurer un apprentissage de qualité aux jeunes. Ils devaient d’abord donner leurs ressentis sur la semaine passée avant que leur tuteur ne fasse de même. L’apprentissage n’était pas encore très répandu au sein de l’Empire alors je mettais un point d’honneur à ce que tout ce passe bien au château. Dans chaque corps de métier présent ici, il y avait un apprenti.


— J’ai réalisé le dessert d’il y a deux jours. Ce n’était pas exceptionnel, mais j’en suis fière, expliqua Timothée, l’apprenti pâtissier.

— La mousse au chocolat ? Si ma femme avait pu, elle aurait tous gardé pour elle. Tu peux être très fière de toi, Timothée.

— Merci Votre Majesté. Bianca, quelque chose ne va pas ?

— Et bien…

— Je me doute que ça ne doit pas être facile pour toi d’évoquer Emma en sachant la relation que j’ai avec elle, mais tu peux tout me dire.

— Depuis quelques jours, je trouve qu’elle me donne trop de responsabilités.

— C’est-à-dire ?

— C’est-à-dire que cette jeune fille doit apprendre à sa débrouillée par elle-même, la coupa Emma en entrant. Si je te laisse autant de responsabilités, c’est que tu en es capable, Bianca. Tu viens de commencer ta deuxième année, il serait temps pour toi de prendre des initiatives et ton courage à deux mains.

— Emma, soupirais-je. C’est elle qui devait parler, pas toi.

— Si tu ne me crois pas regarde son dossier, c’est la meilleure de sa classe.

— Mais ça ne veut pas dire pour autant qu’elle est capable de tout faire seule. Avant que cette discussion personnelle n’aille plus loin, vous avez autre chose à dire ?

— Non, Votre Majesté.

— Vous pouvez retourner à vos occupations. Bianca et Emma, vous restez.


En attendant que tout le monde quitte la pièce, je me levais pour regarder par la fenêtre. Toujours assise, Bianca n’osait bougé ou dire quoi que se soit. Emma, elle, ne se gêna pas pour se mettre à côté de moi.


— C’est bon, nous sommes seules.

— Pourquoi tu lui mets autant la pression ?

— Parce qu’elle est capable de la supporter.

— La preuve que non !

— Mais tu as fini de me contredire ? Si je te dis qu’elle en est capable, c’est que c’est vrai. Il lui faut juste le déclic pour arriver à se surpasser.

— En la poussant à bout ?

— Exactement. Ce n’est pas en restant dans sa routine qu’elle deviendra une gouvernante hors pair. Une gouvernante doit savoir gérer n’importe quelles situations imprévues et c’est ce que j’essaie de lui apprendre.

— Pourquoi ne pas lui donner une semaine de vacances ?

— Ce n’est absolument pas le bon moment pour lui donner une semaine de vacances ! Il y a beaucoup de choses à préparer avant un bal, mais plus encore les jours suivants.

— Tu m’énerves à toujours vouloir avoir raison, Emma. Pourquoi tu ne veux pas te remettre en question ?

— Tu n’es pas sérieuse là ?

— Au contraire. Prends ta semaine de vacances et laisse gérer seule durant cette semaine, sans que tu sois sur son dos. À ce moment-là seulement, je pourrais envisager que tu t’y prends de la bonne façon.

— Tu me trouves incompétente ? Après Elsa et David ?

— Tu n’es pas incompétente, Emma. Quant à Elsa et David, tu ne les as pas à former à devenir Gouvernante ou Majordome. Bianca si.

— Tu veux vraiment retrouver le château sens dessus dessous ?

— Tu ne lui fais pas confiance ?

— Bien sûr que si.

— Alors, prends ta semaine de vacances et laisse-la faire. Je m’assurerais personnellement que tout va bien pour Bianca et au moins un problème, elle m’en parlera.

— Tu… rha ce que tu m’énerves à être si convaincante. Tu n’es pas Impératrice pour rien.

— Pourquoi vous vous disputez toutes les deux ? intervint Océane en rigolant.


Ma femme se rapprocha et entoura ma taille avec l’un de ses bras. Quand elle croisa le regard de Bianca, elle lui adressa un discret signe de tête.


— Emma prend des vacances.

— Sérieux ? Depuis quand tu prends des vacances toi ?

— Depuis que ta femme m’y oblige.

— Vous savez que c’est obligatoire de prendre des vacances ?

— Tu ne vas t’y mettre toi aussi.

— Allez, Emma, tu prends tes cliques et tes claques et tu rentres chez toi.

— Tout de suite ?

— Oui tous de suite.

— Très bien, très bien. Bianca, s’il y a quoi que ce soit, tu n’hésites pas à m’appeler.

— Va-t’en Emma, dépêche-toi ! rigolais-je.

— C’est bon, c’est bon, j’ai compris.


Dès qu’Emma quitta la pièce, je sentis que Bianca respirait mieux. C’était vrai qu’avoir Emma sur le dos était pesant, l’ayant vécu pendant ma grossesse et je la comprenais.


— Je compte sur toi maintenant, Bianca.

— Merci, Votre Majesté.

— Je ne te retiens plus.

— Tu as vraiment forcé Emma à prendre sa semaine ? m’interrogea ensuite Océane.

— Oui. j’ai senti un malaise entre elle et Bianca et c’est la solution que j’ai trouvée pour résoudre le problème. Emma pense que Bianca est tout à fait capable de se débrouiller seule, mais elle doit avant tout se le prouver à elle-même.

— On verra bien alors.


J’embrassais rapidement Océane avant d’aller dans mon bureau rédiger mon rapport sur cette réunion. Ça plus toutes mes tâches quotidiennes occupèrent la majeure partie de ma journée. Quand vint enfin l’heure pour moi d’aller récupérer mon fils à l’école, un nœud se forma dans mon estomac, mais je ne laissais rien paraître. Un soldat m’emmena à l’école et j’attendis devant le portail que mes deux enfants sortent.


— Maman ? m’interpella Élise. Qu’est-ce que tu fais là ?

— C’est moi qui vais emmener ton frère à son entraînement.

— Et puis quoi encore ? rouspéta mon fils.

— Bonne idée ! De toute façon je dois aller faire mes devoirs chez une copine.

— Je sais, ta mère viendra te récupérer vers dix-neuf heures, comme…

— Comme d’habitude. Soit gentil avec maman, tête de piaf.


Ma fille s’éloigna pour retrouver la mère de son amie. C’est en ronchonnant que Ben grimpa dans la voiture avec moi. Même s’il était assis à côté de moi, il regardait par la fenêtre, m’ignorant.


— Ben, est-ce qu’on peut…

— Pourquoi c’est toi qui es venu me chercher et pas maman ?

— Parce que j’aimerais qu’on discute tous les deux. Mais on le fera après ton entraînement. Ça te dérange ?

— Non. J’ai aussi des choses à te dire.

— Je suis ravie de l’entendre, chéri. J’ai justement envie que tu me parles.


Il se tourna vers moi et me sourit rapidement avant de se reconcentrer sur le paysage. J’avais réussi le premier pas. Ben acceptait enfin de me parler. Il semblait content de savoir que j’avais envie de discuter avec lui, mais surtout que j’attendais qu’il me parle, de savoir ce qu’il pensait réellement. Il resta tous de même silencieux pendant le reste du trajet.


En arrivant au stadium de tir à l’arc, je le laisser faire et rejoignis les gradins pour le regarder. Son entraînement durait une heure et demie. C’était la première fois que je le voyais en dehors du château. Ici, avec ses amis, il n’avait rien du jeune garçon distant et imprévisible que je connaissais. Avec eux, il n’était en rien vicieux et n’essayait pas sans cesse de les blesser comme il faisait avec moi. Ici, il était le garçon que j’avais toujours voulu avoir. Celui que je m’efforcer, depuis dix ans, de former. Par son comportement avec ses amis et son talent au tir à l’arc, j’étais fière de lui.


— Pourquoi tu n’es pas comme ça avec moi ?

— Parce que.

— Une glace avant d’aller discuter au parc ça te dit ?

— Carrément !


Allais-je enfin réussir à comprendre mon fils ? Lui qui avait promis à sa mère de faire un effort avec moi en faisait vraiment. Après avoir acheté nos glaces, on commença notre balade au sein de la belle étendue verte du parc de Glenharm.


— Tu sais chéri, celui que tu es avec tes amis, c’est ce pour quoi je me suis toujours battue. J’ai toujours essayé de t’élever pour que tu deviennes un homme comme ça. Sensible, attentionné, altruiste et aimant. Même si tu n’es pas comme ça avec moi, je suis fière de toi, Ben.

— Pourquoi tu ne nous as jamais parlé de notre père ?

— J’avais peur. De votre réaction, mais surtout de lui. J’avais peur qu’en l’évoquant, sa présence ne revienne me hanter. Qu’est-ce que tu aimerais savoir à propos de lui ?

— C’est qui ? Tout ce que je sais, c’est ce qu’il t’a fait.

— C’est le Roi du Royaume de Thiéra, Marc Lans.

— Quand tu t’es marié avec lui, tu l’as choisie ?

— C’est lui qui est venu à moi et qui m’a demandé en mariage. J’ai accepté sans autre contrainte que de faire passer mon peuple avant mon amour pour ta mère. Mais il était très possessif et j’ai fini par apprendre que notre mariage était un plan que ma mère avait organisé avant même ma naissance et la sienne.

— Grand-mère… elle était si terrible que ça ?

— Tu n’imagines même pas, chéri. Si Emma n’était pas devenue ma servante quand j’avais un enfant, j’aurais fini par me suicider.

— À ce point ?

— Oui, à ce point. Ce n’est vraiment pas une partie de ma vie que j’aime. J’aurais préféré ne jamais vivre comme ça, mais je n’ai pas eu le choix. C’est pour ça que tu voir si distant et sec avec moi, ça me fait mal. Parce que je fais tout pour que vous n’ayant pas la même enfance que moi.

— Excuse-moi maman, mais…


Compréhensive, j’attendis que Ben respire un grand coup avant de prendre la parole. Si nous étions là aujourd’hui, c’était pour parler. De lui, de nous. J’avais commencé, c’était désormais à lui de continuer. Je devais juste lui laisser un peu de temps.

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