Chapitre 36

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Cela faisait maintenant de nombreux mois que nous essayons en vain d’avoir un troisième enfant. Les deux précédentes grossesses d’Océane s’étaient soldées par une fausse couche. Nous utilisions actuellement notre dernière chance. Océane était à fleur de peau à cause des hormones et je commençais à désespérer de ne jamais y arriver. Je faisais tout pour aider ma femme au maximum, mais je me sentais inutile. Alors qu’on dîner en famille dans la grande salle, je voulus servir un verre d’eau à Océane, mais je ne fis que le renverser sur elle.


— Putain, Elena ! s’énerva-t-elle en se levant. Tu ne peux pas faire attention ?

— Excuse-moi, mon cœur, répondis-je en sachant pertinemment pourquoi elle réagissait violemment.


J’attrapais un torchon pour l’aider à s’essuyer, mais elle me repoussa. Je savais que c’était à cause des hormones, mais c’était quand même blessant. Moi aussi j’étais à fleur de peau, incapable de l’aider et ses crises de nerfs subites ne m’aidaient pas. Ça faisait plusieurs mois que je ne disais rien, prenant sur moi notre douleur a toute les deux pour qu’elle en souffre le moins possible, mais aujourd’hui je n’y arrivais plus.

Je jetais violemment le torchon sur la table et me tournai vers la fenêtre. Mes larmes commençaient à couler et je ne voulais pas que les enfants les voient.


— Je suis désolée, chérie, reprit Océane en me prenant dans ses bras.

— J’en peux plus Océane. C’est trop dur.

— Ben, Élise, vous pouvez nous laisser seules un instant ?

— Bien sûr maman.


Quand les enfants quittèrent la salle, je me retournai dans les bras de ma femme et laissa mes larmes couler.


— Je sais que je suis difficile à vivre en ce moment, mais…

— Pour moi aussi c’est difficile Océane. Je suis spectatrice de tout ça et je ne peux rien faire pour t’aider, à part supporter la douleur pour nous deux.

— Tu n’as pas à le faire Elena.

— Si justement ! C’est la seule chose que je peux t’apporter. Avec ce protocole, c’est toi qui fais tout, qui subit tous et moi je suis là, complètement inutile.

— Peut-être que cette fois ce sera la bonne.

— Faut-être réaliste, tu as déjà fait deux fausses couches et je reste persuadée que tu en feras une troisième. Jamais deux sans trois comme on dit.

— J’ai besoin que tu restes positif, chérie, comme tu le fais toujours.

— Je suis désolée Océ, mais en ce moment je n’y arrive plus. Qu’est-ce qu’on fera si cette fois, ça ne fonctionne encore pas ? Je n’ai pas envie de tout recommencer depuis le début.

— On verra en temps voulu et…


Elle prit appuyé sur moi, se pliant légèrement. Je reconnaissais ses symptômes. C’était encore un échec. Depuis le début de cette troisième grossesse, je savais que ça n’allait pas fonctionner et j’avais eu raison.


— Non…

— Je suis désolée Elena. Est-ce que tu veux m’accompagner ?

— Je n’y arriverais pas. Excuse-moi.


Je quittai la Grande Salle précipitamment et courus jusqu’à l’étang. Trois essais, trois échecs. A croire que nous n’aurons jamais se troisième enfant. Je m’assis contre le grand chêne et laissai mes larmes couler. Océane avait besoin de moi, mais cette fois, c’était trop dur pour moi d’être avec elle alors qu’elle faisait une troisième fausse couche. Quelques minutes plus tard, Emma me rejoignit et me prit dans ses bras.


— Qu’est-ce qu’il se passe avec Océane ?

— Je ne peux pas te le dire.

— Elena, souffla-t-elle. Je vois bien que vous souffrez toutes les deux, mais qu’aucune ne veut dire quoi que ce soit. J’ai vu Océane partir à l’infirmerie. Pourquoi ?

— Ça fait un moment qu’elle essaie de tomber enceinte, avouais-je en pleurant.

— Mais pourquoi tu ne m’as rien dit ?

— Parce qu’elle fait sa troisième fausse couche, Emma ! On n’y arrivera jamais.

— Je suis désolée. Je comprends mieux pourquoi vous n’avez rien dit.

— Nous n’avions que trois essais avec ce donneur et on les a toutes utilisées en vain. Je n’ai pas envie de tout recommencer à zéro. Je n’ai pas envie de la voir souffrir et de ne rien pouvoir faire pour l’aider.

— Il y a peut-être d’autres solutions. Prenez un peu de temps pour vous, pour réfléchir avant de recommencer si vous le voulez toujours. Mais cette fois-ci, parlez-moi que je puisse vous aider.

— Merci Emma.


Je rentrai au château en compagnie d’Emma et on rejoignit toutes les deux Océane à l’infirmerie. Quand on entra, le Dr Langstone discutait avec ma femme.


— Peu importe ce que vous décidez de faire maintenant, je vous conseille d’attendre au minimum deux mois, pour votre santé.

— Merci Docteur. Elena ?


En me voyant, elle voulut se lever, mais je me dépêchai de la rejoindre pour qu’elle ne le fasse pas.


— J’ai tout dit à Emma, commençais-je.

— Vous auriez dû m’en parler bien plus tôt toutes les deux. Je vous aurais aidé.

— J’ai une dernière solution, chérie.

— Non ! la coupais-je. Ta santé est plus importante que cette envie d’enfant.

— Ce n’est pas plus dangereux que ce qu’on a déjà fait. Au contraire même.

— Je ne veux pas Océane. Je préfère encore n’avoir que deux enfants et que tu sois en vie plutôt qu’être veuve avec trois enfants !

— Laisse-moi au moins t’expliquer. J’ai vraiment envie de cet enfant.

— Au point de te ruiner la santé ? Moi pas.

— Pourquoi tu ne l’écoutes pas avant ? intervint Emma. De toute façon, à ce que j’ai compris, Océane ne pourra rien retenter avant deux mois.

— Exactement, je t’en parle et on a deux mois pour se décider.

— Bon très bien.

— Je vais vous laisser en discuter, termina Emma avant de partir.


Je m’assis sur le lit, à côté d’Océane et elle me prit dans ses bras.


— Tu te souviens que je t’avais dit qu’en dernier recours, j’avais une solution ?

— Oui. Tu es sûr que…

— J’ai un ami que je connais depuis longtemps qui m’avait proposé d’être donneur si on avait besoin.

— Quand ça ?

— A notre mariage. Il ne veut pas de vie de famille, mais il accepterait de nous aider. Je l’ai recontacté il y a un mois et il est toujours d’accord.

— Et recommencer tout le protocole ? Non merci.

— Justement non, ça se ferait naturellement.

— Tu veux coucher avec lui ? Tu crois vraiment que je vais accepter ça ? m’énervais-je

— Je te promets qu’il n’y a que de l’amitié entre nous et ce serait uniquement pour ce bébé, rien de plus. Tu pourrais même venir si ça t’inquiète.

— Ça ira, merci. Tu sais que moi et les hommes…

— Un seul, Elena, un seul. Ils ne sont pas tous pareils.

— J’y réfléchirais, ça te va ? J’ai besoin d’un peu de temps.

— Je t’aime mon cœur.


Laissant Océane quelque instant seule, je suis sortie de l’infirmerie et tombais sur ma fille, inquiète. Elle voulut entrer, mais je l’en empêchais, me plaçant entre la porte et elle.


— Qu’est-ce qu’il se passe ?

— Rien qui ne te concerne.

— Maman ! Nous ne sommes pas aveugles avec Ben. On voit bien qu’il se passe quelque chose. Maman ne va pas bien et vous vous disputez pour pas grande chose.

— On a pourtant fait en sorte de vous le cacher.

— Donc il y a bien un problème. C’est quoi ?

— S’il te plaît, Élise. C’est un problème d’adulte.

— Vous nous mettez toujours à l’écart alors qu’on veut juste vous aider.

— Vous n’avez que dix ans ! m’énervais-je. Nous n’avons pas à vous parler de nos problèmes, surtout quand ça ne vous concerne pas.

— Mais maman ! Vous vous énervez toutes les deux pour rien et c’est nous qui en payons les pots cassés.

— Ça suffit, Elise !

— C’est n’importe quoi !


Elle s’éloigna, en tapant des pieds. Océane sorti à ce moment-là et rejoignis la chaleur et le réconfort de mes bras.


— Sacré caractère, la petite. Comme sa mère, rigola-t-elle. Sûre d’elle, prête à tout pour obtenir ce qu’elle veut. Elle ferait une bonne impératrice si elle était bien formée.

— Tu veux déjà la mettre sur le trône ?

— Il vaut mieux la préparer au plus tôt. Et puis, la connaissant, elle serait bien capable de trouver, par elle-même, pourquoi on est à fleur de peau.

— Et si on la laissait chercher ? proposais-je. Pour voir ce dont elle est vraiment capable, même dix ans.

— Bonne idée, ça l’occupera au lieu de traîner dans nos pattes.

— J’irais lui en parler alors.


J’embrassais ma femme et partie à la rechercher de ma fille. Je fis toutes les pièces où elle pouvait potentiellement être avant de la trouver dans sa chambre, usant sa moquette et marmonnant.


— Élise ? Est-ce qu’on peut discuter, s’il te plait ?

— Tu vas me dire ce qui vous arrive à maman et toi ?

— Oui, enfin non.

— Alors je ne veux pas te parler.

— Viens t’asseoir, chérie. S’il te plait.


Je m’assis sur lit et l’attendis. Je tapotais la place à côté de moi pour qu’elle me rejoigne. Elle finit par se résigner, les bras croisés.


— Avec ta mère, on ne veut pas te dire ce qu’il se passe, mais on accepte que tu essaies de trouver par toi-même.

— Je ne comprends pas.

— Ben étant ton jumeau, vous avez le choix de monter ou non sur le trône. Qu’est-ce que tu aurais envie ?

— Je veux devenir Impératrice. Je veux marcher sur vos pas à maman et toi.

— Prends ça comme ton premier test. Si tu parviens à trouver, à affronter les obstacles, on prendra en charge ta formation.

— J’ai droit à quoi ?

— Tu es toute seule sur ce coup-là. Mais ce ne sera pas facile. Ne va pas croire que le Dr Langstone t’expliquera, juste parce que tu lui demandes.

— J’ai combien de temps ?

— Jusqu’à ce que ta mère, ou moi dévoilions cette nouvelle.

— Marché conclu. Merci, maman.

— Tu as toutes les qualités pour devenir Impératrice, ma chérie. Mais il va falloir apprendre à cacher tes émotions quand tu veux obtenir quelque chose.

— Non, mais j’avais fait exprès aussi, rigola-t-elle.

— J’ai confiance en toi, mon bébé. Ne me déçois pas.

— Promis, enchaîna-t-elle, le torse bombé.


Rassurée, elle se rapprocha jusqu’à poser sa tête sur mon épaule. Ma fille grandissait bien plus vite que je ne le voulais. J’avais longtemps craint qu’en l’impliquant un peu plus dans les affaires de l’Empire, je ne mette fin à son enfance, à son innocence. Celle dont ma mère m’avait privé bien trop tôt. Il m’était inconcevable de détruire la sienne et pourtant, c’était ce qu’elle voulait et elle me l’avait fait savoir à plusieurs reprises. D’abord, en voulant m’aider à étudier les devis de construction et maintenant, en voulant comprendre pourquoi Océane et moi étions si mal en point. Elle n’était plus ma petite fille, mon bébé et j’allais devoir m’y habituer.

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