4.

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Une échoppe en rénovation sur Vestingstaat. 11am D+2.

-C’est un homme à femme ; regardez sur le Facebook du club privé voisin.

Renato fit pivoter l’écran de son ordinateur vers le groupe. Ana se pencha sur l’établi faisant office de table et acquiesça.

Ils avaient à l’écran le vieux Thielemans accompagné de jeunes « escortes » de bar. Ana remarqua que sur les nombreuses photos publiées par le club, le diamantaire s’affichait souvent avec une jeune blonde. Elle se retourna vers le slave affalé sur deux grosses boîtes à outils.

-Igor, enfin Pavel si vous préférez, vous allez entrer dans ce bar à filles.

Rien que l’idée de nommer le club ainsi la fit frissonner- et, dépensez de l’argent comme vous autres les Russes savez si bien le faire. Donnez l’apparence d’être passablement éméché mais ne le soyez pas !

Compris ? Elle fit un imperceptible hochement de tête pour lui signifier son autorité. Avant même qu’il ne réagisse elle ajouta.

-Essayez de vous approcher de cette blonde, probablement une slave comme vous, vous n’aurez pas la barrière de la langue.

Le russe se leva réajustant son nouveau survêtement d’un grand club de football anglais en pestant.

-Je ne suis pas saoul c’est clair ? Lui dit-il en la fusillant d’un regard bleu froid comme si la discussion nocturne n’avait jamais eu lieu. Ana se raidit.

-C’est bien ce qui m’inquiète vu tout ce que vous avez ingurgité en montrant les cadavres de bouteilles de bière çà et là dans le minuscule logis.

L'ensemble était d’ailleurs assez sordide, une arrière-boutique sentant le plâtre avec de nombreux plastiques industriels en guise de paravents.

L’éclairage étant assuré par des projecteurs sur trépieds.

*

Paris – Devant le Cours Florent novembre 2003

Le flot des élèves déferlait sur le trottoir, bruissant de rires et d’éclats de voix animés. Une fin de journée comme une autre, où les ambitions flottaient encore dans l’air après des heures de jeu, d’improvisations, de monologues déclamés avec plus ou moins de conviction.

Ana était au centre d’un petit groupe, gesticulant avec l’énergie joyeuse de la jeunesse. Ses amis de promotion – des comédiens en herbe, des rêveurs, des grands parleurs – étaient suspendus à ses mots, captivés par sa gestuelle naturelle, sa façon d’habiter l’espace même en dehors de la scène. Puis elle s’arrêta net.

Son sourire s’effaça. Ses yeux accrochèrent une silhouette de l’autre côté de la rue. Maria. Drapée dans un manteau anthracite cintré, les cheveux relevés dans un chignon élégant, elle semblait appartenir à un monde différent, hors du tumulte des étudiants. Sa présence éclipsait tout le reste. Ana n’hésita pas. Sans réfléchir, elle traversa la rue en courant, ignorant les klaxons furieux, les exclamations surprises de ses camarades. Avant même que Maria ne puisse réagir, Ana lui sauta au cou. Un éclat de rire cristallin jaillit de ses lèvres, une explosion de joie pure et brute.

-Maria ! Ses bras entourèrent l’agent Delta avec une spontanéité désarmante, un mélange d’affection, de gratitude, de reconnaissance. Maria, prise au dépourvu, se raidit une seconde.

Puis, lentement, un sourire étira ses lèvres. Ses bras se refermèrent autour d’Ana, doucement.

-Toujours aussi impulsive, hein ? murmura-t-elle à son oreille, amusée. Ana se recula juste assez pour plonger ses yeux noir brillant dans les siens.

-Tu n’imagines même pas à quel point je suis heureuse de te voir.

Maria arqua un sourcil, le regard pétillant.

- Je crois que si. Derrière elles, les amis d’Ana étaient pétrifiés.

La scène avait quelque chose d’irréel. Ils fixaient Maria, bouche bée.

-C’est qui, ça ? souffla l’un d’eux.

-Mon Dieu, elle est magnifique…

-On dirait une actrice de cinéma. Maria, amusée par leurs réactions, leur lança un regard indéchiffrable, presque félin. Puis elle reporta son attention sur Ana, lui caressant brièvement la joue du bout des doigts, un geste léger, intime, presque maternel… ou peut-être quelque chose d’autre.

-Tu viens marcher un peu ? Ana hocha la tête, un sourire radieux aux lèvres. Sans un mot de plus, elle s’éloigna avec Maria, laissant derrière elle un petit groupe de jeunes comédiens abasourdis, suspendus entre l’admiration et l’envie.

*

4 :30 am D+1.

44-Ce black, c’est du sérieux ! Dit le brigadier Neuville. Son jeune collègue eut un regard interloqué mais il demeura silencieux n’osant pas faire état de sa circonspection.

-Il a fait plus de deux milles kilomètres sans escale, en une traite ! La voiture a été louée hier. Jamais tu ne viens du sud de l’Europe en voiture jusqu’ici ! Il y a un panonceau dans le coffre ; « Spartan Inc. » … N’a- t-il pas dit être représentant en sportwears ? Rien dans son coffre à part ses effets personnels, et dedans ; il fit une pause pour ménager un effet de surprise puis repris ; il y avait une arme enroulée dans un bout de tissu. Un calibre .38 je pense.

-Pourquoi ne l’avons-nous pas arrêté si vous aviez trouvé un pistolet dans son coffre ?

-C’est une barbouze ! Dans ma jeunesse c’était l’arme de service des agents américains, je ne pense pas qu’il s’agisse d’un terroriste.

Le brigadier ne prêtant plus attention à son jeune collègue enclencha la radio.

-Central ? Oui, patrouille autoroutière 54, nous demandons de mettre en place une surveillance…

*

Hotel Radisson D+2.

La suite était plongée dans une lumière tamisée, filtrée par les lourds rideaux en velours. L’atmosphère avait quelque chose de feutré, un luxe discret où flottait une tension insaisissable.

Ana se tenait debout, légèrement en retrait, vêtue d’un peignoir vert satiné, son col entrouvert laissant entrevoir la naissance de ses clavicules. L’étoffe glissait sur ses courbes avec une nonchalance étudiée, sucrée et salée à la fois, douce et dangereuse. Elle se tenait là debout devant Nick, juste une arme à la main. Un .357 Short reposait dans sa paume, froid, huilé, lourd de silence. Elle le faisait tourner entre ses doigts, son regard noir fixé sur Nick, qui, assis sur le canapé en cuir, semblait soudain beaucoup trop petit pour cet espace.

-Vous êtes venus armés ? Sa voix était douce, presque caressante.

C’était pire qu’un cri. Nick baissa les yeux, conscient que cette douceur-là n’annonçait rien de bon.

- É chato ! Je n’en reviens pas ! C’est une blague, Nick ? Elle fit tourner le barillet d’un geste lent, presque sensuel, puis porta l’arme à son nez et inspira légèrement. Un frisson invisible traversa la pièce.

-La graisse sent trop fort. Sa voix était plus basse, incisive.

-Ça fait longtemps que ce flingue n’a pas tiré. Trop longtemps. Une arme, c’est comme un corps, Nick…Elle laissa planer un silence.

-Si on ne l’utilise pas, elle devient imprévisible.

Nick déglutit, incapable de répondre. Puis finalement il lâcha.

-C’était à mon père j’ai cru bien faire.

- Oui l’arme enregistrée au stand de tir dans la banlieue sud de Leeds ? Nous savions. Qu’elle le dise ainsi piqua au vif le britannique, leurs vies respectives avaient visiblement été minutieusement étudiées ! Renato fut étrangement lui aussi atteint par la remarque de la Carioca impliquant cette fouille du passé. Adossé nonchalamment contre le mur, les bras croisés sur son torse, il sentit la morsure de son accent calabrais revenir dans sa voix.

-Dai… Fais pas comme si c’était un drame, il la tutoya ! En Calabre, les armes sont aussi courantes que le pain.

Ana tourna la tête vers lui,un sourire en coin. Elle ne releva pas le tutoiement, c’était courant chez les Italiens.

-Oui, mais tout le monde ne sait pas s’en servir. Elle fit rouler les balles entre ses doigts, les observant une à une sous la lumière chaude de la lampe.

-Et celles-là… Elle en brandit une, la faisant briller entre son index et son pouce.

- … ont peut-être déjà tourné. Un tic nerveux traversa le visage de Nick.

Ana s’approcha, posant enfin l’arme sur la table basse.

-Une arme exige du respect ; Un .357, encore plus. Elle se baissa légèrement, effleurant les reflets métalliques du bout des ongles.

-Ce modèle est brutal. Il demande un bras puissant, une main qui ne tremble pas… Elle tourna son regard noir vers Nick.

-Et toi, tu trembles déjà. Nick sentit la moiteur de sa nuque, sa respiration s’accélérer. Elle lisait en lui comme dans un livre ouvert. Le salon parut soudain glacial. C’est Igor qui brisa l’instant. Le Russe, qui s’était contenté jusque-là d’observer la scène avec un sourire en coin, laissa échapper un rire rauque et gras.

-Petit macaroni, petit roastbeef, faites attention…Son regard passa sur Nick et Renato, avant de se fixer sur Ana.

-Vous croyez être des durs ? Il secoua la tête en soufflant.

-Elle vous démolirait tous les deux.

Renato plissa les yeux. Nick baissa la tête. Ana, elle, ne broncha pas. Elle savait qu’Igor ne lançait pas des compliments. Elle attrapa le revolver et referma lentement le barillet.

-Je vais te former, Nick.

Elle lui tendit l’arme, crosse en avant. Nick hésita, mais Ana ajouta, lente, posée, presque… compatissante.

-Ne sois pas pressé. Elle ferma un instant les paupières, un souvenir passant dans l’ombre de son visage.

- J’ai utilisé ce calibre plus d’une fois. Petite déjà, j’accompagnais mon père, je chassais avec cela. Dehors ça va mais tirer au 357 dans un espace fermé c’est l’enfer pour le tireur, cela l’assourdit. Puis dans les missions, on est passé aux balles creuses. Il fallait alors faire des exemples, marquer les esprits de ceux d’en face. Elle rouvrit les yeux, un éclat insondable au fond des prunelles.

-Le résultat n’était pas beau à voir. Nick récupéra l’arme avec une hésitation palpable. Ana se redressa, ajusta le col de son peignoir vert, puis murmura en pivotant vers la porte :

-On n’aime jamais avoir à tirer sur un homme.

Elle marqua une pause, avant de jeter un dernier regard par-dessus son épaule.

-Mais la première fois… on ne l’oublie jamais.

-Et pour en revenir au 357. Range-moi ça, cela vaut mieux. Il faudra démonter l’arme, la nettoyer complètement et tu commenceras avec du .38 spécial. Savais-tu que tu peux tirer ces deux types de projectiles avec ce révolver ? C’est son principal intérêt.

Ana savait que cela se serait produit à un moment ou un autre.

Comment pouvait elle assoir une légitimité, comment même leur demander de s’engager plus au-delà ? Ils n’étaient pas issus d’une armée ni d’une agence gouvernementale ; tout au plus des mercenaires mus par leurs propres convictions. Gardant son calme, elle disparut dans le couloir. Silence. Igor renifla et éclata de rire.

-Elle fait peur, hein ? Nick, les doigts crispés sur le métal froid du .357, ne répondit pas.

*

2004, région des trois frontières, Cuidad del Este, zone de Puerto Franco Paraguay.

Maria sortit de l’ombre épaisse de la canopée et s’allongea aux côtés de sa jeune recrue. Devant elles s’étendait la vaste propriété de la famille Wang emmurée telle une prison d’état américaine de l’autre côté du Rio Paraná en Argentine. Les Wang soutenaient activement la déforestation sauvage de l’Amazonie pour s’en approprier les richesses du sous-sol.

Enfin, c’était là, une des multiples activités illicites dans laquelle trempait la famille, trafic d’armes depuis le Paraguay (où elles sont en vente libre), trafic de drogues, de médicaments voire d’électroniques.

Le port Argentin leur ouvrant l’Atlantique. Et cette année-là, jamais l’Amazonie n’avait autant brulé !

-Il nous faudra franchir la frontière dès le soleil couché et être revenus avant l’aube. Les Argentins soutiendront les Taïwanais indéniablement. Je sais tes scrupules Ana, dis-toi que chaque mercenaire que tu ne tueras pas cette nuit sera, peut-être, celui qui brulera un village Yanomani ou y exécutera une de leurs familles. Mais, sache aussi, qu’aucun d’entre nous, n’a su à l’avance, si nous en étions capables, ou pas. Ni Pedrag,ni moi, comprends-tu ? Toi, tu vas le découvrir cette nuit. Mais je te fais confiance…

*

La chaleur écrasait tout. Lourde, poisseuse, elle collait aux peaux et alourdissait les souffles. Même la jungle semblait suffoquer. Les insectes, d’abord bruyants, s’étaient tus d’un coup. Mauvais présage.

L’hacienda se dressait devant eux, massive, impénétrable. Un bastion de pierre noyée dans la végétation, où des mercenaires, probablement des Cubains ou des Sud-africains, veillaient, armés jusqu’aux dents.

Des hommes payés par la Triade pour défendre ce repaire perdu au milieu de la moiteur tropicale et rependre la mort le long du fleuve pour protéger les prospections sauvages d’or. Ana sentit une goutte de sueur glisser dans son dos, mais ce n’était pas la chaleur qui lui serrait la poitrine. C’était cette foutue attente. Le .357 Magnum pesait dans sa main. L’acier tiède contre sa paume, presque vivant. Son premier assaut. Son premier vrai combat. Je suis prête. Vraiment ? Un bruissement dans la végétation. Maria, accroupie, scrutait l’entrée arrière où deux gardes fumaient, détendus. Pedrag, à quelques mètres, arma son couteau. Pas de mots. Juste un regard.

L’assaut commença comme un murmure. Une ombre glissa. Une lame brilla sous la lune, s’enfonça sans bruit. Une main agrippa un col, un corps s’affaissa dans l’herbe. Ana vit tout ça, sentit son cœur cogner plus fort, mais son corps restait figé. Bouge. Trop tard. Un garde surgit brusquement, yeux écarquillés. Son fusil se leva. Ana n’eut pas le temps de penser. Son doigt pressa la détente. La détonation explosa, déchirant la nuit. L’homme bascula en arrière, frappé en pleine poitrine. La balle creuse fit son œuvre. Une gerbe sombre éclaboussa le mur derrière lui.

Silence. Ana resta immobile. Son souffle bloqué.

Je l’ai tué. Ses jambes voulaient flancher, son estomac se tordait, mais le chaos éclata avant qu’elle ne puisse s’effondrer. Des cris. Des projectiles fendant l’air. L’alarme retentit. L’hacienda s’éveilla en un enfer de feu et d’acier. Les mercenaires sortirent en rafale, armes en main, tirs croisés. Une grenade éclata contre un muret, projetant des éclats de pierre et de chair. Ana plongea derrière un pilier, les tympans vrillés par l’explosion. Maria surgit à ses côtés, pistolet levé.

-Ça commence à sentir mauvais !

Pedrag riposta, son fusil crachant la mort. Un mercenaire tomba d’un balcon, s’écrasant lourdement dans les graviers. Ana, elle, sentait encore le recul du .357 dans sa main, la brûlure de l’impact. Un autre homme apparut devant elle. Fusil en joue. Ana leva son arme et tira.

Une balle. Deux. Trois. Le type s’écroula, gorge arrachée.

Le vacarme était assourdissant, mais dans sa tête, un autre bruit hurlait plus fort : le souvenir du premier tir, de la première mort. Une brèche s’ouvrait en elle, profonde, irréversible. L’hacienda était un enfer en flammes. Soudain, elle fut soufflée, une balle perdue avait dû atteindre une citerne de gaz. Mais Ana n’était plus sûre de savoir où était le vrai enfer : autour d’elle, ou dans sa propre tête.

Ce qui hanta longtemps les nuits d’Ana après ce funeste coup de mains fut le souvenir physique du recul du 357 dans les muscles de son épaule.

Encore ces derniers temps elle s’est réveillée en sueur avec une crispation de l’épaule tout entière. Elle avait reçu son battement au sang.

*

Dahieh Janoubyé, sud-est de Beyrouth 4am D+2.

Les hommes avaient revêtu des tenues traditionnelles, il avait d’ailleurs été nécessaire de les ajuster à leur musculature d’hommes de terrain très affutés. Isle, quant à elle, avait passé un hijab sur une abaya noire qui dissimulaient totalement ses formes et sa chevelure blonde. Alors que le jour pointait, perclus de fatigue par la nuit passée à traverser Beyrouth par les égouts et les catacombes (dont les trésors archéologiques devaient très probablement alimenter le marché noir des objets d’art pour le compte de cet Harald Lamnkhoumn) ils s’engouffrèrent enfin dans une vielle fourgonnette bleue plus proche de l’état d’épave que de celui d’un moyen de transport. Le tas de ferrailles les attendait dans la cour intérieure d’un vieux caravane sérail.

Sans le savoir l’équipe eut beaucoup de chance. Alors qu’ils quittaient l’ancienne route de Saïda vers le nord, des hommes du Hezbollah investirent le repère. Le jeune libanais qui les avait guidés à travers le dédale souterrain de la perle du moyen orient réussit à s’échapper. Le Hezbollah ne captura que l’ancêtre qui faisait office de gardien de l’antique relais commercial et qui avait connu toutes les guerres du Liban depuis 1975.

*

Le froid de l’aube s’infiltrait sous son manteau, mordant sa peau à travers le tissu. Ana marchait sans but précis, laissant ses pas la guider au hasard des rues pavées, là où les noctambules s’étaient évanouis et où la ville n’était encore peuplée que d’éboueurs fatigués et de silhouettes anonymes pressées d’atteindre leur bureau. Elle était sortie sans un bruit telle une panthère. Son équipe devait dormir.

Elle aimait ce moment.

La frontière fragile entre la nuit et le jour. Entre l’ombre et la clarté.

Là, dans ce silence à peine troublé par le cliquetis de ses talons, une vérité qu’elle se refusait à formuler s’imposa à elle.

Elle aimait le danger.

Non pas par goût du risque ou par héroïsme, mais pour ce qu’il révélait.

Le moment précis où la vie et la mort s’effleurent, ce battement de cœur où tout peut basculer. Elle s’y abandonnait, comme d’autres s’abandonnent à une musique envoûtante.

Elle se souvint de cette nuit à Athènes, du sang qui coulait le long de son bras, poisseux, chaud, d’une teinte presque irréelle sous la lumière crue de la planque. Elle aurait dû hurler, se débattre, mais à cet instant précis, alors qu’elle sentait son propre souffle ralentir, une curiosité étrange l’avait envahie. La même qui la traversait chaque fois qu’elle voyait un corps s’effondrer sous ses yeux. Ce n’était pas une soif de tuer. Pas une pulsion sadique. Plutôt… une fascination pure et simple pour l’instant exact où tout se défait.

Le rouge qui éclate sur une peau pâle.

Le silence après un coup de feu.

La façon dont la chaleur quitte un corps à peine abattu.

Elle ne détournait jamais les yeux. Jamais.

Elle se souvenait encore du premier homme qu’elle avait tué. Un contrat. Un contrat ce n’est pas un assaut qui déshumanise l’affrontement, Une balle, enfin… deux, torse puis tête. Un silence. Elle aurait dû trembler. Elle aurait dû ressentir du dégoût. Mais tout ce qu’elle avait ressenti, c’était une attente déçue. Il ne s’était rien passé.

Rien de transcendant. Juste une vie qui s’arrêtait.

Et c’est là qu’elle avait compris. Ce qu’elle aimait, ce n’était pas tuer.

C’était observer. Voir les limites d’un être, la vérité mise à nu dans l’instant de l’agonie. Le sang qui coule, inarrêtable. La vulnérabilité ultime.

Ana frissonna, non pas de froid, mais d’un plaisir trouble. Elle savait que c’était malsain. Que ce n’était pas “normal”. Mais après tout, qu’était-elle, sinon une anomalie ?

Elle s’arrêta devant une vitrine de pâtisserie encore fermée. Son reflet lui renvoya une image familière, mais plus tout à fait la sienne.

Les autres la voyaient comme une femme fatale, une ombre élégante qui traversait les mondes sans jamais s’y attacher. Mais s’ils savaient…

S'ils savaient ce qu’il y avait sous la surface, cette part d’elle qui voulait voir, qui cherchait dans le danger quelque chose que rien d’autre ne pouvait lui offrir… Ils s’éloigneraient. Ou peut-être… peut-être que non

Peut-être qu’ils étaient tous comme elle, à leur façon.

Nick, avec son calme trop maîtrisé. Renato, avec son arrogance qui cachait autre chose. Igor, avec son sourire trop froid.

Et Maria, cette femme distante qui, d’une manière ou d’une autre, savait toujours où la placer pour la pousser plus loin.

Ana ferma les yeux un instant et inspira profondément.

Elle sentait déjà l’excitation monter en elle. La mission reprenait. Et avec elle, la promesse de ce moment suspendu, cette seconde parfaite où tout peut s’effondrer. Il faudra être époustouflante se dit-elle.

Elle ouvrit son téléphone et répondit enfin au message de Valkyrie :

“Je suis prête.”

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