Chapitre 5 – 03 Juillet 2020

7 minutes de lecture

Complètement ailleurs, je reçois un glaçon sur la joue . Je sors de ma torpeur et je me retrouve face à trois paires d'yeux qui me fixent.

– Quoi ?

Je suis un peu trop sur la défensive, mais être en « territoire ennemi » ne me rassure pas...

– Rien ma biche, mais ça fait cinq minutes qu'on te parle !

– Excuse-moi Nina, on ne peut pas y aller ? J'ai super chaud !

Les trois se regardent en biais, et je sens arriver les remarques que je voulais à tout prix éviter. Bien évidemment, c'est ma mère qui lance les hostilités :

– Ma chérie, tu le sais que nous sommes là pour toi, mais était-ce une si bonne idée que tu reviennes si vite ? Ezio m'a dit que tu avais toujours tes insomnies et tes crises d'angoisse, et que tu avais arrêté tes séances de rééducation …

Je foudroie du regard mon soit-disant meilleur ami et réponds :

– Maman, j'ai continué ma rééducation bien après que j'aurai dû arrêter, c'était juste une précaution pour moi, pour récupérer un maximum de mes capacités. Et puis je vais bien ! Oui c'est vrai, je fais encore des cauchemars et des crises, mais c'est un peu normal, non ? Mais je vous assure que vous n'avez pas à vous inquiéter !

Nina prend le relais :

– OK tu vas bien, mais alors dis-moi pourquoi tu portes toujours tes lunettes de soleil ?!

– Euuuuh, Marseille, en plein été, soleil, canicule, chaleur... Ça ne te dit rien ?

– Arrête avec tes excuses ! Qu'il vente ou qu'il neige tu les as sur le nez n'importe où, n'importe quand !

– Nina, arrête s'il te plaît... tu sais comment ça va finir et tu ne veux pas ça je crois... Je pense que c'est légitime que je les porte, ne serait-ce que pour ne pas traumatiser les enfants que je croise dans la rue...

– N'importe quoi ! s'énerve ma mère. Tu t'entends ?! Tu es magnifique, même si tu en doutes ! Bon écoute, on va faire un deal ! Tu nous promets de nous parler si ça ne va pas, n'importe quand, n’importe où. S'il le faut on se relaiera avec toi et …

– Se relayer ? Vous avez cru que j'étais une adolescente capricieuse ou quoi ?! je m'emporte. Je vais habiter avec Ezio, ce que nous faisons depuis maintenant 3 ans. Et ça se passe très bien, il n'est ni mon geôlier, ni mon agent de probation. J'ai 27 ans, je suis une grande fille ! Je compte bien vivre le plus normalement possible, trouver un job et retrouver une vie à peu près normale, sans vous avoir sur le dos !

Sentant la tension monter, Ezio prend la parole :

– On le sait ça, Lennie. On s'inquiète juste … Revenir ici, revoir ces lieux qui ont bouleversé ta vie, et risquer de croiser des personnes qui vont te faire du mal, tu es prête pour ça ?

– Bien sûr ! On en a parlé longuement, tu sais où j'en suis psychologiquement, j'ai besoin d'avancer ! Ne serait-ce que pour lui !

– OK ! Alors on fait un essai ! Nina m'a dit qu'on récupérait les clés de l'appartement demain. Donc ce soir on se fait une petite soirée tranquille, demain on s'occupe d'emménager, et pourquoi pas de te trouver une salle de sport pas trop loin. Je t'accompagnerai, histoire de voir les beaux spécimens qui s'y trouvent ! Allez, discussion close, on ne va pas déjà se disputer alors que nous venons d'arriver !

D'un commun accord nous nous levons, allons jeter nos plateaux dans les poubelles et nous dirigeons vers les grands escaliers de la gare pour dire au revoir à ma mère qui habite sur la Canebière et rejoindre la voiture de Nina garée en contre-bas.

Redécouvrir le centre-ville de Marseille me fait tout bizarre. Tout a changé, mais en même temps tout semble à l'identique. Nous passons devant le commissariat de Noailles, puis traversons le Cours Julien. Vous aimez les motos ? C'est ici qu'il faut venir ! Des dizaines de magasins se suivent et se ressemblent. Mon préféré est celui spécialisé dans les Harley-Davidson. Agencé dans le style américain, on a l'impression quand on rentre d'être propulsé dans le garage de Johnny ou chez les Teller-Morrow !

Nous arrivons au rond point de Castellane, puis à celui du Prado, et je commence à respirer normalement. Ici, logiquement, je ne risque pas de faire de mauvaises rencontres. Nous rentrons dans le côté un peu plus riche de la cité phocéenne. Ceux que je ne veux pas croiser à l'improviste sont plus du côté des quartiers dits « sensibles ».

Nina nous montre où est son insitutut. Putain ça en jette ! Elle est loin la petite Italienne qui ne foutait rien en cours et qui passait son temps à traîner en bas des immeubles !

Avant mon départ, elle était en formation d'esthétique et d'onglerie dans une grande école. Même si elle était la plus vieille, se retrouver avec des minottes de 16 ans ne lui faisait pas peur, bien au contraire. Elle voulait sortir de notre quartier pourri, et pendant que moi je vivais déjà une vie parfaite à l'époque, elle se construisait son avenir petit à petit.

Aujourd'hui, elle est à la tête d'un salon de formation, spécialisé dans l’insertion des personnes en situation de handicap ou de détresse sociale. Le bâtiment est magnifique, et même si nous irons le visiter dans la semaine, Ezio et moi le connaissons déjà grâce aux nombreux visios et aux centaines de photos reçues. Un grand loft décoré comme si l'on entrait dans un bateau, des meubles épurés, des couleurs claires et une petite touche de rose, la couleur préférée de ma meilleure amie !

Vous voulez une manucure ? Prenez rendez-vous aujourd’hui pour dans quatre mois, le délai d'attente étant super long !

Nous longeons maintenant l'avenue du Prado, et passons devant le parc Borély, nous dépassons la statue de David, et arrivons enfin dans le quartier de la Pointe Rouge, là où habite Nina. C'est, pour moi, l'un des endroits les plus beaux de ma ville. La plage s'étend devant nous, avec sa petite fête foraine et sa grande roue déplacée ici pour l'été.

Nous arrivons enfin à l'appartement. Un grand deux pièces en duplex, avec une terrasse immense et vue sur la mer. Rien que ça ! Pendant qu'Ezio va poser nos valises dans la chambre d'amis, Nina nous prépare des boissons fraîches. Moi je vais me laver les mains et m'installe sur la terrasse. Grâce à sa grande pergola et le petit air marin, nous ne ressentons pas la canicule.

Mes deux acolytes me rejoignent enfin et nous trinquons avec nos Cocas à nos retrouvailles. Bien que cela fait 3 ans que nous sommes partis loin de Nina, tous les trois savons que rien n'a changé. Quelque chose de fort nous lie, et même si je ne suis plus la même physiquement et mentalement, rien ni personne ne pourra nous séparer.

Nina engage la conversation :

– Question logistique, on est plutôt pas mal ! Demain matin je pars bosser à 9 heures, ce qui vous laisse le temps de vous remettre de votre voyage en train. Il y a une salle de sport au rond point du Prado. Et vu que vous allez habiter en haut du Rouet, ça ne fera pas loin, même à pied. D'ailleurs, Anita, votre nouvelle propriétaire, m'amènera vos jeux de clés demain en fin de matinée. Donc si vous voulez, on mange ensemble vers 13 heures, vous ramenez sushis bien évidemment, et avant la fin de ma pause, je vous amène voir votre nouveau chez-vous !

– Ça m'a l'air top comme programme ! répond Ezio. Il faut que je passe chez mon père récupérer ma voiture, mais on peut y aller avec Lennie en début d'après-midi. Comme ça on ira faire quelques courses et commander les meubles qu'il nous manque à la Valentine.

– Oui, on peut faire ça. Il faut aussi que je commence à chercher du travail, car je ne peux pas rester sans rien faire.

Ezio me tapote le bras et me dit :

– Ne t'inquiète pas, tu le sais que tu peux prendre ton temps. Mon dernier contrat de mannequinat m'a ramené un joli petit pactole et je ne veux pas que tu retournes faire les ménages. Je sais bien qu'il n'y a pas de sous métier, mais je déteste te voir rentrer tous les soirs éreintée et avec des douleurs à la jambe, au point de ne plus pouvoir marcher...

– Je sais Chaton, mais je ne veux pas être un boulet et...

Nina me coupe la parole avec un grand sourire aux lèvres :

– En parlant de ça, j'ai quelque chose à te proposer ! J'ai vu avec mon comptable, et j'ai décidé de t'embaucher ! Comme tu le sais, j'aide, en plus des personnes handicapées, les femmes qui sont dans des situations plus que difficiles. Actuellement, par exemple, j'ai une élève de 28 ans qui est venue de Biarritz, seule avec ses deux enfants en bas-âge. Elle a réussi à quitter son mari violent, et elle recommence tout à zéro. Professionnellement, je peux m'en occuper, mais personnellement, c'est plus délicat. Donc j'ai eu l'idée de créer un poste d'assistante sociale. Il y aura, dans mes formations, 60 heures d'aide sociale. Tu pourras leur filer un coup de main pour la paperasse, ou le mode de garde, ou encore pour les aider à trouver un logement... Tu seras en CDI et travailleras tous les jours sauf les week-end. Ça te plairait ?

Les larmes aux yeux, je la remercie :

– Mais bien sûr, mais merci ! Je ne sais pas quoi te dire ! Oh la la, merci merci merci !!!

– Bon ! Parfait ! Je t'attends lundi, ça te laisse quelques jours pour t'installer et reprendre tes repères !

– Félicitations ma chérie ! Ezio m'embrasse sur le front. Bon ! C'est pas tout, mais il faudrait qu'on se prépare ! Ce soir je vous invite au resto !

Nina et moi approuvons, et pendant que les deux spécimens partent se préparer, je m'allume une cigarette, m'accoude à la rambarde de la terrasse et regarde le magnifique paysage.

En contre-bas, un couple de jeunes, pas plus de 16, 17 ans, se donne la main et la fille rigole à ce que lui raconte le garçon...

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