Paranoïa
Ainsi, je vais mourir. Moi, Kastanôn.
Je l’ai entendu. Ils l’ont dit quand ils étaient près de moi. Trois hommes en combinaison orange qui portaient un casque blanc. Ils m’ont mesuré avec ce grand ruban. Ils m’ont regardé, longtemps. Ils ont écrit sur un grand cahier. Un cahier fait avec la chair de mes sœurs.
Est-il possible que je me trompe ? Il m’arrive de ne pas toujours comprendre le langage des hommes.
Le vent m’a récemment rapporté, qu’à l’autre bout du parc, Quercus l’Ancienne avait reçu pareille visite. On l’avait finalement classée « REMARQUABLE ». Cela doit être ça. Sinon, pourquoi m’abattre ?
Cinq cents ans que je les nourris ces ingrats. Cinq cents ans que je les abrite du soleil et de la pluie. Jadis un Roi s’est abrité sous mes branches. Cela n’est pas rien un Roi, c’est sacré. Et tous ces cœurs gravés sur ma peau. L’Amour, cela n’est pas rien l’Amour, c’est sacré. N’y a-t-il donc plus rien de sacré ? Je pourrais leur faire comprendre. Donner plus de fruits. C’est ça, ils veulent plus de fruits.
Terre ! Je suis réduite à ça. Semeuse d’akènes. Quel affront ? D’accord. Venez. Puisque vous ne comprenez rien, je vais vous faire comprendre, à ma manière. Tiens les revoilà ! Approchez mes mignons. Je vais vous montrer qui est Kastanôn la Rebelle. Celle qui ne s’est jamais laissée faire. Un idiot avait tenté de me brûler autrefois. Il lui en a coûté. Je sens encore ses os sous mes racines.
Voilà ! Abritez-vous sous mes branches. Profitez ! Je vous envoie un présent.
Ouest France
Jeudi 1er Décembre 2022
Haute-Vienne
Terrible accident hier dans la commune de Saint Sulpice-les-feuilles, au lieu-dit « Virvalais ».
Alors qu’ils effectuaient un recensement des « arbres remarquables » de la région, trois membres de l’association « Frères d’Arbres » ont trouvé la mort dans des circonstances qui restent encore à éclaircir. D’après le témoignage d’un randonneur présent au moment du drame, les victimes discutaient sous un immense châtaignier lorsque trois grosses branches, qui les surplombaient, se sont brisées au même moment. Les trois hommes sont morts sur le coup. Encore sous le choc, le promeneur déclare avoir entendu une sorte de rire au moment où les branches se fracassaient. Après la chute des branches, le témoin affirme également avoir vu l’arbre s’agiter, comme « pour manifester sa joie ».
Une enquête de l’Office national des forêts est en cours.
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