Archétype du Goût Moyen

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Retour une semaine après le Jour Zéro



   Cela faisait plus d'une semaine maintenant que Cécile avait tout annoncé à Stan.

Il était devenu l'ombre de lui-même.

Ce week-end là, scotché dans la cuisine ultra moderne entre le frigo américain connecté et l'évier à détection de présence, le regard essayant de s'échapper par la fenêtre, il avait vue sur le voisin en train de lessiver au jet d'eau son RAM 2500. Il fut intrigué par le scanner installé sur un petit robot d'assistance domestique.

L'option juchée à la place de la tête de ce « truc » qui ressemblait à un chien de Boston Dynamics, identifiait par laser les zones de la carrosserie à nettoyer en priorité.

Comme s'il ne pouvait pas les voir avec ses propres yeux ! C'est débile..., se dit l'ingénieur immigré français.

- Qu'est ce que tu fais Stan ? Tu es en train de faire la vaisselle ou tu lambines comme à ton habitude ?

- Oui pardon, excuse moi répondit-il à Cécile qui l'avait encore une fois rabaissé.

Stan, avait toujours été attiré par la technologie et la mécanique. Cela commença un jour de vacances à l'age de dix ans à l'ile d'Oléron en France. Son grand-père lui fit le croquis d'une boîte de vitesses sur une modeste table de salle à manger. Le vieil homme, en deux coups de crayon, lui avait décrit les arbres primaires et secondaires, mais surtout, tracé toute sa vie professionnelle.

A présent, il travaillait sur des projets top secrets pour le monde civil et militaire. Il venait d'un milieu ouvrier. Il était, à son niveau, un des symboles de l'ascenseur social ou plutôt du rêve américain. Ses parents, disposant tout juste du certificat d'études en France, furent fiers de lui. Mais, ils ne lui avaient jamais réellement montré. L'expression des sentiments était sobre dans cette famille. Il faut dire que Stan avait eu du mal à se mettre au travail. Ses capacités lui avaient offert quelques facilités jusqu'à quinze ans et le le chemin fût facile jusqu'au lycée. Mais, une fois à l'université, il préféra, dans les premières années, les circuits automobile avec ses amis plutôt que les amphis surpeuplés des facs française.

- Stan, on t'attend ! lança Cécile dont le ton était monté d'un cran.

- Oui... oui... J'ai presque fini !

Cela dit, une fois mis au travail, il fut capable de faire de longues études. Il comprenait très vite les sujets, peut-être de manière superficielle, mais suffisante dans quatre vingt pour-cent des cas. Il disposait d'une bonne mémoire et sa créativité naturelle lui servait fréquemment dans sa vie professionnelle.
Lui, se voyait comme l'archétype de l'homme moyen : selon lui, ses capacités physiques, ses revenus et sa vie en elle-même étaient caractéristiques du citoyen moyen.

L'avantage, si cela en était un, était que s'il aimait une chanson, un film ou une émission de tv, il pouvait être sûr que ceux-ci allaient avoir du succès. Il avait : « le goût moyen ».

- Regarde, le voisin est encore en train de laver sa voiture ! Il va finir par l'user à force ! dit Stan amusé et essayant de détendre l'atmosphère.

- Qu'est-ce que tu veux que cela me fasse, franchement ! Je suis fatiguée et j'ai envie de faire la sieste en même temps que les filles. Mais je suis obligée de tout ranger avant car, Monsieur baille aux corneilles en regardant le voisin.

Il s'intéressait aux gens, il les comprenait et pouvait leur porter une écoute longue et sincère. Mais paradoxalement, fils unique, il montrait de petites tendances narcissiques et égoïstes. Il s'en rendait compte et essayait de les combattre chaque jour. Parfois immature, il avait toujours des idées de jeux, de sorties de voyages, pour sa famille sans être préoccupé par les contraintes du quotidien.

- Bon, je monte enfin me coucher dit elle en gravissant l'énorme escalier en arc de cercle. Je te laisse gérer la sieste des filles.

- Ok, repose toi bien.

Cécile, sa femme, était belle, dynamique et intelligente. Elle était blonde aux yeux vairons vert et bleu.
Attentionnée et tendre, elle avait abandonné famille et carrière en France pour suivre son ingénieur de mari aux Etats-Unis. Bref, elle aurait pu être la femme rêvée pour un homme.
Depuis qu'elle était devenue mère, elle se voulait exemplaire avec les enfants. Bien que sa carrière professionnelle lui manquait, elle avait pris son rôle avec motivation et succès. Même si son physique avait changé avec les grossesses, elle restait une femme belle et désirable. Elle avait besoin de reconnaissance, de se savoir aimée et voulait en avoir des preuves chaque jour.
Elle prenait beaucoup sur elle, était très exigeante envers elle même, quitte à exploser parfois très rapidement lorsque la pression était trop forte. Elle avait tendance à tout vouloir gérer, sans laisser le temps aux autres de le faire. Stan en abusa et devint fainéant.
Elle aurait bien aimé le lui dire, mais elle voulait que cela vienne de lui. Alors elle lui envoyait des signes, mais sans succès et cela la rendait malheureuse.

Soudain, Stan laissa échapper un plat et le bruit résonna dans l'immense salon de soixante mètres carrés.

- Moins de bruit Stan ! J'aimerais dormir s'il te plait dit Cécile couchée dans l'une des chambres au premier étage.

- Pfff... l'ingénieur ne répondit pas, mais il sentait , tout de même, une certaine tension monter en lui.

Depuis quelques jours, le transfuge technologique français s'aperçut que ce négativisme de Cécile était constamment dirigé vers lui. A tel point qu'il en était arrivé à une image faussement dégradée de sa personne.
Lorsque l'on est immergé en couple, peu de gens sont assez lucides pour prendre un peu de hauteur et avoir un œil critique sur la manière avec laquelle ils se font traiter par leur conjoint.

- Papa, j'arrive pas à dormir dit l'une des petites filles qui venait de se lever et était sortie de sa chambre en pyjama blanc parsemé de petits éléphants roses.

- Oh, Juliette... Retourne te coucher, il faut faire la sieste car sinon tu vas être fatiguée ce soir ! dit Stan avec la tendresse d'un père.

La petite vint en courant se blottir contre lui. Il s'accroupit pour se mettre à sa hauteur et l'enveloppa de ses longs bras. Il la serra fort contre lui comme s'il s'agissait de la dernière fois et comme s'il espérait la protéger du conflit glacial régnant dans ce foyer habituellement si chaleureux.

- Papa, que se passe-t-il ? Tu me fais mal, tu me serres trop fort.

Il ne répondit pas. Les larmes aux yeux, il reconduisit la petite vers la chambre et son lit jonché de peluches. C'est alors, qu'en caressant la tête de sa fille pour qu'elle s'endorme, son regard s'échappa vers le mur de la chambre peint en pourpre et les nombreuses photos punaisées de sa femme.

Elle n'est vraiment pas servie par ses choix vestimentaires, se dit-il.

Stan lui venait souvent en aide pour corriger quelques choix malencontreusement hasardeux et « vieillots ».

Une fois la petite endormie et la vaisselle terminée, il eut lui aussi envie de faire la sieste. Il se dirigea vers la suite parentale de cet immense pavillon en bois californien. Enfin, vu la nature de leurs relations depuis le jour où le monde de Stan s'était écroulé, cette pièce aurait pû être rebaptisée : le Colisée des amours défunts.
Il la vit couchée sur ce King Bed typiquement nord américain. Elle portait un jeans bon marché avec une polaire en laine râpée. Stan savait bien qu'elle avait tout fait pour ne pas être sexy ce jour là. Sachant qu'elle allait passer la journée avec lui, il fallait absolument qu'elle n'offre aucun signe susceptible de laisser imaginer une réconciliation qu'elle voulait impossible. Mais lui, n'en n'avait que faire, il la trouvait superbe. Il la regarda dormir avec juste la joie simple de la contempler.

- Je peux faire la sieste ici ? bredouilla t-il d'une voie douce presque supplicatrice.

Il n'eut aucune réponse. Qui ne dit mot consent, alors il s'installa délicatement à côté d'elle. Ils étaient dans ce lit conjugal séparés de seulement cinq centimètres. Dans ce lit où ils avaient découvert tant de choses sur les joies de l'amour et du sexe ; cette couche tant de fois souillé par leur plaisir. Ces cinq centimètres étaient pour Stan une barrière à la fois ridicule et infranchissable.
Il savait bien que s'il essayait ne serait-ce qu'un début de geste de rapprochement, il en serait fini de ce rare moment agréable.

Je ne peux même pas l'effleurer. Et, dire qu'il y a encore deux semaines, elle m'écrivait : "Je t'aime" par SMS, songea t-il, profondément éprouvée par la situation.

N'en pouvant plus, il se mit à pleurer en essayant de tout faire pour qu'elle ne le remarque pas. Son cœur et ses entrailles avaient été volés, piétinés.
Que faisait-elle la journée lorsqu'il était au bureau ? Était-elle avec son amant ? Étaient-ils en train de faire l'amour ? Était-elle heureuse ? Comment lui faisait-il l'amour ? Dans quel lieu ? Chez lui ? Dans la maison familiale ? Dans des bois comme ils s'étaient amusés à le faire au début de leur mariage ? Partageait-elle vraiment plus de choses avec lui ? Était-ce juste une histoire de sexe ? Prenait-elle plus de plaisir avec lui ?

Toutes ces questions le rongeaient. Mais le sentiment qui dominait chez Stan était du mépris envers lui-même. Il se dégoûtait tellement de ne pas l'avoir vue malheureuse.

C'est alors, que sans s'en rendre compte, il s'endormit.

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