Fantôme.
"Etre seul ne veut pas dire se sentir seul." Effectivement on peut être heureux seul et ne pas ressentir cette solitude. Mais qu'en est-il de "Se sentir seul ne veut pas dire être seul" ? Cela paraît-il si absurde ? Tant mieux si vous n'avez jamais eu ce sentiment d'être seul au milieu de vos propres amis, famille ou n'importe qui.
Oh, j'allais commencer par la dernière fois où j'ai ressenti ça, au lycée mais je me rappelle très bien de la première fois où j'ai ressenti un mélange de frustration, de désespoir et de solitude dans ce cas bien précis. Je m'en rappelle l'avoir écrit dans mon journal intime. J'étais en primaire.
Aucun jugement de valeur, mais quelqu'un qui est explicitement rejeté d'un groupe, c'est certes méchant et mauvais, mais surtout, c'est quelqu'un qui se retrouve seul, et qui j'imagine, doit se sentir seul. Et c'est bien affreux, qu'il s'agisse d'un enfant, d'un ado ou d'un adulte ; personne ne mérite d'être mis à l'écart ainsi.
Mais si ce rejet est implicite et fait par ceux qu'on considère comme ses amis ? Et que de temps en temps ils reviennent nous chercher ? On culpabilise d'avoir pensé qu'ils puissent nous mettre de côté, on se reproche à nous même de s'être écarté, alors que ce n'est pas de notre fait.
Je me souviens si bien de ce moment, une journée pluvieuse en plus, assise dans un coin du préau, se sentiment d'être transparente, les larmes aux yeux, serrant trop fort les jouets que j'avais ramené de chez moi, regardant mes trois amies jouer à l'autre bout de la cour, sans se soucier de moi. C'est à dire que pour une fois, il n'y avait pas eu d'embrouille avec ma meilleure amie. Je leur avait juste donné rendez-vous sous le préau pour jouer à la récré, et elles ne sont jamais venues, elles ne se sont pas demandées où j'étais. Dit comme ça, j'ai l'air terriblement égoïste. Mais quand ça fait des années que tu côtoies ces trois amies, qu'on est presques voisines, qu'on s'invite à tous nos anniversaires et que l'on passe nos journées ensemble à l'école, ça fait mal. Se dire que s'il manque une personne du groupe, on fait sans toi sans aucune pitié. Et encore, rien à voir avec une absence à l'école, j'étais là depuis le matin.
Oui je me revois encore, incomprise et en colère. Cette sensation de ne rien valoir. Ce sentiment de n'être qu'au second plan dans sa propre vie.
Je sais que, quand ma meilleure amie et moi on s'embrouillait dans la cour, étant le noyau du groupe, on finissait par bouder chacune de notre côté. Et les deux autres naviguaient entre nous pour nous réconciller, ou du moins ne laisser personne seul.
Et puis d'un coup, dans ces embrouilles, j'ai fini à l'écart.
Ma meilleure amie avait toute l'attention. Je n'étais pas jalouse, je me sentais juste abandonnée. Seule. Invisible. Sans importance. Et ça fait mal. Pourtant, deux jours après, la dispute était oubliée, et la vie continuait, et l'on était a nouveau un groupe, avec moi qui donnait de l'affection de manière équitable, comme d'habitude. Les câlins avec l'une, les discussions avec l'autre et les délires avec ma meilleure amie.
J'ai été séparée du groupe, allant dans un autre collège, mais de toute façon, de leur côté, ça a éclaté, et là ce ne sont plus des embrouilles, mais des problèmes qui en ont résulté.
J'ai grandi, j'ai rencontré d'autres gens, je me suis fait de nouveaux amis et ça s'est globalement bien passé.
Et vient le lycée. Un déménagement, pas loin de chez moi, un bâtiment neuf, qui a ouvert pour des secondes, mais je fais mon année dans la continuité de mon collège donc je ne peux m'y inscrire que pour l'année de première, ce qui fait qu'une bonne majorité des élèves se connaissent de la seconde, et puis aussi du secteur.
Je suis nouvelle, je ne connais absolument personne, et je suis terrifiée de finir seule, sans amis.
J'ai rapidement rencontré deux personnes qui m'ont fait visiter, et par chance, on est dans la même classe. Au fil du temps, ils m'intègrent à leur groupe d'amis, dont l'une prends le même transport que moi et au même arrêt.
Et je me sens bien, j'ai des affinités avec certains, notamment les deux dans ma classe, celle des transports et petit à petit, je connais à peu près l'ensemble du groupe, une bonne partie m'apprécie aussi, même si on ne peut pas plaire à tout le monde. On tisse des liens, on créée des projets, on fait des sorties où je suis toujours invitée, là où certains ne le sont pas. Je me sens reconnue, et mes efforts pour m'intégrer ont payés. Je ne suis plus la nouvelle qui essaye de se faufiler dans le groupe pour ne pas être seule, je suis véritablement une amie. L'année passe et une nouvelle commence, toujours avec les mêmes amis. Entre eux, il y a quelques distances de prises car les emplois du temps ne sont plus du tout compatibles pour le midi et certaines pauses. Moi, j'ai toujours les transports avec une partie du groupe, et pour l'autre nos cours se suivent, et pour certains midi, je m'étais fait d'autres amis, donc tout roule.
Et puis des embrouilles naissent parmi ceux qui se connaissent depuis longtemps, je joue la médiatrice avec certains, ignore le conflit dans certains cas ; j'ai pour but de ne me mettre personne à dos. Je ne suis pas touchée par les rumeurs et les problèmes, car je ne fais pas de vagues et ne me mêle pas aux personnes problématiques. Il commence cependant à y avoir des fissure au sein de ce grand groupe de gens, et on voit nettement les petits groupes se former. Et moi, au milieu de ces gens qui me connaissent bien, qui sont mes amis, je navigue entre ces nouveaux groupes plus restreints. Les différentes amitiés sont comme entourés d'une bulle, et j'ai l'impression de former ma propre petite bulle, sans le vouloir. Et c'est là que ça me coupe la parole, ne rit plus à mes interventions, ne vient plus me voir si je me mets de côté, et ne me cherche pas si je ne suis pas là. Pourtant, individuellements, mes amis continuent de me parler par message ou même des messes basses en classe ou seuls dans un couloir, ou en rentrant chez soi. Fondamentalement, rien ne semble avoir changé, je suis toujours invitée aux anniversaires et l'on m'y accueille bien, on se fait toujours des sorties, les projets en classe tiennent toujours...
Alors pourquoi je me sens si vide et invisible au milieu de tous ces gens ? Ils ne parlent pas mal de moi, ne m'ont pas exclue de leurs plans contrairement à ce qu'ils ont pu faire pour d'autres. Alors pourquoi on ne m'écoute plus, on ne se tourne plus vers moi pour raconter quelque chose ? Pourquoi je me sens seule alors que je ne le suis pas ?
J'ai cru que j'allais mal et que ce n'était qu'une impression, j'ai pensé en parler mais je ne l'ai pas fait, je ne trouvais pas les mots pour le dire. Il n'y avait pas de raison apparente de me sentir à l'écart. Alors quand mes amis se réunissaient, j'ai fini par m'installer sur un banc à côté avec mon téléphone, espérant que quelqu'un vienne me parler. Je cherchais dans nos conversations privée du soir ce qui pourrait ne pas aller chez moi et qui explique cette invisibilité en groupe, mais rien.
J'aurais préféré être vraiment seule, sans personne, c'est dur, mais moins qu'avoir ces gens à portée de main sans pouvoir les atteindre. Comme un fantôme que l'on peut voir mais qui ne peut rien toucher de tangible et qui passe à travers les gens. Cela amène un tel sentiment de désespoir et d'impuissance. J'aurais presque préféré qu'on me parle mal et qu'on m'abandonne, plutôt que cet état trouble de solitude accompagnée. Et puis j'ai laissé tomber, j'ai arrêté d'attendre qu'on revienne vers moi. Je me suis enlisée dans la lumière de mon portable, sourde à leurs discussions, et le temps est passé. Dans ma classe, je me suis liée à une fille qui parle beaucoup, et qui aime bien demander des conseils a ses amis, et ainsi j'ai eu l'impression de retrouver des couleurs et de la texture, d'enfin être solide et visible. J'avais toujours un contact avec mes amis dans le car ou par messages, mais au lycée, j'étais maintenant en duo avec cette fille et de temps en temps son meilleur ami passait rire avec nous. Trop vite, l'année s'est terminée, et soudainement les gens ont cherché à faire des soirées pour profiter de ces derniers instants avant les déménagements pour la poursuite d'études.
La solitude s'est un peu dissipée, car on retrouvait notre unité de départ et l'on tenait sincèrement à ma présence, mais d'un autre côté, elle était toujours là, l'été s'annonçant, signe de nouveaux départs et surtout d'amitiées qui cessent dès qu'on ne se côtoie plus quotidiennement.
Au final, arrivée à la fac, le tri s'est fait tout seul, ceux qui veulent rester sont restés et les autres m'ont laissée tomber. Bien sûr c'est dur et ça fait du mal, j'ai même été dans le déni pour certains mais ça finit par passer. Et je me sens maintenant entourée par ceux qui sont réellement là.
Bien que de temps en temps, je me sens isolée par mes problèmes personnels, et je ne veux pas forcément en parler, alors au sein d'un groupe joyeux, je me sens un peu à l'écart, mais cette fois-ci c'est de mon fait, pas du leur, et puis je sais que ça va passer. Alors j'apprécie tout de même leur compagnie et le temps fait son affaire.
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