Enième contrat

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 Les différents niveaux défilent lentement sous mes yeux au fur et à mesure que l'ascenseur monte. Mes yeux ambrés sont rivés sur mon reflet dans la vitre de plexiglass. Je remarque un teint pâle et fatigué, du sang seché orne encore mon arcade sourcillière gauche. Les plaques cartilagineuses de mon crâne semblent poussiéreuses et abîmées. Je n'ai pas eu le temps de retirer mon armure, et ma propre odeur commence à me piquer le nez. Mais je connais Tranelli depuis trop longtemps pour négliger sa voix inquiète. En serrant les dents, j'espère ne pas avoir commis une erreur dans mon précédent contrat sur Asralo, bien que les scans répétés d'EVE portent à croire que tout s'était déroulé comme prévu.

 L'ascenseur s'arrête enfin, et s'ouvre sur un couloir faiblement éclairé par un long néon bleu au plafond. Mon pas est lourd de fatigue, le cliquetement discret de mon armure brise le silence de la tour. La porte du fond est blindée, et une plaquette argentée ornée de lettres bleutées annonce le bureau de la courtière. D'une pression du doigt, j'allume la petite caméra du boitier d'entrée, et la porte se déverrouille sur commande de ma supérieure. Son bureau est propre, les murs sont peints en blanc, recouverts d'affiches holographiques ou papier de toutes sortes, ornées de criminels, de primes mais aussi de posters de hard-rock. L'agréable odeur mielleuse qui se dégage d'un encens automatique au plafond assaille mes narines, tandis que la courtière d'information fait rouler sa chaise tournante pour se tourner vers moi.

 Estrella Tranelli est une humaine à la peau mate et aux longs cheveux noirs brillants, attachés dans son dos en queue de cheval. De stature svelte, enveloppée dans sa combinaison vermeil et noir, la courtière est splendide. N'importe quel habitant de Nakapolis, à l'exeption peut-être de quelques espèces des plus tribales, rêverait de partager la vie d'une si belle créature. Ses yeux noirs m'envoûtent pendant quelques secondes, puis je chasse le charme de la jeune femme. J'ai renoncé il y a bien des années à éprouver quelque sentiment amoureux pour des raisons professionnelles. Et cela me demanderait bien trop de temps et d'énergie.

 Tranelli me dévisage, son visage plissé par un sérieux exemplaire. Elle m'invite d'un geste conciliant à m'assoir devant son bureau, et je m'affale lourdement dans le fauteuil redoublé de velours. La fenêtre derrière son dos donne une vue encore plus merveilleuse que la mienne sur l'espace et ses nébuleuses.

 — Je suis ravie que tu aies pu venir me voir si vite, commence-t-elle en pianotant rapidement sur l'écran tactile de son ordinateur. Tu as deviné, j'imagine, que ta convocation a un rapport avec ton contrat dans le secteur BO-17-054.

 — Dis moi que je n'ai pas fait de gaffe, je la supplie, le regard dur.

 — Absolument pas, sourit la courtière pour me rassurer. Cependant, Rahbahr Uaza, l'opérateur du gang des Innombrables que tu as gentiment livré aux autorités, a révélé dans son interrogatoire sur Asralo l'existence de plus haut gradés dans la hiérarchie de son groupe. Quasi simultanément, la signature des Innombrables était repérée à Psema-Diri, la plus importante cité de la planète Thralione.

 — Je ne les aurais donc pas tous arrêtés, grondé-je, agacé. Je t'ai transmis tous les éléments que j'ai pu trouver durant ma mission, et jamais je n'ai entendu parler d'une expansion des Innombrables sur Thralione.

 — Plus qu'une expansion, Ixuliat, souffle Tranelli en plongeant ses yeux d'ébène dans les miens. Les dirigeants, les big boss du gang. Ils ne s'étaient jamais manifestés auparavant sur Thralione, ce qui porte à croire qu'il s'agit d'un acte contestant la capture de Rahbahr. En même temps, les Innombrables ont révélé leur position sur cette planète.

 — Tu veux que je reparte à la chasse aux bandits ? je m'étonne en secouant la tête. J'ai passé deux semaines à traquer ces abrutis, je pense avoir amplement mérité des jours de repos.

 Tranelli se mord la lèvre, visiblement embêtée. Ses ongles pianotent sur le bureau, tandis qu'elle me dévisage, pensive. Puis elle sélectionne quelque chose sur l'écran de son ordinateur, et se tourne vers moi, un sourire en coin.

 — Est-ce que tu veux savoir quelle prime on offre à celui ou celle qui jettera les boss des Innombrables en prison ? susurre-t-elle.

 J'hoche lentement la tête, tandis qu'elle tourne l'image holographique vers moi. Les chiffres qui s'affichent sur l'écran me font rater un battement de coeur. 2,5 millions de crédits. C'est plus que ce que je ne pourrais espérer.

 — P-pourquoi tant d'argent ? je bégaye, ahuri.

 — Ils ont allumé une bombe incendiaire au rez-de-chaussé d'un immeuble appartenant à une coopérative d'armement, à Psema-Diri, soupire la courtière en battant des cils. Les pertes s'élèvent à soixante-et-une, et des centaines de dossiers ont été détruits. La police de Thralione est bien plus stricte que sur Asralo, mais elle est trop occupée chaque jour, car la criminalité est monnaie courante, dans une cité aussi importante. Psema-Diri est sous l'aile de la Confédération Interstellaire, c'est à elle que tu devras t'adresser.

 Elle me toise avec retenue, puis baisse innocement les yeux vers ses mains.

 — Si tu acceptes ce contrat, bien évidemment.

 Son attitude me remplit de frissons. Je reconnais bien Estrella Tranelli la manipulatrice qui, du haut de sa tour de courtière, manipule des centaines de chasseurs de primes tels que moi. Des envies contradictoires livrent une bataille sans merci contre mes principes dans mon esprit. Je songe à Rihn et Naidis, si déçus de me voir partir sans eux, qui une nouvelle fois vont tirer la tête. Mais deux millions cinq cent mille crédits n'est pas une somme refusable. Si je refuse, un autre s'en chargera à ma place et empochera la prime. Je serre les poings, ferme les yeux et inspire, avant de me râcler la gorge.

 — J'accepte, je réponds à Tranelli, qui ne peut s'empêcher de glousser, satisfaite de son coup de maître.

 — Rends-toi sur Thralione le plus vite possible, me recommande-t-elle. J'enverrai un message à Jathala Izo, c'est la première conseillère de la C.I. à Psema-Diri. Elle se chargera de te donner les renseignements nécéssaires à la capture des Innombrables. Je transmets les coordonnées sur le Pietra. Signe ici, et tu pourras disposer.

 Elle me tend un dossier à écran de verre, où je trace du bout du doigt un gribouillis bleuté, que j'accompagne de mon empreinte digitale. Elle ne ressemble qu'à une grosse tâche, mais de fines rainures spiraliques s'y dessinent, affirmant mon identité. Je me lève ensuite, quittant presque à regrets le si confortable fauteuil, puis me dirige vers la porte blindée. Je me retourne une dernière fois vers Tranelli, qui lève un pouce en l'air, souriante.

 — Reviens avec les crédits ! me lance-t-elle, alors que je me détourne pour sortir.

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