Mel et la quête du sapin de Pâques 

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Retrouvons, une fois n’est pas coutume, cher lecteur, chère lectrice, ces héros que nous chérissons tant qu’ils nous chérissent, cela est indubitable, nous sommes chacun convaincus qu’ils en conviendraient si nous leur laissions une parole qui ne leur est, pour le moment du moins, aucunement due. Retrouvons-les donc, une fois n’est pas coutume, après les avoir laissés à leur triste sort, perdus dans l’étendue immensément intimidante d’un univers si follement détaillé qu’il en deviendrait réellement réel et, par une conséquence manifeste, très particulièrement effrayant. Retrouvons-les donc, car jamais deux sans trois, là où nous ne les avions aucunement laissés, car après tout pourquoi pas, nul doute qu’ils reviendront à leur place juste dans les prochaines décennies, je m’y engage, ce qui n’engage à rien de bien tangible.

Nos si fantastiques héros se trouvaient face à une très charmante et sympathique maisonnette, que d’aucuns auraient pu qualifier de manoirette, ou de petit manoir pour rester poli, qui de toute évidence n’avait vraiment rien d’une ferme. Les murs de planches vernies, ainsi que le toit jusqu’à l’encadrement des fenêtres — tout était couvert de couleurs, tout était illuminé par on ne sait quelle sorcellerie que certains nommaient électricité, quand bien même nous sommes dans un monde médiéval où cela parait surprenant mais où tout pourtant semble possible. Les couleurs couraient le long des angles du sympathique et charmant manoirette, rendant ses contours presque confus tant elles semblaient le plonger dans une anarchie architecturale pourtant tout à fait séduisante. Çà et là dansaient des flocons de neige géants, çà et là escaladaient de petits bonshommes vêtus de bonnets rouges et de fourrure blanche, çà et là glissaient des gouttes de lumière le long des reliefs. Il semblait dès lors évident que ce petit manoir était celui de quelqu’un dont les goûts étaient somme toute singuliers, et qui plaçait un cœur tout particulier dans la célébration de cette fête que l’on nomme Pâques.

— Que diable faisons-nous ici ? s’enquit Jack le Préoccupé, qui enfin avait obtenu droit à la parole. Cette étrange bâtisse ne ressemble en rien à la ferme face à laquelle nous nous trouvions voici un instant — enfin, un instant, nous nous comprenons, bien entendu : il s’agit plutôt d’un an tout court. Où est passé le fermier ? Où est passée sa ferme ? Où est passée la vie, où est passé l’amour ? Et, par-dessus tout, pourquoi le sol est-il couvert de neige alors que nous sommes en… en décembre, je vois.

— Ne t’en fais pas, dit Mel, tout ceci est normal, j’imagine. Le narrateur n’a jamais été très doué pour s’organiser de manière efficace, tant sa vie et, par conséquent, son travail, sont menés de manière totalement anarchique et impromptue ; tant jamais il n’est parvenu à suivre un emploi du temps qu’il a passé des heures de sa journée à mettre en place ; tant jamais il n’est parvenu à être quelqu’un de respectable et de consciencieux ; tant jamais il ne fait le moindre effort pour ne serait-ce que faire semblant ; tant qu’il rédige cette histoire dépourvue de sens quelques jours à peine avant de la publier, en catastrophe, pas même certain d’être en mesure de la terminer à temps, alors qu’il aurait bien d’autres choses considérablement plus intéressantes à faire du cours de ses courtes journées, étant donné qu’il ne peut s’empêcher d’en passer une part non négligeable dans son lit de feignasse.

— Je n’ai pas compris.

— Le narrateur n’a pas géré son timing.

— Ah, d’accord. C’est pour ça qu’il neige et qu’on s’est téléportés sans la moindre explication ?

— Oui, c’est pour ça.

— Ah, d’accord. Et c’est pour ça que tu ne fais vraiment plus le moindre effort pour entretenir le quatrième mur ?

— Quoi ? Quel mur ?

— Je ne sais pas.

Et, ce qu’ils ne savaient pas non plus, c’est qu’ils ne seraient plus ici dès l’épisode prochain, ou presque ; c’est que la neige aura disparu tant que ce manoirette dès l’épisode prochain, ou presque ; c’est que ce qu’ils s’apprêtent à vivre en ce lieu magique, aussi palpitant ou non cela sera-t-il, n’aura sans doute aucune espèce d’importance pour la suite de leurs aventures — si tant est que quoi que ce soit en ait la moindre.

Mais ils s’en doutaient certainement.

— Peu importe, dit alors une Mel frigorifiée. Je suis frigorifiée, en effet. Mes jambes tremblent tant que je vais finir par tomber dans cette couche de neige et ne plus jamais être en mesure de m’en sortir. Entrons donc dans cette maison ensorcelée qui brille de mille feux sans que je ne puisse l’expliquer. Mais ne touchons à rien, le maléfice pourrait se transmettre, et nous pourrions briller également pour le restant de notre existence.

— Ce serait amusant.

— Que nenni ! J’ai besoin d’obscurité pour m’endormir, le soir.

Pour s’endormir, sans aucun doute. Mais bien moins pour demeurer endormie, tant il lui arrivait de ne s’éveiller que lorsque le soleil était sur le point de se coucher à nouveau — ce qu’elle faisait alors également, condamnant ainsi l’entièreté de sa journée et de sa nuit à n’être que sommeil. De tels jours, aussi reposants et paisibles pouvaient-ils être, ne manquaient toutefois pas de n’être que fort peu productifs, étant donné que, quand elle dormait, Mel ne progressait pas de manière significative sur ses projets, qu’ils soient personnels ou professionnels, ce qui était alors bien regrettable, quand bien même la Mel en question n’en avait réellement que faire, au contraire de son employeur tant que de sa fierté personnelle, si tant est qu’elle pût être sauvée. L’auteur précise qu’il ne parle en rien d’expérience, cela va de soi, entendons-nous — mais à présent son honneur est sauf.

— Trêve de mondanités, dit alors Jack le Bonhomme de Neige, entrons dans le gîte du sujet.

Ils entrèrent dans le lumineux manoirette. À l’intérieur, il faisait plus chaud qu’à l’extérieur. De manière drastique, sans aucun doute ; ce qui procura le plus grand plaisir à nos invités, qui avaient souffert du froid et de la neige durant la très brève introduction que l’auteur de grand talent qui vous fait l’immense honneur de ses lignes a rédigée avec un soin et une application si grandioses. Toutefois, de manière fort peu compréhensible, Mel et Jack trouvaient la nouvelle chaleur qui envahissait l’intérieur des murs du manoirette bien plus confortable que des lignes d’une immense beauté — après tout, la beauté n’est-elle pas la solution à tous les maux, froideur comprise ? —, quand bien même cette chaleur innovante, chaleur rassurante, était-elle en réalité le fait d’un très adorable feu de cheminée, qui toutefois avait décidé que la seule cheminée ne suffisait plus à sa confortable existence de feu de cheminée. Sans doute trouvait-il le plancher, le plafond ainsi que la tapisserie de la charmante bâtisse très à son goût, et sans doute avait-il déjà planifié de futures expéditions jusqu’à la cuisine ou jusqu’au grenier ou même jusqu’au sommet du ciel d’hiver ou jusqu’au-delà des étoiles, tant l’ambition est si belle à voir dans les yeux d’un jeune et vaillant feu de cheminée ; mais hélas pour son si vaillant désir d’aventure et de découverte, il ne parut pas à proprement parler du goût de Mel qui, en un geste immensément violent et incontestablement dépourvu de toute forme d’une empathie quelconque, déversa une quantité d’eau infinie sur le pauvre feu de cheminée, qui périt en même temps que ses si innovantes idées d’évasion et d’exploration. Le drame était immense, et il parait dès lors évident que Mel s’est faite l’antagoniste principale, tout du moins la plus cruelle, de toute cette si sombre histoire. Un instant nous sera nécessaire pour nous remettre d’une scène d’une telle violente. L’auteur de grand talent présente au lecteur ses plus sincères excuses pour ce qu’il vient d’avoir à dépeindre ici, et comprendra la haine qu’il pourra recevoir à la suite de cet événement regrettable. Toutefois, son vœu d’exhaustivité l’a forcé à rapporter toute la vérité, rien que la vérité, de manière totale et absolue et surtout complète et compréhensible — ce qu’il fit. Il en fut forcé, mais n’en est pas moins affligé, sachez-le, cher lecteur, chère lectrice. À présent, prenons un instant pour nous en remettre — après quoi nous reprendrons le cours de notre histoire.

Notez bien, lecteur, lectrice, qu’il ne s’agit absolument pas, pas du tout !, d’une ruse de la part de votre auteur favori pour gagner du temps en vue de rédiger la suite de l’histoire, qu’il n’aurait pas eu le temps de clôturer suffisamment tôt, faute d’un semblant d’organisation et de gestion de son temps de travail et de loisirs — surtout de loisirs. Absolument pas !


L’instant de recueillement ayant été pris avec grand soin, et le temps ayant été laissé à votre auteur favori de poursuivre la rédaction de cette merveilleuse histoire (que dis-je, absolument pas ! Tout est prêt depuis au moins de très nombreux instants.), passons sans plus attendre à la suite de cette si terrible épopée, car le temps nous manque et n’est pas une denrée illimitée, bien du contraire. D’aucuns dès lors pourraient se trouver étonnés de vous voir ainsi, lecteur, lectrice, lire un texte si à la fois magnifique et ennuyeux, mais après tout ceci ne relève-t-il pas de votre libre arbitre propre, outre le débat qui tente depuis des millénaires, que dis-je ! depuis la nuit de tous les temps, d’en évaluer la teneur voire l’existence même ? Sans aucun doute.

Le sympathique feu de cheminée vaincu, Jack l’Ému et Mel la Meurtrière entreprirent de découvrir les lieux qu’ils venaient d’ainsi libérer, d’ainsi s’approprier sans vergogne, tels des occidentaux du vingt-et-unième siècle. Le lieu était tout à fait sympathique, certes, tout était orné de très adorables bonshommes et de très vives couleurs, tout était chaleureux et rassurant, à l’exception sans doute du feu de cheminée, qui n’avait plus rien de chaleureux. Pourtant, oui pourtant, quelque chose semblait manquer. Quelque chose ne se trouvait pas à la place qui lui avait été due par l’esprit si charmant qui avait conçu et réalisé l’ornementation de ce manoirette. Jack le savait : dans l’un des coins de la pièce, à proximité de ce qui avait été la demeure du feu de cheminée, quelque chose manquait, quelque chose avait disparu, quelque chose n’était pas là qui aurait dû l’être. Et Jack comprit rapidement de quoi il s’agissait, bien que lui-même ne put dire comment il l’avait su.

— Mel, hurla-t-il en une détresse infinie, Mel ! Regarde, Mel ! Cela est si terrible, Mel ! Le sapin, Mel ! Le sapin ! Le sapin de Pâques, Mel, n’est pas à sa place ! Il a disparu, Mel ! Il a été enlevé, Mel ! Quelqu’un l’a dérobé, Mel ! Nous devons faire quelque chose, Mel ! sans quoi, Mel, la magie de Pâques sera brisée à tout jamais !

— Qu’est-ce que tu racontes, Jack ? Pâques n’existe pas, dans notre univers.

— Mais peu importe, voyons, nous ne pouvons pas nous permettre de laisser la magie de cette fête inexistante être ainsi brisée, détruite, oubliée ! Sans le sapin dans notre petit manoir si adorable, sans lui, la fête ne pourra pas être ! La fête ne sera pas complète ! La fête ne sera pas fête, et cela est la plus horrible de toutes les choses qui pourraient nous arriver ! Imagine, Mel, une fête de Pâques sans sapin, c’est comme une fête de Pâques sans repas de famille autour d’un chaleureux buffet suivi d’un délicieux dessert en forme de bûche, quoi que cet étrange symbole puisse signifier ! C’est comme une fête de Pâques en décembre 2020, Mel !

— Quoi ?

— Pardon, je croyais que le quatrième mur n’était plus considéré. Mais qu’importe ! Nous devons retrouver le sapin de Pâques, c’est une question de mort ou de vie, je te l’assure ! Nous devons en faire notre priorité absolue, car il nous faut mettre la main sur celui qui nous l’a dérobé avant que les autres invités ne nous rejoignent, car sinon nulle part ils ne pourront poser leurs cadeaux !

— Quels cadeaux ?

— Tu m’as l’air bien absente, ma très chère Mel, de l’actuelle situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement. Il y a toujours d’autres invités dans ce genre de célébrations, c’est comme ça. Ne me dis pas que tu n’as pas connaissance des traditions qui n’existent pas dans notre univers ? Ce serait absolument intolérable, j’imagine. Un peu d’ouverture d’esprit, voyons donc.

Mel avait beau n’avoir pas compris un traitre mot de tout ce que son compagnon de mésaventures venait de lui déclarer, pas plus que le sens de cet arbre dont il parlait avec tant de ferveur, elle eut bien à admettre que le ton tout catastrophé avec lequel Jack avait ainsi déclamé son émouvante tirade l’avait d’une manière ou d’un autre convaincue qu’une action de sa part et de la sienne devait être bien rapidement, sinon immédiatement, tout du moins dans les délais les plus brefs, à sérieusement envisager. Aussi fut-ce ce qu’elle fit aussitôt. Elle observa soigneusement, méticuleusement, avec une immense minutie, le lieu où se trouvait jadis, il y a un temps dont elle ignorait la durée précise, ce fameux sapin qui n’était pas là et qu’elle n’avait même jamais vu et dont elle ignorait même l’apparence et dont elle ne savait absolument rien, ni même comment partir à sa recherche. Par chance pour elle, par malchance pour d’autres, par frilosité pour le sapin, il semblait que ses petites épines vertes n’avaient pas toujours pour habitude de demeurer accrochées aux branches de leur arbre, comme manifestement cela était le cas des boules de couleur, des guirlandes étincelantes et des bonshommes ailés phosphorescents qui devaient jadis, il y a un temps dont elle ignorait la durée précise, servir d’ornementation festive à ce joli sapin, décoré qu’il était, à l’instar sans doute de chacun des sapins festifs posés çà et là dans les manoirettes durant la saison de Pâques. Il ne fait nul doute que, dans le cas de la plupart de ces jolis sapins, une telle ornementation, de même que les petites épines vertes, demeurent généralement sur le sapin et non autour de lui, car cela fait bien davantage de sens, le sol n’ayant nul besoin d’être ornementé de manière festive. Toutefois faut-il croire que ce sapin, à l’instar de feu notre feu de cheminée, est globalement peu enclin à se laisser plier aux us et coutumes locaux, bien qu’adoptés unanimement, ou presque — ou bien était-ce à cause du fait qu’il ait été très sauvagement déplacé, ce qui n’est généralement pas chose habituelle dans la vie d’un sapin de Pâques ornementé de manière festive. Aussi étrange tout ceci pouvait-il paraitre, tout ceci fut néanmoins une aubaine, dans le sens remarquable où la piste d’aiguilles et de boules et de guirlandes et de bonshommes indiquèrent une voie à Mel et Jack, qui n’eurent aucun mal, ou presque, à s’enfoncer dans la froideur du vent et de la neige, à marcher malgré la perniciosité de la météo que leur imposait un hiver tout à fait rude, dirait-on hivernal, simplement. Mel et Jack marchèrent ainsi durant un temps qui leur parut plutôt long, bien qu’il ne le fut pas le moins du monde en réalité, jusqu’à ce que la piste d’aiguilles et de boules et de guirlandes et de bonshommes les laissa face à un manoirette bien plus imposant que le leur, tant qu’on aurait pu le qualifier de véritable manoir ; sans doute hanté, si l’on en croit la culture populaire, tant celui-ci était entièrement dépourvu de toute forme d’ornementation à caractère festif ou à tout autre type de caractère.

Malgré toutefois le caractère très peu accueillant de l’édifice, et malgré toutefois le fait que le vil dérobeur de sapins se trouvait sans nul doute ici même, Mel et Jack frappèrent contre la grande porte du très grand manoirette, car la neige et le froid semblaient désormais de bien plus redoutables ennemis.

Celle qui leur ouvrit les poussa à reconsidérer ce raisonnement.

— Orange ! s’écria Mel dès qu’elle vit son éternelle ennemie, dont la chevelure faisait le nom et la renommée ; comme le faisaient également ses habitudes vestimentaires, que chacun sait particulièrement allégées, même en cette si froide saison de Pâques.

— Qui est-ce ? s’enquit alors Jack l’Enchanté, qui avait laissé toute la liberté à son regard de ne pas s’embarrasser des normes de bienséance.

— Nous la rencontrerons plus tard au cours de nos aventures, lui répondit tout naturellement Mel.

— La chronologie de cet univers n’a décidément aucun sens.

— Entrez, entrez, chers ennemis, dit Orange. Ne restez pas dans le froid, non.

Mel et Jack obtempérèrent avec beaucoup de conviction, sans doute encouragés par les liens qui obstruaient leurs mouvements ainsi que par les sbires aussi malveillants qu’ils étaient dépourvus d’âme qui les pressaient de leurs lances certes affutées.

— Est-ce toi qui as dérobé notre sapin de Pâques ?

Orange rit, d’un rire que l’on ne qualifierait pas réellement de machiavélique à proprement parler, bien que ce terme aurait pu s’y appliquer dans d’autres circonstances que celle-ci, car l’ambiance de l’intérieur de la manoirette d’Orange et de ses sbires était tout aussi, sinon plus, effrayante que ne pouvait l’être l’extérieur ; ainsi le terme de machiavélique semblait bien faible en comparaison du caractère lugubre et sinister du lieu, qui aurait assurément pu plaire à un certain convive dont le nom ne laisse douter de rien quant à ses goûts décoratifs.

— En effet, oui, dit-elle sans la moindre forme de honte ou de regret, cela est mon œuvre, il est vrai.

— Mais, pourquoi ? demanda Jack l’Affligé. Pourquoi, diable ? Pourquoi donc infliger pareille douleur à nos si charmantes célébrations ? Pourquoi tant de haine, dans ce triste monde ? Notre fête était sur le point d’être parfaite ! Seuls les convives manquaient, et à présent voici que manque également la pièce maitresse, que dis-je, la pièce cardinale ! de l’inexistante fête de Pâques. Pourquoi, dis-le-moi ! Pourquoi ! Te rends-tu compte, très charmante demoiselle, de tout le mal que tu as infligé ? De tous les destins que tu as brisés ? De tous ces pauvres gens qui n’auront pas le plaisir immense et absolu de pouvoir poser si délicatement les si jolis cadeaux qu’ils auront si amoureusement emballés en vue de les offrir à leurs si précieux amis ? T’en rends-tu compte ? L’as-tu au moins considéré, avant de commettre ton si vil méfait ? Pourquoi rire ainsi, charmante demoiselle maléfique ? Ne vois-tu pas que j’essaie de te faire culpabiliser afin de nous tirer de ce guêpier ?

— Je le vois bien, tout à fait, répondit la charmante et maléfique Orange. C’est cela qui me fait rire, oui, car c’est tout l’effet que peut me faire la souffrance, ni plus, ni moins. La souffrance est si amusante, voyez-vous, si amusante, c’est ce que je pense, c’est ce que je mets chaque jour en pratique, chaque jour, oui. Je suis la méchante, après tout, n’est-ce pas là mon rôle, le rôle des méchantes ?

— Tu as donc kidnappé notre si paisible sapin de Pâques dans le seul but de provoquer de la souffrance ?

— Ne me sous-estimez donc pas, non, rétorqua-t-elle, tout de même un poil vexée. Certes, en effet, cela ne me déplait pas, non, pas le moins du monde. Mais, voyez-vous, chers visiteurs, voyez comme mes plans sont plus nobles, mes plans sont plus grands, mes plans sont plus élevés. Mes plans ne sont pas d’une telle bassesse, non, sûrement pas, enfin. Non, j’ai d’autres plans, plus nobles, plus grands.

Elle avait parlé tout en se frottant avidement les mains, tel que le font toutes les méchantes.

— Quel est-il ? lui demanda Jack l’Interrogateur.

— Eh bien, cher jeune et charmant garçon, mon plan était de te rencontrer, ni plus, ni moins. Te voir, t’avoir. Tel était mon si noble plan. Sais-tu, Jack le Charismatique, sais-tu comment tes bras sont connus à travers le monde tout entier ? Comment tes abdominaux sont les objets de légendes et de fables ? Comment ton…

— Assez, l’interrompit Mel, passablement horripilée par ce si vil personnage, qui osait prétendre à lui dérober le titre de principale antagoniste de cet univers. Relâche-nous, Orange, avant que nous ne sortions de nos gonds.

— Vous relâcher ? Vous ? Laisse-moi rire ! (Elle ne s’en priva pas, bien loin de là.) Pourquoi ferais-je une telle chose, enfin, après tout le mal que je me suis donnée ? C’est d’un absurde, je ne puis en revenir, non. Dis-moi donc, acerbe prisonnière, pourquoi je devrais faire une telle chose.

— Si tu acceptes, tu pourras t’asseoir à notre table, en compagnie de tous nos convives, pour le si traditionnel et délicieux repas de Pâques. N’est-ce pas pour cela que tu désirais voir et avoir Jack ? Tu dois te sentir bien seule, dans ce si triste manoir, en la seule compagnie de ces sbires sans âme, sans même le moindre bonhomme lumineux qui escalade une fenêtre. Quelle tristesse, quel effroi ! Je te plains, Orange, ennemie de toujours. Oui, je te plains. Personne ne mérite de passer ainsi le soir de Pâques, c’est si triste. Alors, Orange, ennemie de toujours, viens avec nous. Mettons nos éternels différends de côté, juste pour un soir, et soyons amies, juste pour un soir, offrons-nous des cadeaux, juste pour un soir, aimons-nous, juste pour un soir, mangeons, juste pour un soir, bien entendu.

— Non.

— Non ?

— Non.

— Comment ça, non ?

— Ce n’est pas ce que je désire.

— Non ?

— Non.

— Non ?

— Non, te dis-je !

— Mais alors, que désires-tu ? Qui peut ne pas désirer pas la compagnie de si chaleureux convives un si terrible soir d’hiver ?

— Moi.

— Mais…

— Si tu nous relâches, je te montrerai mes abdominaux.

Jack le Malin avait parlé sans crier gare, sans s’annoncer, sans demander la parole. Sans doute avait-il bien compris qu’une telle conversation ne les mènerait pas vraiment quelque part, si ce n’est nulle part ; aussi avait-il décidé, une fois de plus, de prendre les choses en main, et de proposer à la méchante Orange ce pour quoi elle avait si facétieusement kidnappé l’innocent sapin. Aussitôt qu’il eut prononcé ce si subtil trait d’esprit, leurs liens avaient disparu et Mel et Jack se trouvèrent libres de leurs mouvements. Mel saisit le premier objet qui aurait pu lui servir d’arme ; elle effectua des pirouettes ; elle abattit les sbires sans âme ; elle renversa quelques meubles pour la forme ; elle explora tout le manoir ; elle retrouva le sapin de Pâques ; elle lui ôta ses bâillons ; elle l’emmena en direction de la sortie ; elle s’aperçut, en passant la porte, que Jack ne la suivait pas. Alors elle retourna à l’intérieur, à la recherche de son compagnon, sans doute encore prisonnier de la terrible Orange, dont la pitié inexistante pouvait la pousser à commettre les pires des exactions, les plus terribles des affronts, les plus inimaginables des crimes. Assurément Jack était-il déjà mort, assassiné, meurtrié, découpé, servi comme repas de fête aux sbires sans âme. Assurément.

Elle trouva Jack torse nu. La terrible et sadique Orange avait posé sa main sur son torse. Elle pleurait. De joie. De contentement. De bonheur.

Jack la salua. Il rejoignit Mel et le sapin. Tous trois quittèrent le manoir. Tous trois reprirent leur route à travers la neige.

— Revenez quand vous le voulez, oui ! entendirent-ils derrière eux. En attendant, je vais repenser à ce moment, à cette magie, à cette folie. À bientôt, à bientôt !

La voix fut rapidement étouffée par les rafales du vent chargé de neige et de glace et de grêle qui fouettaient leurs visages et leurs oreilles et leurs mains, et même leurs yeux, tant qu’ils ne furent pas capables de retrouver la route qui les auraient menés directement et de manière très, mais alors vraiment très directe, jusqu’à leur propre manoirette de Pâques ; au lieu de cela, ils marchèrent dans la neige, entre tours et détours, revenant sur leurs pas aussi souvent qu’ils tentaient une nouvelle piste ; durant les dieux savent combien de temps exactement. Sans doute toutefois un temps bien trop long, étant donné que lorsqu’ils aperçurent enfin le manoirette, à la faveur d’un temps enfin clément et d’une tempête enfin reposée, non seulement la neige avait fondu, mais les convives également. Mel et Jack et le sapin se trouvèrent ainsi, seuls, contraints de se contenter d’une faible mais certes agréable compagnie.

Ainsi se termina la si incroyable quête du sapin de Pâques. L’auteur de grand talent qui vous a ici fait l’honneur de sa si belle plume vous souhaite tous ses si merveilleux vœux, tout le bonheur, toute la santé et toute la joie et même toute la richesse pour la nouvelle année qui est sur le point de commencer — ou l’aurait-elle déjà, sans aucun doute, si l’on considère le retard immense et incommensurable qu’aura pris la seconde partie de ce si merveilleux périple — et vous remercie bien chaleureusement de votre étonnante patience. Non, il n’en fera pas davantage, cette fois du moins : il n’en fera pas davantage, car laissons à présent place à d’autres aventures, sans doute au moins presque aussi palpitantes que celle-ci même, bien qu’il puisse en douter, n’est-ce pas.

Jack et Mel, pendant ce temps, patienteront comme ils le font si bien depuis tant de temps, que leurs aventures progressent enfin. Ils en étaient particulièrement impatients, tant qu’ils se jurèrent que tout ce qu’ils venaient de vivre, y compris même, ou surtout peut-être, leur si terrible rencontre avec la si diabolique Orange, devrait à jamais, disent-ils bien à jamais, demeurer entre eux et entre eux seuls.

Pour des raisons qu’ils omirent d’expliciter.

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