plouf

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Je suis sous l'eau et j'ai peur.

Dix ans que je plonge, sans avoir jamais ressenti la moindre appréhension ; et j'ai peur comme un enfant qui met la tête sous l'eau pour la première fois. Peur de ne jamais pouvoir remonter.

J'ai mal aux oreilles et mon détendeur fuit, j'avale presque autant d'eau que d'air. Ce genre de choses n'arrivent qu'aux débutants qui maîtrisent mal les différentes techniques pour équilibrer ses tympans et qui vérifient sommairement leur matériel. Alors que je suis irrémédiablement attirée vers les profondeurs sombres, une question fuse dans mon esprit ralenti : qu'est ce qui n'a pas été ?

Je suis quasiment sure que mon détendeur fonctionnait normalement à la mise à l'eau. Ce n'est qu'à partir d'une quinzaine de mètres que ma bouche a commencé à s'humidifier. Maintenant je suis deux fois plus bas et je dois me concentrer pour ne pas boire la tasse à chaque inspiration. Et cette question qui martèle mes pensées : qu'est ce qui n'a pas été ?

Je vois des myriades de bulles d'air qui virevoltent tout autour de moi mais je ne vois plus les plongeurs qui les ont émises. Elles montent et moi je descend. Je ne parviens pas à me focaliser sur autre chose. Je trouve cela beau, j'ai l'impression de flotter dans un courant d'air.

Mais en même temps j'ai peur.

J'ai peur parce que j'avale de plus en plus d'eau et parce que deux perceuses en marche semblent vouloir me déchirer les tympans. Je n'arrive plus à m'équilibrer. Je m'accroche désespérément à la corde qui sert de guide à la descente. Mais le courant tire sur mes bras, mes mains glissent sur les petites algues fixées sur la corde.

Je donne de furieux coups de palme pour remonter mais les derniers réflexes qu'il me restent m'empêchent de remonter trop vite. Cette lutte avec moi-même m'épuise. Je ne peux pas descendre sous peine de m'évanouir de douleur, je ne peux pas remonter sous peine de finir en fauteuil roulant[1]. Qu'est ce qui n'a pas été ?

Les profondeurs m'aspirent et je ne vois toujours pas le fond. Qu'est ce qui n'a pas été ? La fuite de mon détendeur ne m'avait pas inquiétée quinze mètres plus haut. Pourquoi ? Je ne suis pas du genre à m'inquiéter facilement mais je tiens à la vie. La question a bien dû me traverser l'esprit. Il faut que je me souvienne. J'ai déjà consommé un quart de ma réserver d'air.

La réponse danse devant mes yeux mais ma vision est troublée par la buée sur mon masque. Je l'arrache. Je suis propulsée dans un monde certes flou mais infiniment plus "lisible" que le voile opaque de buée. J'attrape le tube vert pâle qui flotte devant moi. Il aurait du être jaune fluo mais à trente mètres les couleurs vives ont du mal à percer.

C'est bien ce qui me semblait, il s'agit de mon détendeur de secours ! Je ne me suis pas inquiétée par ce que je savais que j'ai un deuxième détendeur sur moi ! Ni une ni deux, je recrache celui que j'avais en bouche et j'aspire goulument dans mon détendeur intact. Je revis.

Je retrouve un semblant de calme et mes réflexes de plongeuse chevronnée par la même occasion. Je vide mon nez bouché en inspirant de l'eau de mer. Ce n'est pas très agréable mais c'est une étape nécessaire pour me déboucher les tympans. Je remets mon masque, à présent lavé de toute buée. Mon état s'améliore.

Soudain, la douleur dans mes oreilles disparaît brusquement. Les profondeurs m'ont acceptée. Je me sens bien. Etrangement bien. Je suis désormais à quarante mètres sous la surface. J'ai battu mon record. C'est comme si je venais de passer une épreuve initiatique pour gagner le droit d'aller jouer dans la cour des grands.

Je n'ai plus mal. Je n'ai plus peur.

L'idée de ne plus remonter ne m'effraie plus. Elle m'enchante.

[1] Lorsque le corps subit une forte pression, l'azote se dissous dans le sang. Si la pression diminue d'un coup, l'azote n'a pas le temps d'être évacué par la respiration et forme des bulles dans les vaisseaux sanguins, pouvant les faire éclater. Cela provoque alors des hémorragies internes plus ou moins graves selon l'endroit. C'est pour cette raison que les plongeurs font des paliers avant de remonter.

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