Chapitre 2 (partie 1)

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AARON


   Appuyé contre le mur, je suis spectateur de la scène qui se déroule sous mes yeux. Des mouvements de hanches de Teresa et Cameron, de leurs rires complices et des regards enflammés que la blonde lance aléatoirement autour d’elle. Le genre qui peut donner chaud à n’importe qui.

   — Ce qu’elle peut me rendre ouf quand elle est comme ça, grogne Naïm à côté de moi.

   N’importe qui sauf lui.

   — Uhm ?

   Je détourne le regard de nos deux amis, un peu à contre-coeur. Teresa possède cette faculté d’attirer l’attention de tout le monde autour d’elle, sans même faire beaucoup d’efforts. Et elle en joue. Beaucoup. Il suffit qu’elle pénètre dans une pièce pour que tous les regards se posent sur elle. Souvent, c’est à cause de ses tenues aussi courtes que légères. Parfois, grâce à ses danses voluptueuses. Mais c’est toujours dû à ses manies de femmes légères et joyeuses.

   Naïm les fixe, l’air désapprobateur, et j’aperçois ses doigts se crisper autour de son gobelet en plastique. S’il continue, il va éclater entre ses mains.

   — C’est toujours pareil avec les deux. Zehma, il peut pas y avoir un peu de musique sans qu’ils finissent par se frotter, se plaint-il.

   Et le pire, c’est qu’il n’exagère presque pas. Dès qu’une musique à consonnance latino ou afro passe, on les perd dans une de leurs danses interdites aux moins de dix-huit ans. Non pas que ça me dérange. Au moins, pendant ce temps, elle ne les fait pas avec le premier gars en chien qui passe.

   — Ça va, ils ne font que danser…

   — Non, ils baisent habillés. C’est pas la même chose.

   Je grimace, faute de pouvoir le contredire.

   Notre attention est redirigée vers nos deux amis, comme celle d’une partie de la pièce — l’autre a fini par se lasser. La jeune femme aux cheveux peroxydés me tourne désormais le dos, les bras enroulés autour du cou de son partenaire, mais ses fesses se mouvent toujours dans sa mini-robe en cuir, la main du blond au creux de ses reins.

   Quand je les vois aussi proches, il m’arrive de me demander s’il s’est déjà passé quelque chose entre eux, simplement par curiosité, parce que j’avoue avoir du mal à m’imaginer danser comme ça avec une fille sans la sauter par la suite. Ils assurent que non et la plupart du temps, je les crois.

   — Au moins, c’est avec Cam qu’elle danse. Ça pourrait être n’importe quel fils à papa de cette soirée, je tente de le rassurer en buvant une autre gorgée de whisky-coca.

   Le regard presque transparent de Naïm se pose sur moi puis il soupire, vaincu.

   — Ouais, t’as raison…

   Ce que l’algérien déteste encore plus que le comportement de Terrie en soirée, ce sont les gosses de riches suffisants et antipathiques. De l’acabit de ceux qui nous entourent en ce moment même. Je suis du même avis que lui sauf que je ne les déteste pas, je les méprise. Au plus haut point. Rien que d’être ici, au milieu de l’ennemi, ça me file de l’urticaire.

   Le seul que nous supportons est Cameron qui, ayant grandi avec des mecs comme Naïm et Maxime, n’est pas devenu un gros con imbu de lui-même. C’est d’ailleurs lui qui nous a convaincu de venir ici. « Faites moi confiance, ça va être cool » disait-il. Pour l’instant, le seul truc cool de cette soirée, c’est le Jack Daniel que je bois comme de l’eau.

   — Je vais essayer de trouver Maxime et Esther, j’ai trop chaud, me prévient Naïm en claquant la paume de sa main contre mon dos.

   Je sais que c’est surtout parce qu’il est sur le point d’attraper Teresa par le bras pour la ramener fissa chez elle. Son côté grand frère protecteur qui prend le dessus.

   — OK. J’attends que Cassandra redescende et je vous rejoins.

   Il me répond d’un hochement de tête et se fraie un chemin parmi les danseurs effrénés, le petit sac de Teresa dans sa main gauche. Rapidement, sa tête bouclée disparaît de mon champ de vision.

   Je tire mon téléphone de la poche de mon pantalon pour regarder l’heure. Cassie est partie déposer ses ailes et celles de Teresa à l’étage depuis presque dix minutes. Je jette un coup d’œil à la recherche de ma petite-amie mais aucun résultat. J’attends encore un peu puis je partirai la chercher.

   Je porte mon gobelet à mes lèvres pour boire une nouvelle gorgée rafraîchissante puis tire sur le col de ma chemise pour m’aérer. Il fait beaucoup trop chaud avec tous ces corps entassés.

   Puis mes prunelles croisent celles de Teresa, encore. Sauf que cette fois, elle m’offre un sourire empreint d’alcool, si lumineux qu’il contraste avec la noirceur de son costume. Elle me récite les paroles espagnoles d’une chanson que j’ai déjà entendue dans le pub où je travaille. Je ne les comprends pas mais Terrie met tellement d’énergie dans son interprétation qu’elle arrive à m’arracher un rire complice.

   Et soudain, je me sens incapable de décrocher les prunelles de son corps qui ondule avec souplesse et légèreté, un sourire niais aux lèvres. Cette putain de capacité à capter l’attention. Peut-être que l’alcool qui coule dans mes veines y joue un rôle aussi.

   Si nous étions dans un lycée américain d’une de ces séries pour adolescents, Teresa aurait été de la catégorie reine du bal. Sans hésiter. Vous savez, ces filles populaires, pleines de vie, un poil superficielles mais belles à couper le souffle, que les autres filles jalousent et que les garçons rêvent de mettre dans leur lit.

   Sauf qu’on est dans la vraie vie et qu’elle a trop mauvais caractère pour être élue.

   Ce soir, je suis celui qui porte le costume de démon alors pourquoi est-ce que c’est elle qui m’envoie des regards sulfureux ? En a-t-elle-même juste conscience ?

   Et voilà, j’ai envie de baiser. Elle est où, Cassie ?

   Je perds le fil de mes pensées lorsqu’elle tourne sur elle-même, remuant ses fesses de nouveau, l’ourlet de sa robe menaçant de remonter au-delà de l’acceptable. Mes prunelles lorgnent sans discrétion sur la courbe de son cul et un sifflement appréciateur résonne entre mes dents. Elle est douée, très douée.

   — Aaron !

   La voix de Cassandra me ramène sur Terre avec une telle violence que je manque de renverser ma boisson. Putain, elle est là depuis combien de temps ?

   Elle s’approche de moi, le visage fermé et les sourcils froncés, creusant une petite ride entre ses yeux, puis m’attrape le bras pour que je lui fasse face.

   — Je rêve ou tu étais en train de mater une fille ? m’accuse-t-elle.

   — Quoi ? Mais n’importe quoi !

   Bien sûr que je nie. Il ne manquerait plus que je lui avoue que je me rince l’œil sur sa meilleure pote.

   — Arrête de mentir, je t’ai vu !

   Du haut de son mètre soixante-deux et de ses cinquante-deux kilos, Cassie n’est pas très impressionnante mais ses longs ongles s’enfoncent dans ma chair avec tellement de force que j’ai du mal à ne pas serrer la mâchoire pour contenir la douleur.

   Cassandra n’est pas du genre violente, ni même prise de tête à la base. Au contraire, c’est une jeune femme câline, attentionnée, affectueuse et plutôt facile à vivre. Sauf depuis qu’elle est partie à Bordeaux pour son école de marketing de la mode et du luxe à la rentrée dernière et que son manque de confiance en elle rend la relation à distance très compliquée. En général, je prends sur moi pour désamorcer la situation avant que ça ne dégénère réellement mais là, je n’ai pas envie de faire d’efforts.

   — Ouais, je matais une fille et alors ? Qu’est-ce qu’on s’en branle, vu que c’est avec toi que je rentrerais quoi qu’il arrive ? je soupire en roulant les yeux. J’ai encore le droit de regarder qui je veux.

   Toute trace de colère disparaît de son doux visage alors qu’elle semble prendre mes paroles comme un poing dans le ventre. Puis ses lèvres s’entrouvrent et ses prunelles se recouvrent d’un voile humide. Sa prise se relâche et je regrette déjà ce que j’ai dit. Elle finit par me lâcher et recule, chancelante.

   — J-je vais rentrer…

   — Non, Cass’, attends !

   Mais elle s’éloigne déjà de moi et me glisse entre les doigts. Elle fonce à l’étage pour récupérer ses affaires, feignant de ne pas m’entendre crier son prénom. Elle rentre dans une chambre. Je m’apprête à faire de même mais un type sorti de nulle part me colle sa paume contre le torse pour me retenir.

   — Je crois que la demoiselle n’a pas vraiment envie de te parler, mon pote, alors laisse-la tranquille.

   Je baisse les yeux vers Monsieur le chevalier servant et le couvre d’un regard sombre, le torse bombé. Un de ces connards de gosses de riches. Je suis plus grand que lui, et plus musclé aussi. S’il me cherche, je ne mettrais que trois secondes pour l’éclater.

   Ok, cinq, parce que je ne suis pas sobre.

   — C’est ma meuf. Alors arrête de me casser les couilles et va voir ailleurs si j’y suis, mon pote.

   Soudain, la mine pseudo-sévère qu’il se donnait s’effrite et sa voix rauque s’adoucit alors qu’il recule en s’excusant. Mais Cassandra en a profité pour se barrer et redescendre. Putain, elle va me rendre dingue avec ses conneries.

   J’arrive enfin à la choper dans la cage d’escalier de l’immeuble.

   — Cass’, arrête. C’est pas ce que je voulais dire, tenté-je de m’excuser.

   Mais c’est peine perdue, elle est blessée.

   — Je m’en moque, Aaron. J’ai compris le message. Va mater qui tu veux, va même baiser qui tu veux, c’est plus mon problème ! sanglote-t-elle en tirant sur son bras que je tiens puis dévale les marches avant que je ne puisse la rattraper.

   Fais chier !

   Je passe rageusement la main dans mes cheveux, en jurant dans ma barbe, et tire dessus au passage. Le bruit de ses pas est camouflé par la musique assourdissante qui s’échappe de la porte d’entrée que j’ai laissé ouverte. Mon cœur cogne dans ma cage thoracique et je sens qu’il va me falloir plus qu’un verre pour me calmer.

   Et voilà comment finit le peu de fois où je vois Cassandra depuis deux mois. Elle ne se casse pas toujours, mais on se dispute à chaque fois pour des conneries et ça commence à me gonfler sévère. Et encore un soir où je vais devoir compter sur ma main droite pour me vider.

   D’une humeur de chien, je finis par rentrer dans l’appartement et fonce dans la cuisine pour fumer une clope. Aucun de mes potes n’y est, ce n’est pas plus mal. Je n’ai pas envie de niquer leur humeur et leur soirée avec mes problèmes de couple. Je sais qu’ils s’investiraient un peu trop et tenteraient de rattraper le coup.

   La première clope passe trop vite alors j’en fume une deuxième puis j’ai la gorge sèche. Le whisky que j'enchaîne depuis le début commence à se faire ressentir et je dois fournir un peu plus d’efforts pour ne pas tituber lorsque je marche.

   Dans le salon, la piste ne désemplit pas et je me demande comment ils font pour ne pas crever de chaud. Les enceintes diffusent une musique électro coincée dans les années 2000 et ça ne semble choquer que moi. Ils ont vraiment des goûts musicaux de merde. Sur le bar, j’attrape une bouteille de Jack Daniel’s dont il reste un fond acceptable pour terminer ma soirée et vais m’asseoir sur un bout du canapé.

   — Donne-moi ça, exige Teresa lorsqu’elle se laisse tomber à ma gauche, quelques minutes plus tard.

   Elle m’arrache la bouteille des mains et porte le goulot à ses lèvres. Une seule gorgée suffit avant qu’elle se mette à râler, en grimaçant.

   — Argh ! C’est dégueu, putain … Tu ne pouvais pas prendre une bouteille de vodka ?

   — La vodka, c’est pour les puceaux et les femelles. Les vrais hommes boivent du whisky, j’affirme en étendant mon bras gauche sur le dossier du canapé, un sourire arrogant aux lèvres.

   Teresa hausse un sourcil, peu convaincue, avant de se mettre à rire et je souffle du nez. Elle me rend ma bouteille et s’adosse au dossier, la tête appuyée contre mon bras. On ne dit rien, observant d’un œil absent la scène devant nous.

   — C’est parce que tu n’assumes plus les talons hauts que t’as arrêté de danser ? je la questionne en approchant ma bouche de son oreille.

   Je la sens frissonner contre moi.

   — Non, c’est Cam qui m’a niqué mes plans. J’aurais pas dû danser avec lui, maintenant tout le monde croit que je suis sa copine et aucun mec ne répond à mes avances, ronchonne-t-elle. Les plus beaux en tous cas, je me respecte trop pour aller draguer les moches.

   — Oh, pauvre petite Terrie qui va finir la nuit toute seule… me moqué-je gentiment. Si ça peut te remonter le moral, je dormirais sur la béquille aussi.

   — Bah, et Cassie ?

   Je roule des yeux même si elle ne me regarde pas.

   — On s’est pris la tête, elle est partie il y a vingt minutes.

   — Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

   — Elle m’a cramé en train de mater une fille …

   Teresa éclate de rire puis tourne la tête vers moi, une lueur curieuse dans ses prunelles vertes.

   Un trait de liner et une paire de faux-cils volumineux embellissent son regard charbonneux. De fausses larmes noires coulent sous ses yeux et un pentagramme de faux sang est dessinée en dessous de ses clavicules.

   — Et tu matais qui ?

   Je lâche la première personne que j’aperçois du coin de l’oeil.

   — Harley Quinn.

   Son nez se plisse et sa lèvre supérieure se relève.

   — Alors, ça en valait la peine ?

   Je prends le temps de boire une gorgée de whisky avant de lui donner une réponse, un petit sourire coupable aux coins des lèvres.

   — Le spectacle était pas mal, ouais.

   Le souvenir de sa petite danse sensuelle se dessine dans mon esprit et des fourmillements chatouillent ma queue. Fais chier, putain. Dans un geste qui se veut rassurant, elle pose sa main sur ma cuisse pour la tapoter, un peu trop haut à mon goût et j’ai peur qu’elle sente la chaleur qui émane de moi. Et mon début d’érection qui se profile.

   — Je l’appellerais demain, quand j’aurais décuvé. Ne t’inquiète pas, je vais régler ça.

   Dans ces moments-là, c’est cool d’avoir pour meilleure amie la meilleure amie de sa copine.

   Je la remercie puis elle me prend la bouteille des mains pour boire une nouvelle gorgée avant de grogner. Elle finit par se recaler dans mes bras et nous regardons de nouveau la fête se dérouler sous nos yeux sans rien dire.

   — Eh, je suis presque sûre que c’est pas cette ange que je t’ai vu embrasser tout à l’heure, s’exclame une fille déguisée en infirmière en me pointant du doigt juste avant d’éclater de rire.

   Je l’observe, un sourire amusé sur les lèvres, tandis qu’une de ses amies s’excuse en l’attrapant par le bras et en l’attirant plus loin.

   Teresa ne dit rien et nous restons immobiles pendant un moment. Elle finit tout de même par dansoter contre moi, emportée par les mélodies, et ses petits mouvements de hanches me donnent chaud.

   — Ce que j’ai envie de baiser, grogne-t-elle.

   — Putain, ouais…

   Sa tête se dirige brusquement vers moi et j’ai peur de mal interpréter ce que son sourire en coin et ses iris brumeuses me suggèrent.

  

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