Chapitre 3 (partie 2)

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   Le soleil s'est couché depuis plusieurs heures et il fait nuit noire dehors. Nous sommes tous installés sur les canapés du salon et plusieurs pizzas surgelées trônent sur la table basse. Certains d’entre nous ont une bouteille de bière, les autres ont un soda. En fond sonore, une playlist de rap résonne dans la pièce en même temps que nos voix et nos rires.

   Mais j’ai cette drôle de sensation au creux de l’estomac, celle de ne pas être à ma place. C’est désagréable, mais je passe outre en avalant une nouvelle gorgée de bière. Ce n’est pas la première fois que je remets en cause ma place au sein du groupe.

   — Si un de nous doit se blesser, ça sera Naïm. Dès qu’il quitte un terrain, il sait plus utiliser ses jambes, s’amuse ouvertement Maxime.

   Tout le monde se moque du kabyle, qui grogne dans sa barbe rasée court. Depuis trois ans, il fait partie de l’équipe nationale de France de futsal et s’il est particulièrement bon sur le terrain, il est vrai qu’il reste assez maladroit en dehors. Rarement au point de se blesser, mais quand même.

   — Arrêtez de me porter l’œil, putain ! Si je me blesse, mon coach va me hagar. Déjà qu’il va gueuler quand il va savoir que je suis parti au ski, se plaint-il en replaçant la casquette qu’il porte à l’envers.

   — Moi, je pense que ça sera Terrie, celle qui se blessera, affirme Cameron avant de boire une gorgée de sa bière.

   — Tu te fous de ma gueule ? Je passe des nuits entières perchée sur des talons hauts sans me tordre une cheville et tu penses que tes deux morceaux de bois vont avoir ma peau ?

   Voyant qu’aucun des garçons ne me contredit, je hausse les épaules d’un air satisfait.

   Les sujets de discussions vont et viennent, tout le monde participe. Même Alexia, que les garçons essayent de mettre le plus à l’aise possible avec leurs blagues stupide. La discussion est interrompue par le téléphone d’Aaron qui se met à sonner dans sa poche. Il le sort, décroche puis place l’appareil devant lui et je comprends qu’il est en visio avec Cassie.

   — Salut Cassandra ! hurle le petit groupe et Aaron tourne le téléphone pour qu’on lui fasse coucou.

   Elle nous salue en retour en riant joyeusement et discute avec son copain alors que tout le monde reprend sa discussion. Sauf moi, j’écoute celle du couple, l’oxygène bloqué dans la gorge.

   — J’viens d’arriver à Paris, vous êtes bien arrivés vous ? demande-t-elle à travers le combiné.

   — Ouais, on est arrivés en fin d’après-midi. Là, on mange des pizzas, il ajoute en apportant une part à ses lèvres.

   Assise en face de lui, je n’arrive pas à décrocher mon regard de son visage. Je fixe ses lèvres quand il parle, ses yeux en amande qui se plissent lorsqu’il sourit. Nos prunelles se croisent finalement par-dessus son portable alors qu’il continue de parler avec Cassandra. Le malaise d’avoir été prise sur le fait me contracte l’estomac et colore sûrement mes pommettes dans une teinte plus rougeâtre. Pourtant, je ne lâche pas le sourire en coin que je force jusqu’à ce qu’il se concentre de nouveau sur son écran.

   — Bon, tu me passes ma pote ? C’était elle à qui je voulais parler à la base mais elle ne répond pas.

Oups. Je tâte rapidement mes poches de pantalon mais l’évidence me saute aux yeux : je l’ai oublié quelque part dans la maison, comme à chaque fois que je suis avec mes amis.

   La mâchoire d’Aaron se contracte une demi-seconde mais il reprend vite contenance, sourit presque avant de me tendre son portable. Mon cœur cogne fort dans ma poitrine, l’effet de la culpabilité mais je prends une grande inspiration pour me calmer. Nos mains entrent en contact et sa peau est si chaude que j’ai l’impression qu’elle me brûle. Il me faut une seconde ou deux pour me rappeler de Cassandra qui doit être en train de voir le plafond à travers son écran.

   Je fais face au visage souriant de ma meilleure amie que je n’ai pas vu en face depuis plusieurs semaines.

   — Dis, tu peux aller dans un endroit tranquille ? demande-t-elle après avoir échangé quelques banalités.

   — Pourquoi ? Y’a un problème ?

   — Il faut que je te parle d’un truc mais… ça doit rester entre toi et moi, elle explique, soucieuse.

   Je fronce les sourcils mais m’exécute, anxieuse. Aaron m’adresse un regard interrogateur lorsque je me lève du canapé, son téléphone dans les mains, mais je n’y prête pas attention et me dirige vers les escaliers demis tournants. Je m’assois sur la marche la plus haute.

   — J’suis toute seule, dis-moi tout.

   Cassandra se mord la lèvre, regarde partout autour d’elle et si sa peau noire lui permettait, je crois qu’elle serait en train de rougir. Mon cœur va finir par lâcher si elle ne se dépêche pas.

   — En fait, j’aurais besoin de toi… J’ai voulu t’en parler plus tôt mais on n’a pas beaucoup parlé ces dernières semaines mais là, ça devient urgent et vu que j’arrive seulement mardi, ça te laisse quelques jours-

   — Cassie, tu vas devoir m’expliquer parce que je suis larguée.

   — Oui, pardon… (elle prend une grande inspiration.) Tu penses que tu pourrais surveiller Aaron jusqu’à ce que j’arrive ?

   Les sourcils froncés, je crains d’avoir mal compris. Elle n’a pas pu me demander ça, pas à moi.

   — J-je ne comprends pas… Je croyais que tout allait bien entre vous ?

   Cassandra roule des yeux, hésitante.

   — Oui, oui ! Enfin, ça allait bien mais je ne sais pas, ça fait un moment que je le trouve bizarre. Je ne sais pas comment l’expliquer et peut-être que je me fais des films, que la distance me fait péter les plombs mais j’ai l’impression que quelque chose a changé. Aaron me dit que non et je le crois mais … Je le croirais encore plus si tu faisais ta petite enquête.

   Elle ponctue sa phrase d’un petit sourire attendrissant.

   Dans ma tête, c’est le bordel. Tout se mélange. Comme à chaque fois qu’on se parle depuis Halloween. Mais cette fois encore plus que les autres. Parce que ma conscience me balance des vacheries sur ma notion de loyauté et d’amitié. Parce que les paroles de Cassie résonnent dans mon crâne. Parce que ma mémoire met sur le devant de la scène les souvenirs du corps nu de son copain juste au-dessus du mien.

Bordel de merde…

   — Mais j’avais dit que je ne voulais pas me mêler de vos affaires, râle-je en grimaçant.

   Là, je ne mens pas. C’est la première chose que j’ai dite le jour où ils m’ont annoncé sortir ensemble.

   — Oh arrête, je te raconte tout ! S’il te plait. Je ne te demande pas de le suivre jusqu’aux toilettes mais juste de parler avec lui. ‘Fin, tu vois ce que je veux dire, s’il te plaît, Teresa…

   Un soupir franchit mes lèvres, et ma main gauche vint frotter mon visage pour m’aider à réfléchir.

   — Si je te dis qu’il n’y a rien, qu’il est normal et que c’est dans sa nature d’être parfois distant, ça ne te suffit pas je suppose ? (Elle est en train de me supplier du regard alors je craque) Ok, je vais voir ce que je peux faire… Mais je ne promets rien.

   Jamais promettre, jamais décevoir. Une réplique du film Tout nous sépare que j’essaye d’appliquer le plus souvent possible.

   — T’es la meilleure, Teresa ! Je t’aime trop ! s’extasie-t-elle alors que je grogne devant une telle profusion d’amour.

   Elle et moi avons beau nous connaître depuis la sixième, j’ai toujours du mal à me faire à sa facilité à dire « je t’aime » et elle s’en amuse trop à mon goût.

   On discute encore quelques minutes et elle finit par raccrocher. Quand je suis de nouveau en bas, les pizzas sont terminées et une nouvelle tournée de bières a été servie. Sauf pour moi. Sympa, merci les gars.

   — Tu n’as pas assuré ton rôle de femelle en nous servant cette tournée. J’ai dû le faire moi-même, je n’allais pas en plus t’en apporter une, raille Aaron lorsque je me plains.

   — Mais c’est toi, le serveur de la bande.

   Je m’appuie sur des faits, il est serveur dans un pub à Bastille depuis presque deux ans. Moi, non.

   — Ouais et je suis en vacances, il me sourit en posant son bras sur le dossier du canapé sur lequel il est assis.

   Je lui envoie mon majeur manucuré avec un sourire forcé. Ça amuse tout le monde et je pars me servir moi-même dans le frigo.

   — Alors, vous étiez en train de parler de quoi ? je demande en me sortant une bière.

   — De Noël. Esther a proposé qu’on se fasse un père Noël secret.

   — C’est débile. Je veux dire, Naïm le fête même pas de base. Sans parler des couples qui vont vouloir s’offrir des cadeaux entre eux quoi qu’il arrive.

   Ma bière décapsulée, je me rassieds sur le canapé entre Alexia et Cameron alors que les autres sont installés sur le canapé d’en face. Esther me toise.

   — En fait, on est tous chaud à jouer le jeu, avoue Naïm en grimaçant.

   Je mords l’intérieur de ma joue pour cacher le fait que je suis blessée d’avoir été mise de côté dans la prise de décision puis ravale la boule que j’ai au fond de la gorge avec une rasade de bière. Le sourire qui étire mes lippes doit plus ressembler à une grimace mais je m’en tape.

   — Si vous êtes tous ok, capitulé-je à contre-cœur.

   Enthousiaste, Cameron va chercher une feuille de papier et un stylo pour noter les prénoms de tout le monde. Il le déchire en petit morceau et les plie un à un pour les mettre dans un bol vide qui traîne sur la table basse. À tour de rôle, on pioche un papier que l’on garde fermé le temps que chacun ait le sien puis la voix de Maxime résonne.

   — Trois… Deux… Un…

   On déplie chacun notre papier pour lire le prénom qui s’y trouve. Le plus dur est de garder un visage neutre à la découverte du nom. Chose que j’ai vraiment du mal à faire.

   J’ai tiré le nom d’Aaron.

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