Chapitre 6 (2)

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Je hausse un sourcil méfiant mais intéressé.

— Mater quel truc ?

Peaky Blinders.

Après une escale dans la cuisine pour récupérer de quoi boire et manger, nous rejoignons sa chambre, où je mets les pieds pour la première fois depuis notre arrivée. Aussi simple que ma propre chambre, celle d'Aaron est boisée et peu meublée. Je passe devant la commode et j'ai un léger mouvement de recul quand j'aperçois mon reflet désastreux. Mon eye-liner et mon mascara ont coulé, laissant de longues stries sur mes joues. Mes yeux sont rouges et gonflés et mes faux-cils se décollent à moitié.

— Fallait me dire que j'avais la gueule d'un zombie, je râle en me frottant furieusement les pommettes et les cernes pour limiter les dégâts.

— Tu as toujours une sale gueule, réplique-t-il en pianotant sur son portable. On n'y fait plus attention avec le temps.

Un peu vexée par sa réplique moqueuse, je lui adresse un regard noir accompagné de mon majeur manucurée auquel il répond de la même manière.

Aaron s'allonge tout habillé par-dessus les couvertures, un bras derrière la tête, allume l'écran plat fixé au mur face au lit puis balance la télécommande sur la table de chevet à sa gauche. Depuis l'autre côté de la pièce, je l'observe faire alors que le malaise s'immisce doucement en moi. Je n'aurais jamais dû accepter de regarder cette série, seule avec lui.

On s'était promis que rien ne changerait après l'épisode d'Halloween, que ce n'était que le résultat d'un désir inassouvi commun et que ça n'aurait aucune incidence. Ni sur lui, ni sur moi. Je ne sais pas si cette idée relevait de la folie ou de l'idiotie mais une chose est certaine : nous nous sommes bien voilés la face. En tout cas, je me suis bien voilée la face. Presque deux mois se sont écoulés depuis et je ressens toujours cet étrange mélange de convoitise et de honte.

Encore plus maintenant que je suis dans sa chambre, et qu'il suffirait d'étouffer mes gémissements dans l'oreiller.

Je me retiens de me gifler pour n'avoir que penser à cette idée.

— Tu te bouges le cul ou tu comptes rester debout pendant tout l'épisode ?

Il tapote le matelas, à côté de lui, et je secoue la tête pour me reconcentrer.

— C'est bon, j'arrive.

Il se remet ensuite à pianoter sur l'écran de son téléphone et le logo de la plateforme VOD s'affiche sur le grand écran.

— Mais t'es sûr que ça ne te dérange pas que je regarde le film avec toi ? m'assuré-je en avançant à pas lent.

Qu'il me dise non et que j'ai une raison de m'en aller.

Il ferme les paupières puis soupire.

— C'est une série. Et oui, j'en suis sûr.

Et merde.

Je prends une grande inspiration puis m'assoie sur le bord du lit. Avant de m'étendre aux côtés du brun, j'arrache les faux-cils de mes paupières et les pose sur la table de chevet. Aaron et moi ne nous touchons toujours pas mais j'ai encore l'impression de sentir la chaleur qui émane de lui. C'est familier, c'est agréable.

Le tout premier épisode de la série se lance et les lumières s'éteignent. Il ne me faut pas plus de cinq minutes pour que je me mette à parler, à poser des questions sur les personnages, sur l'intrigue. Aaron répond à chacune de mes interventions avec patience. Moi, j'essaie de me concentrer, de tout retenir mais je n'y arrive pas.

— Passe-moi la bouteille d'eau, j'ai soif.

Je tends mon bras par-dessus son torse. Il met alors la série sur pause et se tourne vers moi.

— Eh, tu parles vraiment trop quand tu es défoncée. Je vais devoir te bâillonner pour être tranquille ?

Son regard planté dans le mien ne transmet aucune colère, aucun agacement. Seulement une lueur étrangement joueuse. Je déglutis le peu de salive qu'il me reste, mes pupilles voyageant entre ses deux yeux et je réprime un frémissement soudain. Est-ce que c'est normal que ses paroles m'excitent ?

— Tu n'oserais pas, murmuré-je presque.

— Tu veux prendre le risque ?

Mes lèvres se pincent d'elles-mêmes pour dissimuler un sourire complice, une invitation silencieuse à faire de ses paroles des actes. Son expression change, ses traits se tirent et je devine ses muscles fins et dessinés de ses abdominaux se tendre sous le tissu de ses vêtements.

— Je croyais t'avoir déjà dit d'arrêter de me regarder comme ça, assure-t-il la voix rauque en rapprochant son visage du mien.

Derrière son ton autoritaire se dessine une excitation à peine dissimulée. Je le sais parce que ce n'est pas le premier garçon à me regarder de la sorte. Le désir que je lis dans ses prunelles me procure une flopée de picotements qui me parcourt l'épiderme et la tentation de ses lèvres se fait un peu plus forte qu'elle ne l'est déjà.

Il est trop beau et j'ai trop fumé pour résister.

— Parce que là, j'ai vraiment envie de t'embrasser, et pas juste sur les lèvres.

Aaron se rapproche encore un peu plus près de moi, je ne bouge pas. Je ne veux pas être celle qui rompt l'espace entre nos deux bouches. J'ai envie qu'il le fasse. J'ai besoin qu'il le fasse. Pour combler ce vide qui m'oppresse la poitrine à chaque seconde.

Ou alors, j'ai définitivement trop fumé et je débloque carrément. Ouais, ça doit être ça.

Avec une douceur qui me bouleverse, Aaron dépose ses lèvres contre les miennes et mes doigts se fondent dans sa chevelure foncée. Notre baiser m'est si délectable que j'en lâche un gémissement lorsque nos langues se rencontrent avec assurance.

En avais-je tant besoin que ça ? Je n'ai pas besoin de réfléchir, la réponse s'impose dans mon esprit. Je m'avoue enfin que je n'attendais que de sentir de nouveau la chaleur de ses lèvres contre les miennes depuis que l'on s'est retrouvés tous les deux sur cette terrasse. Depuis que j'ai aperçu le regard qu'il posait sur moi.

J'oublie qu'il est en couple, j'oublie que Cassie est ma meilleure amie. Je ne pense qu'à la sensation du corps bouillant d'Aaron contre le mien. A quel point il me fait du bien.

Nos gestes me paraissent flous, guidés par un désir qui nous dépasse en tout point. Aaron cale sa main sur ma hanche avant de m'inviter à le chevaucher, une jambe de chaque côté de son bassin. Il rompt notre baiser et sa bouche laisse une traînée de baisers humides le long de ma mâchoire, de mon cou. Il me mordille, il me lèche, il me goûte. Je lève la tête pour lui offrir un meilleur accès et un nouveau gémissement résonne lorsqu'il s'attaque à un de mes points sensibles, là où pulse mon pouls, juste derrière mon oreille. Mes hanches roulent d'elles-mêmes contre l'érection d'Aaron et ce dernier plante ses doigts dans la chair de mes fesses. 

— Putain de merde, Teresa, geint-il tout près de mon oreille.

Mon prénom résonne différemment des autres fois dans sa bouche et quelque chose à l'intérieur de moi s'échauffe encore davantage.

Il accompagne mes mouvements de ses mains avec fermeté alors que je me frotte à sa queue bandée. Je fonds sur ses lèvres, en manque d'elles et j'ai l'impression de respirer à nouveau lorsque sa langue pénètre ma bouche.

Les souvenirs de notre précédente nuit partagée se mélangent avec le présent dans mon esprit et ça n'en est que meilleur. Sa peau, sa langue, ses doigts. Je me délecte de chaque contact comme d'une sucrerie à laquelle j'aurais été privée depuis trop longtemps.

— Enlève ton pull, je m'entends lui susurrer entre deux baisers.

Je n'ai pas besoin de le répéter, Aaron le retire avec une rapidité et une habileté surprenante avant de l'envoyer voler à travers la pièce. Aussi défoncé que moi, peut-être même plus, il semble néanmoins rester maître de ses gestes et me paraît pleinement conscient de ce qui est en train de se passer. Contrairement à moi pour qui tout cela semble n'être qu'un mirage érotique beaucoup trop réaliste.

Nos cœurs battent chaotiquement, je sens le sien cogner dans sa cage thoracique que je caresse du la pulpe des doigts. Je dessine les traits de pectoraux ciselés, de ses abdominaux sculptés grâce à des années de sports. Mes prunelles dévient vers le V qui s'échappe de son pantalon qu'il porte bas sur les hanches, comme s'il m'indiquait la direction de tous mes fantasmes.

Sa peau est douce, incroyablement chaude et soyeuse. Ses muscles bandés par l'excitation feraient mouiller n'importe quelle fille et la pensée que c'est moi qui le mets dans cet état me fait gonfler la poitrine d'un sentiment de toute puissance.

Ses mouvements de reins se font plus pressants contre mes fesses. Je délaisse son torse puis me redresse pour déboutonner mon short mais la vibration que je sens entre mes cuisses me rappelle à la réalité, alors qu'il semble à peine y faire attention.

— Aaron, ton téléphone, murmuré-je en balançant la tête en arrière, lorsqu'il s'attaque de nouveau à la peau fine de mon cou, ses mains remontant mon t-shirt pour dévoiler mon abdomen.

Je relève les hanches pour lui faciliter l'accès à sa poche mais il ne semble pas d'accord avec moi car il replaque nos bassins l'un contre l'autre avec violence et avidité.

— Je m'en bats les couilles, j'suis occupé là, répond-il en reprenant sa délicieuse dégustation.

J'insiste encore, au moins pour qu'il sorte son téléphone de sa poche et le balance plus loin. Il souffle de frustration, le retire enfin puis se stoppe, le regard figé sur l'écran. Par curiosité, je jette un coup d'œil en passant ma tête par-dessus et lorsque je lis le prénom affiché, c'est la douche froide. Les vibrations cessent puis reprennent quelques secondes plus tard, cette fois-ci pour un appel vidéo. Nos regards se croisent, nos respirations aussi haletantes l'une que l'autre.

Le téléphone devant le visage, alors que je me trouve de l'autre côté à califourchon sur ses hanches, Aaron accepte l'appel et la voix guillerette de Cassie s'extasie.

— Coucou, Bébé ! Je te réveille ?

L'oxygène se bloque dans ma gorge et mon cœur pulse contre mes côtes mais ce n'est plus pour les mêmes raisons qu'avant.

— Hey, non pas du tout. Je regardais Peaky Blinders...

D'un mouvement de tête frénétique, je l'intime de taire ma présence lorsqu'il me jette un regard inquiet puis il continue.

— Avant de dormir. Je n'allais pas tarder.

Je n'entends pas la réponse de Cassie, l'esprit embrumé par le choc et l'inquiétude. Mes muscles se tétanisent alors que je fixe d'un regard absent les lèvres gonflées par mes baisers d'Aaron qu'il frotte d'un revers de main. Le retour à la réalité est beaucoup trop violent, douloureux. L'agréable chaleur qui émanait d'Aaron me brûle littéralement alors que la bile me remonte dans l'œsophage. Qu'est-ce que j'étais en train de faire ?

Tremblante mais le plus silencieuse possible, je descends du lit et après avoir scanné la pièce du regard, je pars précipitamment en laissant tout derrière moi. Ma démarche et mes gestes sont brouillons, incertains ; je suis en pilote automatique. La dernière chose que j'entends est la voix aigüe de ma meilleure amie dire à quel point elle a hâte de nous retrouver le lendemain.

Mon organe vital résonne fort dans le silence écrasant de ma chambre, de la maison. Je devine la voix rauque d'Aaron dans la pièce voisine, à travers le mur mitoyen, et je me demande s'il est dans le même état que moi.

Comment ai-je pu me laisser aller à ce point à une pulsion aussi soudaine qu'irréfléchie ?

Je retire mes vêtements sales que je balance dans un coin de la pièce sans m'en préoccuper et cours m'enfouir dans la chaleur réconfortante de mes couvertures. Seule, allongée dans le noir, j'ai envie de pleurer toutes les larmes de mon corps. Rectification. Seule, allongée dans le noir, je pleurs toutes les larmes de mon corps que j'étouffe contre ma main que je mords.

Comme un membre fantôme, j'ai encore la sensation des lèvres et des doigts d'Aaron contre mon épiderme sensible. Ça me démange, j'ai envie de m'arracher la peau et le cœur pour ne plus rien ressentir. Ni les souvenirs trop vifs d'un moment prohibé, ni la culpabilité qui me ronge de l'intérieur comme de l'acide.

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