Chapitre 9 (1)

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AARON

           — Joyeux Noël !

            Le tintement de nos coupes de champagne et nos éclats de voix résonnent dans la pièce à vivre décorée de guirlandes colorées et d'un sapin gigantesque, calé dans le coin juste à côté de la télévision.

A la dernière minute, nous nous sommes retrouvés à décorer le chalet avec un sapin en plastique, des guirlandes et des boules de Noël entreposées dans la cave. Le repas n'avait rien d'extravagant : des lasagnes préparées par Terrie et Cassie et une buche glacée achetée chez un commerçant du village voisin. L'alcool a coulé à flot, si bien qu'en fin de repas tout le monde est déjà bien alcoolisé. Même Alexia a bu une ou deux coupes de champagne.

Assis en bout de table, j'observe la scène qui se déroule sous mes yeux. Les sourires éclatants dessinés sur les visages de chacun des membres présents, les rires incontrôlables qui s'échappent de leurs poitrines, la lueur pétillante d'allégresse dans leurs pupilles. Irrémédiablement le plus beau des tableaux, et le plus beau des cadeaux que je pourrais recevoir ce soir.

Je ne me suis jamais considéré comme étant un fervent croyant de Dieu pourtant, à cet instant, je ressens pour lui une immense gratitude d'avoir mis sur ma route chaque personne assise autour de cette table. Ma famille de cœur, celle que j'ai choisi, celle pour qui je donnerais un rein ou un poumon.

J'ai tendance à me plaindre de la vie que je mène. Pas de diplôme, un travail que j'apprécie à peine et aucune perspective mais quand je les regarde, je me dis qu'au moins j'ai les meilleurs amis que je pourrais espérer avoir et une petite-amie pas assez sûre d'elle pour réaliser que je ne la mérite même pas.

Le vibreur de mon téléphone dans ma poche détourne mon attention et c'est sans surprise que s'affiche le numéro de mon père. Comme s'il savait à quel moment précis appeler pour gâcher mes meilleurs instants. Sans réfléchir, je le redirige vers ma boite vocale en sachant qu'il me le ferait sûrement payer un jour ou l'autre. J'en profite pour envoyer mes vœux par message à ma mère et ma sœur avant qu'Esther n'attire l'attention générale.

            — C'est l'heure des cadeaux. Tout le monde dans le salon ! s'exclame-t-elle en souriant.

            Les cris emplis d'excitation résonnent dans la pièce alors que les chaises raclent le sol. Cassie me fait signe de me dépêcher et me garde une place à ses côtés sur un des canapés en cuir. Après m'être installé, je passe mon bras autour de ses épaules et croise une cheville par-dessus mon genou en attendant le début de la distribution, présidée par Esther elle-même.

            — Alors, commence-t-elle d'une voix traînante en allant chercher le premier cadeau. Alexia, c'est pour toi et c'est de ma part.

La lycéenne se lève timidement, prend le paquet entre ses mains et l'embrasse pour la remercier. Debout et sous les regards de toute l'assemblée, elle arrache le papier cadeau rouge et doré qu'elle balance au sol pour découvrir une palette de ce que je crois être du fard à paupières. Le visage de la plus jeune du groupe s'illumine alors qu'elle l'ouvre pour mieux l'examiner.

— J'ai remarqué que tu aimais bien te maquiller alors j'espère que les couleurs te plairont, commente la rouquine en allant chercher le second paquet.

— C'est super, vraiment. Merci beaucoup ! s'extasie Alexia en retournant s'assoir.

            C'est à ce moment que je me dis que j'ai eu de la chance de tomber sur Cassandra. J'ai déjà eu du mal à trouver une idée pour ma copine, je n'imagine pas comment j'aurais fait si j'étais tombée sur Alexia ou Esther. Même Teresa, je n'aurais pas su quoi lui acheter. Un paquet de clope ou une bouteille d'alcool sûrement.

            La distribution continue et c'est à mon tour d'offrir mon présent. Les pupilles luisantes, la métisse me regarde et m'embrasse affectueusement avant même de le déballer. Il s'agit d'une chaine en argent avec un pendentif en forme de A. Oui, pour Aaron.

            — Oh, comme dans High School Musical quand Troy offre un T à Gabriella, s'émerveille-t-elle en voyant le bijou.

            J'en sais rien, j'ai toujours refusé de regarder ce film avec elle. Mais si elle le dit, c'est que c'est vrai.

            A sa demande, je le lui attache autour du cou et elle m'embrasse de nouveau, ses deux mains sur mes joues. Un large sourire qui ne quitte plus ses lèvres, elle se blottit dans mes bras.

C'est à Cameron de recevoir son cadeau, offert par Naïm. Un magnum de Belvédère pour remplacer la bouteille que le blond gardait en souvenir et que le footeux a éclaté lors d'une soirée. Tout le monde s'en amuse, preuve de plus que l'algérien est d'une maladresse sans nom. Comme ils se sont offert mutuellement leurs cadeaux, Naïm ouvre le sien : une montre Fossil avec un cadran blanc et un bracelet en cuir noir.

            — Aaron, c'est pour toi ! s'égosille Esther pour couvrir le bruit des discussions.

            Je me fraie un chemin entre la table basse, les jambes de Cassie, Cameron et Teresa pour accéder au sapin et récupérer mon bien. Trop curieux, je n'attends pas de retourner à ma place pour déballer la minuscule boite emballée d'un papier rouge et orné d'un nœud doré que je balance à même le sol dans la précipitation. Entre mes doigts, je découvre l'écrin en velours bordeaux d'une bijouterie.

            — Ça vient de toi, Cassie ? je lui demande, par-dessus mon épaule.

            — Non, j'ai tiré quelqu'un d'autre.

            Confus, je balaie la salle du regard à la recherche d'un indice sur mon Père Noël secret mais chacun de mes amis semblent autant dans l'attente de réponse que moi. Je vais pour abandonner et enfin ouvrir le boîtier mais l'évidence me frappe avec une telle puissance que je me sens con de ne pas y avoir davantage prêté attention.

            Recroquevillée dans le coin du canapé, juste sous mes yeux, Teresa descend cul sec la coupe de champagne qu'elle a ramené de table et porte son regard vitreux sur le bordel étalé sur le parquet.

            — Ouvre-le au lieu de me regarder comme un con, grogne finalement la blonde et ça arrache un rire général.

            Dans l'urgence, mon souffle se bloque dans ma gorge quand une chevalière en argent s'offre à moi, coincée entre les deux coussinets. Je la prends entre mon pouce et mon index pour mieux l'examiner et je découvre les initiales A et G, mes initiales, gravée sur le chaton rectangulaire.

            — Elle est magnifique, Teresa, balbutié-je sans que je puisse quitter la bague du regard.

            — Si elle ne te plait pas, j'ai encore le ticket de caisse pour l'échanger, avance-t-elle d'un ton las.

            Puis son cerveau semble analyser mes paroles.

            — Attends, quoi ?

            Les mots me manquent pour expliquer à quel point son cadeau me va droit au cœur, pour une raison que j'ignore. Je ne peux que regarder encore et encore le bijou sous tous les angles, osant à peine l'enfiler à mon doigt. Comme si j'allais le salir ou l'abimer.

            — Tu m'autorises à te prendre dans mes bras ? finis-je par quémander, malicieux malgré tout en relevant mes prunelles de mon cadeau.

            Teresa me sonde de ses iris vertes, puis cède dans un rapide soupir suivi d'un haussement d'épaules et écarte ses bras.

            — Allez, c'est Noël...

            Avant tout, je range la chevalière dans l'écrin que je pose sur la table puis me penche vers la jeune blonde pour passer mes bras dans son dos.

            — Attendez ! s'écrie Cameron.

            Penché au-dessus du canapé, je me stoppe en cours de route et gaine au niveau des abdos, l'oreille tendue vers mon ami qui continue.

            — Ça mérite une photo ! Pour une fois qu'elle ne rechigne pas à un câlin, explique-t-il ce qui fait rouler des yeux la principale concernée.

            — Oh mais ferme-la, grommelle-t-elle avant de finalement enrouler ses bras autour de mon buste.

    Je n'écoute même pas la discussion qui suit, mon attention happée par quelque chose d'autre. Le parfum fruité de Teresa qui s'infiltre dans mes narines. C'est de la mangue. Je le sais parce que c'est la senteur de la crème pour le corps qu'elle laisse traîner dans la salle-de-bain de l'étage. J'aime bien, ça change de l'odeur des parfums hors de prix qu'utilisent la plupart des filles de mon entourage et qui me donnent mal au crâne une fois sur deux.

            La chaleur fantôme de ses mains me ramène à la réalité. Un sourire pincé sur les lèvres, Teresa me repousse, lassée de cette étreinte dont je n'ai pas assez profité.

Après avoir récupérer l'écrin que j'avais posé sur la table basse, je retourne m'assoir à côté de Cassandra qui attend de voir la chevalière de plus près.

— Teresa a vraiment bon gout, la bague est trop belle, constate la métisse, un certain émerveillement dans la voix.

            Je finis par la lui reprendre et d'instinct, la fait glisser autour de mon annulaire gauche. Je l'observe un moment, un sourire a peine remarquable aux coins des lèvres. Elle rentre parfaitement et la couleur de l'argent ressort très bien sur ma peau hâlée. Je jette un rapide coup d'œil à mon Père Noël pour la surprendre en train de me regarder et je lui articule un énième remerciement. Teresa ne pouvait pas mieux s'en sortir avec son cadeau.

Esther appelle Maxime pour poursuivre la distribution. Il reçoit un sweat à capuche de la marque Napapijri. Par élimination, je sais que c'est ma copine qui lui a offert. Je n'imagine ni Esther ni Alexia le faire. On continue avec le cadeau d'Esther qui déballe deux places de concert pour The Weeknd de la part de son petit-ami. Puis vient le tour de Teresa d'ouvrir le sien.

Assise sur le canapé d'en face, Alexia se tord les pouces lorsque sa sœur tend le bras par-dessus son accoudoir pour récupérer le paquet, sans même regarder. Les discussions couvrent la lourdeur qui vient de s'abattre sur l'ambiance, mais pour combien de temps ? Teresa arrache sans ménagement le papier cadeau, se stoppe une seconde puis le balance au sol. Ça commence à râler pour voir mais la blonde ne leur prête pas attention, le regard rivé sur son cadeau.

— Uhm, c'est une photo... De quand tu ne me détestais pas encore totalement, commente la lycéenne la voix tremblante. Maman me l'a envoyé, elle m'a dit que tu l'aimais bien... Mais si ça ne te plait pas, je te trouverais autre chose.

Cameron et Maxime cachent leur étonnement devant de telles confidences derrière leurs poing, Naïm se frotte le crâne, perplexe, et j'avoue que même moi, je ne sais pas comment réagir face à cette situation. Même Esther et Cassandra ne trouvent rien à dire. Et pourtant Cassandra trouve toujours quelque chose à dire.

Je ne sais pas si c'est l'alcool ou l'émotion qui luit dans les prunelles de Teresa mais elle finit par relever un regard voilé de tristesse.

— Je vais fumer, dévoile-t-elle en se relevant brusquement.

— Non, Teresa, attends, tente Naïm en se relevant mais elle l'en dissuade d'un geste de main.

Elle récupère ensuite sa veste sur la rambarde en bois des escaliers puis s'engouffre sur le balcon dont elle referme la baie vitrée derrière elle, engloutie par la noirceur nocturne.

— Je savais que je n'aurais pas dû lui offrir ça, chuchote Alexia, en secouant sa tête baissée.

— Te prends pas la tête, tu connais ta sœur. C'est une sauvage, cette meuf, la rassure Cameron en l'assénant d'un petit coup de coude dans les côtes, un petit sourire sur le visage.

Curieux, je m'autorise un regard vers le cadre noir qui repose sur le coussin du canapé, face contre le cuir. Je me penche par-dessus Cassandra qui discute avec Esther et Maxime pour le récupérer. Le cliché représente deux jeunes filles en maillot de bain, des sœurs vu leur ressemblance et je reconnais facilement Teresa avec ses prunelles vertes. Je ne la connaissais pas encore à l'époque. Elle doit avoir douze ans, quatorze tout au plus, et tient dans ses petits bras fins Alexia, alors âgée d'une dizaine d'années. Les deux fillettes regardent l'objectif, souriantes alors que l'aînée sert la cadette fort contre elle. Sûrement prise lors des vacances, on devine la mer derrière elle alors que le soleil a foncé leur teint naturel. Le vestige d'une époque où les sœurs Garnier étaient proches et soudées.

— Ça doit être en Corse. Elles y allaient souvent quand elles étaient petites, m'explique Cassandra qui a posé sa tête contre mon épaule. Ça fait des années que Teresa n'y va plus, elle passait ses vacances chez moi au lycée pour rester sur Paris. Elle n'a jamais voulu me dire pourquoi elle refusait d'y aller, j'avais cru comprendre qu'elle s'amusait bien en plus...

— Je n'étais pas au courant, bafouillé-je, soudain mal-à- l'aise.

— Tu ne pouvais pas le savoir, elle n'en parle jamais à personne...

J'ai l'impression soudaine d'avoir pénétré dans l'intimité de Teresa alors je repose aussitôt la photographie à l'autre bout du canapé.

Dans mon for intérieur, je ne peux m'empêcher de me demander si les gars sont au courant de cette histoire. Et si non, pourquoi ne nous en a-t-elle jamais parlé ? Ce ne sont pas les occasions qui ont manqué pourtant. Plus d'une fois, le sujet de sa relation avec Alexia est venu sur le tapis et Terrie a toujours préféré éluder, rembarrer ou changer de sujet.

Un moment plus tard, je sens un vent glacial me chatouiller la nuque puis la peroxydée apparaît, fonce jusqu'à la table à manger encore servie, choppe une bouteille de champagne qui traine et boit plusieurs longues gorgées directement au goulot. J'observe le moindre de ses mouvements, pour essayer de savoir ce qu'il se passe dans son crâne mais comme à son habitude, elle ne laisse rien transparaître et la tristesse que j'avais cru déceler a disparu. Subitement, elle fait claquer le cul de la bouteille contre le bois de la table et s'adresse à nous, d'un ton confus feinté.

— Bon, on boit ou on s'encule ? Personnellement, je n'ai pas très soif.

Un rire tonitruant que je n'arrive pas à retenir résonne dans la pièce avant d'être rejoint par celui des autres, désamorçant la situation tendue. Teresa affiche une moue amusée, satisfaite de l'effet de sa blague, malgré son sourcil haussé interrogateur.

Un silence flotte au-dessus de nos têtes, en attendant que l'un d'entre nous réponde à l'appel à la débauche que nous lance la blonde. Un instant, puis deux et les premières notes de La Mamá de la Mamá s'échappent des enceintes. Le lancement des hostilités.

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