Le prince retrouvé

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23 décembre 679, forêt de Woëvre, située dans l’actuelle Champagne-Ardenne.

L’air était humide en cette fin de matinée mais de faibles rayons de soleil commencèrent à faire leur apparition. Sur un sentier glissant mais praticable, le roi Dagobert II, accompagné de quelques uns de ses gentilshommes et fidèles cavaliers, respirait à fond l’air environnant sur son cheval gris. Après une partie de chasse, une promenade de repos avait été son réconfort. Il songeait à cette forêt au sein de laquelle il semblait en sécurité ainsi que dans sa villa, construite près de Stenay. Il avait dû s’installer provisoirement dans la région, le temps de pouvoir préparer une riposte contre l’usurpateur Childebert, mis sur le trône par son père, le maire du palais d’Austrasie, Grimoald. Un autre sujet préoccupait Dagobert II : la préservation de sa lignée en la personne de ses enfants, qu’il avait eus de plusieurs épouses mais surtout l’héritier issu de son troisième mariage avec la wisigothe Gisèle de Rhedae : Sigisbert, né trois ans plus tôt. Dagobert ne pouvait pas se permettre de le perdre, lui qui par le passé avait dû affronter l’exil en Irlande après le passage humiliant et infâme de la tonsure, le privant ainsi de ses droits à la succession royale. Childebert avait été adopté par le père de Dagobert II, Sigebert le troisième et fait roi. Or, Dagobert avait pu rebondir en revenant en Gaule en devenant roi d’Austrasie, l’année de la naissance de Sigisbert.

Dagobert n’avait que vingt-sept ans mais toutes les péripéties vécues pendant ces années avait fini par l’épuiser, au point que quelques cheveux blancs ornaient déjà sa chevelure d’ébène. Il devait donc se ressaisir et pouvoir frapper au bon moment, en bon souverain de la dynastie Mérovingienne, très portée sur les luttes fratricides et familiales, les pillages de territoires et guerres contres les multiples invasions étrangères qui frappaient le royaume crée autrefois par Clovis. Les rayons du soleil se firent plus insistants et Dagobert ressentit l’envie délicieuse de se désaltérer. Malheureusement, depuis qu’il avait commencé sa promenade dans la forêt, pas une rivière ne s’était montrée. Le roi ne perdit pas espoir, pensant que tôt ou tard un point d’eau finirait par apparaître. Il chevaucha encore un quart d’heure, puis au détour du chemin emprunté, il se trouva face à une fontaine dont la blancheur lui conférait une certaine beauté. N’y tenant plus, le roi descendit de son destrier et alla s’asseoir près de la fontaine. L’eau coulait à foison et Dagobert ne se fit pas prier. Un de ses hommes, un Franc à la chevelure blonde épaisse, qui était resté non loin de lui, s’exclama :

« Mon roi, si nous nous attardons trop, nous allons perdre la trace du cerf…

-Allez le chercher vous-même, il est hors de question que je continue, il y a un temps pour la chasse et pour le repos ! Poursuivez et ne m’attendez pas, je vous rejoindrai… »

A ces mots, son compagnon Franc n’insista pas et fit signe au restant du groupe de le suivre.

Dagobert II resta assis sur la fontaine, son cheval à proximité. Le soleil dominait à présent le ciel et la chaleur soudaine lui conféra quelques frissons. Le temps était propice au repos, même à une légère sieste. Le roi finit par s’endormir progressivement avec son cheval pour seule compagnie et l’eau de la fontaine pour unique mélodie. Or, il n’avait pas remarqué que quelqu’un était resté à environ cinq mètres de lui. L’individu, vêtu d’une cape sombre, était un natif du peuple germanique des Frisons, envoyé par l’actuel maire du palais de Neustrie pour assassiner le roi. Dagobert eut à peine le temps de sentir le dard que le Frison lui enfonça au-dessus de l’œil gauche, parvenant uniquement à pousser un cri strident et sa vie se termina ainsi.

11 Avril 693, Rhedae, région du Languedoc.

Accoudé à la fenêtre, Sigisbert observait le ciel dont les multiples averses survenues en début de journée avait fini par laisser entrevoir un brin de soleil. Agé de dix sept ans, il s’était senti chanceux d’être bien né et sa jeunesse, mélangée à un brin de fougue lui apportait déjà une certaine renommée dans cette région vallonnée du royaume wisigoth. Ses fiançailles avec Magdala de Narbonne, dont il avait apprécié la personnalité, avaient été arrangées par sa chère mère, Gisèle, laquelle, encore belle et ayant atteint sa quarantième année, semblait nourrir trop d’affection pour ses héritiers, si ce n’était la peur de les perdre à tout instant, lui et ses sœurs. Très tôt, Sigisbert sût qu’il allait détenir une fonction importante puisqu’à présent il était comte de Razès. Mais sa mère s’était bien gardée de tout lui révéler, sans doute pour le préserver d’un sort funeste auxquels peu de Mérovingiens parvenaient à survivre. Plus les jours passèrent, plus Sigisbert sentait que quelque chose lui manquait, quelque chose que plusieurs personnes autour de lui savaient sans oser lui dire. Lors d’une journée particulièrement pluvieuse, le jeune comte eut une discussion des plus houleuses avec sa mère ainsi que sa sœur aînée dans la salle du castrum. Ces deux dernières finirent par lui avouer que son père Dagobert II, avait été assassiné et, au moment des faits, Sigisbert fut amené par sa sœur auprès de leur mère dans le Languedoc afin d’être protégé des ennemis Neustriens. Le jeune comte n’en crut pas ses yeux, qui finirent par se remplir de larmes. Or, sachant qu’il devrait être le vrai roi, il tenta de reprendre contenance. Gisèle s’approcha de lui et lui murmura : « même si tu es techniquement le vrai roi, tu pourrais te faire tuer, apprends à rester à cette place de comte, la lignée continuera après toi…sois en fier. »

A ces mots, Sigisbert acquiesça même si l’idée de renoncer à son hypothétique place de souverain lui laissait soudainement un goût amer. Le jeune homme finit également par comprendre pourquoi certaines personnes, qu’elles soient issues de la classe aristocratique comme des plus démunis, lui avaient attribué le surnom de « rejeton ardent ». Il se passa une main dans ses cheveux aux multiples boucles châtains et finit par prendre congé de sa mère. Au fil des années, Sigisbert IV de Razès se montra à la fois puissant et juste et mourut à l’âge de quatre-vingt ans, chose assez rare pour un Mérovingien. Ainsi, à travers les comtes de Razès, la lignée des rois Francs continua de se perpétuer tranquillement, avant d’être cédée en 1258 par l’Aragon à l’autre branche des rois de France, même si l’Histoire ne le dit pas.

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