Les pendus de Saint Hilaire

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28 mars 1963.

L’inspecteur Satranches était dérouté. Depuis quatre semaines, une nouvelle victime venait d’être retrouvée pendue à un arbre. Et ce n’était pas ses collègues de la police nationale de Cognac qui pourraient le contredire. Rien n’avait de sens. Une victime par semaine et puis quoi encore ? Par jour et toutes les heures tant qu’on y est ? Il ne comprenait rien à rien. La première victime, Ghislaine de Saint-Gilbert, une femme de trente cinq ans aux vêtements de bourgeoise, avait été retrouvée pendue à un arbre près d’une rivière nommée Le Bramerit. La semaine suivante, c’était un agriculteur de presque soixante ans, Charles Dautests, qui avait subi le même sort, puis Annie Duvillain, une jeune lycéenne aux cheveux blonds comme les blés et au regard naïf la troisième semaine…et cette semaine-là c’était Pierre Broglie, un homme brun d’une quarantaine d’années, un dentiste de passage dans la région, venu voir sa famille…D’habitude, la commune de Saint-Hilaire-de-Villefranche, tranquillement située en Charente-Maritime, faisait très peu parler d’elle voire jamais. Mille trois cent vingt habitants la peuplaient et tout le monde se connaissait en dehors des quelques vacanciers ou touristes anglais qui souhaitaient visiter la région. Les plus croyants, principalement les doyens du village, allaient à la messe et les familles se croisaient lors de lotos organisés ou du marché quotidien. Un monde campagnard des plus simples dirait-on…mais quelque chose clochait…l’inspecteur n’était pas dupe. Il n’avait jamais entendu parler de problèmes dans cette commune et d’un coup, quatre victimes en quatre semaines…Pourquoi ?? Bien-sûr, ce n’était pas en se posant la question bêtement qu’il trouverait, il devait creuser très profondément… Les quatre victimes étaient retrouvées au même arbre, presque en face d’une maison occupée par les Dupin, une vieille famille paysanne nombreuse. Les Dupin étaient à chaque fois en état de choc et sur les huit enfants qui composaient la famille, trois étaient sujets à de violents cauchemars. Martine, leur mère, femme au foyer trop aimante, ne savait plus quoi faire, et le père, Jean-Marie, chauffeur de bus appréciant le bon vin, ne trouvait aucun argument pour tenter de rassurer sa grande famille. Seul le grand-père, surnommé « le Dédé » tenta d’expliquer aux flics que le mal sévissait dans la région, étant très pieux.

Puisque les victimes étaient retrouvées à proximité de leur domicile, les soupçons des habitants ne tardèrent pas à se porter sur Jean-Marie et le pauvret ne savait que bredouiller, incapable de s’affirmer face aux policiers. Celui-ci fut mis en garde à vue pendant quarante-huit heures mais aussitôt relâché, faute de preuve…L’inspecteur Satranches continua son enquête, bien que le temps lui était sérieusement compté, d’autant plus que les familles des victimes voulaient à tout prix des explications et bien entendu faire la peau au coupable. Le commissaire Desprez lui poserait la question fatidique : « alors inspecteur, où en êtes-vous ? » et Satranches n’avait absolument pas besoin de cela pour l’instant. La suite des événements n’en finit plus de le figer à son état de perplexité.

Le mois suivant fut propice à une longue attente. Pourquoi ? Pour la simple et bonne raison qu’il n’y eut pas de nouveaux pendus. Rien. Satranches guettait un nouveau meurtre, et d’ailleurs, il avait été bien stupide de ne pas anticiper le moment exact des meurtres qui survenaient essentiellement le soir. Il n’aurait pas su déterminer exactement l’heure, mais, sans qu’il sache exactement pourquoi, il pressentait que la nuit était propice à ces pendaisons. Satranches sentait que c’était le calme avant la tempête. Le meurtrier allait de nouveau revenir sur les lieux du crime.

Au début du mois de mai, Satranches était à bout de nerfs, pour ne pas dire, sur le point de craquer. Une horde de journalistes était sur le qui-vive et toujours pas d’autres crimes. Pourtant son intuition de policier chevronné ne le trompait pas. Le tueur pouvait frapper d’un instant à l’autre. Qui dans cette commune pourrait être le tueur ? Lui-même connaissait tout le monde ici, même s’il résidait à présent à Cognac et c’était vraiment déconcertant, décourageant même. Il dut faire des pauses même si son travail lui imposait une certaine disponibilité. Profitant de la pause de midi, il alla à la boulangerie du village car toutes ces interrogations lui coupaient littéralement l’appétit. Il commanda à Pascale, la vendeuse, deux croissants et une chocolatine avant de saluer à l’arrière de la boutique, Gilles, le boulanger, qu’il connaissait depuis l’enfance.

Deux jours plus tard, il était aux alentours de vingt-et-une-heures lorsque Satranches, occupé à ranger certains dossiers à son bureau de Cognac, reçut un appel des plus surprenants. Un vieux paysan de près de soixante-quinze ans, surnommé « grand Toto » par les anciens et les plus jeunes, venait d’être témoin d’une scène terrifiante, selon les mots employés. Environ une heure plus tôt, alors qu’il faisait rentrer sa cinquantaine de vaches encore en libertés dans son pré, grand Toto crût voir un mouvement près d’un bosquet d’arbres, non loin de l’ancienne route nationale D731. Il s’approcha à pas de loups, tentant de bien positionner sa canne pour éviter le moindre bruit. Lorsqu’il fut assez près, il s’arrêta net et se tint la poitrine pour ne pas défaillir. Il reconnut le boulanger, Gilles, accompagné de Monsieur Tresne, le second mari de la coiffeuse Ginette, soulever ce qui ressemblait…à un corps. Il les vit mettre le corps à la verticale à une branche d’arbre suffisamment basse pour pouvoir le pendre. Monsieur Tresne, mit la corde autour du cou de la future victime et fit un nœud bien sec. Cette victime-là, n’était autre que Claude, le neveu du maire de la commune, un jeune homme de vingt-cinq ans et au visage confiant. Grand-Toto était terrorisé et il réalisa que la victime avait été certainement assommée avant de se réveiller et de prendre brutalement conscience de sa mort très proche…Sans faire le moindre bruit suspect, il retraversa aussi rapidement qu’il le put son champ et appela la police. Lorsque le vieux paysan eut fini son récit, Satranches appela aussitôt ses collègues et le commissaire en leur disant : « cette fois ça y est, on tient les tueurs… » Il sauta aussitôt dans son véhicule et fonça sur Saint-Hilaire-de-Villefranche. La police déferla sur le village et en l’espace d’à peine deux heures, Monsieur Tresne et Gilles furent, chacun de leur côté, arrêtés à leur domicile et emmenés manu militari.

19 septembre 1963.

Le procès des deux tueurs de Saint-Hilaire eut lieu. Lorsque les accusés comparurent chacun devant les familles, Ils avouèrent que les cinq victimes avaient toutes un point en commun, quelque chose qui concernait leurs personnalités : les cinq défunts étaient des pervers narcissiques, qui cherchaient à tout prix à se mettre en valeur en dévalorisant les autres et le plus souvent, des personnes de leur entourage. A ces paroles, aucune des familles ne chercha à nier, au contraire, elles le reconnurent entièrement. Paradoxalement elles pleuraient leurs proches disparus et d’une certaine manière, quelque chose sur les différents visages concernés démontra comme une sorte de soulagement, une délivrance dissimulée peut-être…Satranches s’en rendit compte au moment où Florian, le frère jumeau d’Annie Duvillain entendit l’expression « pervers narcissique ». Que dire de Gilles et Monsieur Tresnes dans ce cas ? Un fort goût pour la violence s’était manifesté chez eux, surtout passé l’étape de l’adolescence et, avec les années, cette envie de violence avait fait place au plaisir de faire souffrir et ce, jusqu’à au plaisir suprême de l’observer…un plaisir jouissif…Deux psychiatres qui ont pris en charge leur cas, ordonnèrent catégoriquement de les faire interner.

Suite au procès, Jean-Marie Dupin fut totalement innocenté et acquitté et le Dédé remercia le ciel indéfiniment. En sortant de la salle d’audience, Satranches sentit que la faim le tenaillait à nouveau. Il partit pour Cognac et une fois arrivé à destination, il alla dans la boulangerie la plus proche. Rien que deux bons croissants et une chocolatine pour retrouver l’appétit !

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