Le moissonneur de vent.

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Il était une fois, un moissonneur méprisé des siens. Il appartenait à une communauté d'entités dont la seule raison d'être était de faucher.


Ils moissonnaient tout : les champs, les forêts, les océans, les montagnes. Ils fauchaient même la vie, la mort, les âmes.


Alors les moissonneurs fauchaient, et ils récoltaient.


Lui ne récoltait jamais rien : il ne le pouvait pas et en souffrait. Ce n'était pourtant pas faute d'essayer, et cela à chaque moisson.


Alors il fauchait, et il fauchait. Sans rien couper.


Lorsqu'il fallut moissonner les champs, il se joignit aux autres. Il fendit les airs de sa faux, encore et encore. Mais sa lame ne put que coucher les céréales. Alors il ne récoltait rien. Alors, on l’excluait des moissonneurs de champs. Il chercha et trouva un nouveau groupe, et se remit à l'ouvrage.


Alors il fauchait, et il fauchait.


Lorsqu'il fallut moissonner les arbres, en récolter le bois et les fruits, ils fauchèrent avec précision et rapidité. Sauf lui. Quand il voulut fendre l'écorce, sa lame rebondit, encore et encore. Il ne récolta rien, et on le mit au ban du groupe. Ainsi, il dut trouver une nouvelle place dans la communauté, et réessayer d'y faire son office.


Alors il fauchait, et il fauchait.


Lorsqu'il fallut moissonner les montagnes, sa faux se fracassa contre le roc. Quand il voulut participer à la récolte des océans, sa lame fendit les flots sans conserver la moindre goutte d'eau. Quand venait le temps de faucher des âmes, celles-ci échappaient à chaque fois à sa faux. Mais il persistait, encore et toujours, car chacun se devait de moissonner dans la communauté, car telle était leur raison d'être.


Alors il fauchait, et il fauchait.


À force, on ne voulut plus de lui parmi les moissonneurs, et il fut alors banni vers des montagnes au loi. Le vent y hurlait si souvent d'une rage puissante, laissant la zone entièrement stérile et inexploitable. Sans but, sans utilité, il perdit toute raison de vivre et accepta son sort. Il pria pour que l'une des tempêtes l'emporte et en finisse avec lui. Il fut exaucé une nuit d'orage, lorsqu'une tornade l'engloutit. Et pour une dernière fois, au milieu de la colonne tourbillonnante, il laissa s'exprimer sa lame.


Alors il fauchait, et il fauchait.


Ressentant un immense bien-être, il se laissa emporter, et continua de faucher le vent dans une succession de pas gracieux. Il comprit à cet instant, qu'il pouvait marcher sur l'air, et non seulement subir le tourbillon. Alors il dansa la tempête, faisant virevolter sa lame au gré des vents.


Alors il dansait, et il fauchait.


À mesure que sa faux battait la tornade, la tempête se calmait, et l'air remontait vers les cieux. Finalement, il pouvait moissonner. Bondissant sur le vent, il s'élevait vers les nuages, emmenant la fureur alizée avec lui. Et dans l'azur céleste, il poursuivait sa performance.


Alors il dansait, et il fauchait.


Depuis cet exploit, il vivait dans les cieux, dans un palais de nuages bâti de ses récoltes. Il avait enfin trouvé sa raison d'être, à l’affût de la moindre bourrasque. Lui, le forgeur d'embellies, le cavalier du vent, le dompteur de tornade, le dresseur de typhon, le fléau des ouragans. Et dès qu'une tempête se levait, il était là, toujours présent.


Alors il dansait, et il fauchait.


Avec le temps, il passa d'entité à celui, de légende populaire. Aujourd'hui encore, les jours de tempêtes, nombreux sont ceux qui prétendent l'avoir vu. Ils parlent d'une ombre, exécutant son ballet céleste, tournoyant dans le vent. Qu'ils mentent ou pas, cela ne changeait rien, car qu'on le voit ou pas, une seule chose restait certaine : il est bien là.


Alors il danse, et il fauche.


Et jusqu'à ce que disparaisse le dernier des nuages, que s'éteigne l'ultime bourrasque, il sera là, dans les cieux à accomplir son ouvrage, car il est le moissonneur de vent, et il le restera jusqu'à la fin des temps.


Alors il dansera, et il fauchera...


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