Le château et la créatrice

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Il y a bien longtemps vivait une princesse. Elle habitait dans un immense château avec ses parents, qui l’aimaient tendrement. Le moindre de ses souhaits était immédiatement exaucé : lorsqu’elle avait faim, on lui apportait des plats délicieux. Lorsqu’elle était fatiguée, on la bordait dans un lit moelleux et douiller. Lorsqu’elle se sentait seule, ses amis lui tenaient compagnie. La princesse était l’enfant la plus heureuse au monde.

Depuis ses larges fenêtres teintées, elle observait parfois le paysage. Ces près et ces forets verdoyantes l’intriguaient. Elle souhaitait ardemment s’y promener, sentir et entendre l’air frais qui faisait tanguer les branches et onduler les herbes . Hélas, il s’agissait du seul de ses désirs qu’on refusait de combler.

- Mère, pourquoi ne puis-je pas sortir du château ? Demanda la princesse.

- Pourquoi voudrais-tu en sortir, ma fille ? Répondait la reine avec un petit rire moqueur. Nous avons tout ce qu’il nous faut ici.

La princesse avait beau insister, la reine demeurait inflexible. Le roi, quant à lui, ne disait mot, se contentant de secouer la tête. Ce refus ne fit qu’alimenter la curiosité de l’enfant. Plus l’extérieur lui paraissait vaste et lumineux, plus le château lui semblait sombre et étriqué. Les murs se rapprochaient de jour en jour, menaçant de l’étouffer. Quand elle faisait part de ses inquiétudes à la reine, elle ne les prenaient pas au sérieux.

- Ce n’est que ton imagination, ma chère enfant ! Pense plutôt à tout le bonheur que nous t’apportons. Dehors, tu n’aurais rien ni personne.

Mais bien vite, le bonheur lui-même s’étiola : la nourriture succulente avait un goût amer, le lit douillet lui donnait des courbatures et ses amis autrefois si chaleureux étaient devenus distants et froids. Malgré tout, la reine refusait toujours de laisser partir la princesse. Inlassablement, elle répétait : « Ce n’est que ton imagination ».

Son père le roi ne disait mot, ne donnait aucun signe de refus ou d’accord. Il était comme endormi, les yeux grands ouverts.

Alors la princesse désobéit. Un matin, à l’Aurore, elle poussa non sans peine les lourdes portes du château. Un grincement bruyant résonna. Craignant d’alerter ses parents, la jeune fille courut autant qu’elle le put, sans se retourner. Une fois hors d’haleine et le château hors de vue, elle put enfin profiter de ce qu’elle avait si longtemps désiré.

Dehors, tout était si beau… Le ciel bleu chargé de gros nuages rosis par le soleil levant, les arbres dont les feuilles d’un vert étincelant bruissaient sous le vent frais, l’herbe douce et humide sous ses pieds nus… Les papillons et les oiseaux multicolores volant en un ballet frénétique… La princesse fut si émue devant toutes ces splendides découvertes qu’elle souhaita ne jamais les quitter.

Mais l’inconfort gâcha bien vite la contemplation de ce monde inconnu. Il faisait trop chaud, la terre lui salissait les pieds et d’ignobles araignées grouillaient sur sa peau. De plus, la jeune fille se sentait seule. Ses amis lui manquaient, tout comme ses parents. Au final, la reine avait raison : il n’y avait qu’au château qu’elle se sentirait parfaitement à son aise.

Hélas, la princesse eut beau revenir sur ses pas, marcher des heures durant jusqu’à la nuit tombée, elle ne retrouvait plus sa demeure. Elle n’avait vu qu’une vieille chaumière, à demi ruinée, si laide et si petite qu’elle n’y avait même pas pris le temps de s’en approcher. Poussée par la faim et la peur des cris étranges qui résonnaient autour d’elle, la princesse décida d’y retourner. Peut-être pourrait-on l’y aider à retrouver le bon chemin ?

Un grincement familier s’échappa de la porte d’entrée. La princesse s’avança avec prudence dans la pièce poussiéreuse et malodorante dans laquelle se trouvait un fatras d’objets. En s’approchant davantage, la jeune fille y reconnut ses amis. Ils étaient si petits… immobiles… elle tenta de leur parler mais ils ne répondaient pas. Ils ne la regardaient même pas.

Épouvantée, la princesse recula brutalement. Quelqu’un avait capturé ses amis pour les changer en ces objets sans vie ! Elle se cogna contre le mur opposé, juste à coté d’un grand pantin qui ressemblait en tous points à son père, le roi.

Pétrifiée d’horreur, la jeune fille ne parvint même pas à hurler. Qu’était-il donc arrivé à ceux qu’elle aimait ? Où était sa mère, la reine ?



C’est alors qu’elle remarqua une silhouette prostrée dans l’ombre. Il s’agissait d’une vieille femme mal coiffée et vêtue de haillons troués. Elle semblait pâle et maladive, comme si elle n’avait pas dormi pendant plusieurs jours. Ayant remarqué sa présence, elle s’approcha de la princesse, une avidité terrifiante dans son regard.

- Non ! Cria la jeune fille. Qui êtes-vous ? Où sont mes amis ? Ou sont mes parents ?

- Ingrate ! Répondit la vielle femme en frémissant de rage ? Tu ne reconnais plus ta propre mère ?

La princesse resta muette, refusant d’y croire. Cette femme mentait forcément ! Pourtant… à bien y regarder, les traits de son visage ressemblaient fortement à ceux de la reine.



- Je t’ai tout donné, poursuivit-elle. J’ai donné toute ma force, toute ma magie pour t’offrir la meilleure vie possible et toi, tu ne pensais qu’à t’enfuir ! Regarde moi ce désastre ! Tu as tout gâché !

La jeune fille ne voulait plus en entendre davantage. Elle s’enfuit à toutes jambes, au beau milieu de la nuit. A chaque instant, elle espérait se retrouver dans son lit douillet, libérée de cet horrible cauchemar, mais après de nombreuses heures prostrée dans le noir au milieu des buissons, elle compris que tout cela était bien réel.

Le château, ses amis, son père… rien de tout cela n’avait jamais existé. Cette femme, cette sorcière lui avait menti pendant tout ce temps. Elle avait crée de toutes pièces ce petit monde parfait où la garder soumise. Un jouet de plus… La princesse pleura de rage et de désespoir. Si toute sa vie était un mensonge, comment pourrait-elle distinguer le vrai du faux ? A qui faire confiance, désormais ?

Ce dont elle était sure, c’est qu’elle n’était plus qu’une simple jeune femme qui devait trouver sa place dans un monde dont elle ne connaissait rien. Partout où elle allait, elle se heurtait à l’incompréhension ou à la malveillance de ceux qui la jugeaient trop naïve et ignorante. La jeune femme se sentait si seule qu’elle en vint à regretter sont beau château et l’amour qu’on l’y lui donnait.


Par désespoir, elle souhaita plus que tout retrouver la sorcière, implorer son pardon et l’appeler de nouveau « mère ». Hélas, elle savait bien que ce bonheur passé était illusoire. Il n’aurait jamais plus la même saveur, maintenant qu’elle connaissait la vérité.

Un soir, lors d’un énième voyage, la jeune femme épuisée et malheureuse croisa le chemin d’un groupe de gens étranges, assis près d’un feu de camp. Ils portaient chacun un objet qui semblaient leur apporter beaucoup de bonheur.

- S’il vous plait ? Pouvez-vous me dire ce que vous tenez auprès de vous ? Demanda la jeune femme, intriguée.

- Ceci est mon pinceau, répondit une femme maculée de taches colorées.
- Ceci est ma lyre, répondit un homme à la voix douce.
- Ceci est mon masque, répondit une femme richement vêtue.
- Ceci est mon burin, répondit un homme couvert de poussière blanche.

La jeune femme voulut alors savoir comment ils s’en servaient. Avec passion, ils leur montrèrent tour à tour les mondes superbes qu’ils pouvaient créer, pour un instant seulement, mais d’une telle merveille qu’ils laissèrent un souvenir impérissable.

- Je voudrais tant pouvoir faire comme vous. Ce monde n’est que mensonges ou malheurs et je peine à y trouver ma place.

Pour la première fois, la jeune femme eut l’impression qu’on la comprenait. Ces gens lui répondirent d’un air compatissant.

- Tu peux très bien faire comme nous.

- Tu trouveras ton objet.

- Tu créeras des mondes aussi beaux que les nôtres.

- Tu trouveras ta place grâce à eux.

Il fut malheureusement temps de se quitter. De nouveau vagabonde, mais l’espoir dans le coeur, la jeune femme se heurta à de nombreux obstacles, poursuivie par la peur, la paresse et la culpabilité d’avoir quitté son paradis pour un avenir incertain.

Pour se libérer de ces entraves, elle se souvint des mots des créateurs et de leurs mondes. Elle se souvint de son bonheur passé, profita de son bonheur présent et imagina son bonheur futur. Elle trouva même le moyen d’embellir son malheur, en y associant des images poignantes de beauté.

C’est alors qu’elle trouva une plume gorgée d’encre. La jeune femme la reconnut instantanément : c’était son objet ! D’abord hésitante, elle traça quelques mots, puis des phrases, puis des histoires entières. Son monde prenait forme, lentement mais sûrement.

Elle sut ce qu’il lui restait à faire : parcourir le monde pour en créer de nouveaux. Des mensonges, peut être, mais dont elle aurait le contrôle. Ils n’enfermeraient personne. Ils apporteraient l’espoir pour ses semblables et magnifieraient la beauté présente en toutes choses. Enfin, elle avait trouvé sa place et vécut heureuse jusqu’à la fin de sa vie.

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