Le navire affrontait la houle sans crainte.
Fendant des vagues fabuleuses, porté par un vent impétueux mais de bonne compagnie ; il était synonyme d’espoir.
Sire Boeſ d’Écoumène avait les yeux fixés vers l’horizon infrangible. Il n’y avait plus de retour possible, son personnel le savait.

Ils avaient quittés Grant-Ormouſ , et les côtes chaleureuses d’Outremer, par soif d’aventures et de connaissances. Ils s’étaient lancés sur l’océan, suivant les enseignements des anciens savants, et des sages de maintenant. Ils naviguaient plus loin que quiconque, au-delà de toutes les terres connues, plongeant en Mare Incognitum, vers des dangers secrets, des terres inouïes, ou plus glorieux encore : Vers le Royaume dans les Cieux, la Terre par-delà le Firmament.

Car c’était bien là son souhait le plus intense ; et bien celui de tout chercheur, occultiste, et pieuses gens.
Voir le bout du monde serait déjà gage d’un magnum opus, mais aller plus loin encore ?
Les hommes avaient vainement tentés de rejoindre les anges par la pierre, mais leur échec leur avait coûté l’union et la conciliation ; itérer avec fierté, n’était-ce pas là folie ?

Un marin hurla.
Une vague immense, au loin.

« Dieu miſéricordieux, je prie pour ton pardon. »

Au loin, une vague immense ?
Non.

La mer et le ciel se laminaient, se joignant ; un mur qui s’étirait vers l’éther, la voûte se lovant vers la paroi.
De cet horizon irréaliste naissaient nombre de nuages agités, déformaient les flots que le navire peinait de plus en plus à briser.
L’eau semblait perdre sa raison ; s’épanchant sans sens vers le zénith.
Ou était-ce le nadir ?
Car au sein des eaux tumultueuses s’élevaient les reflets du soleil ; ou ceux de la lune ? Une lune à l’éclat de mille étoiles dont nul œil ne pourrait s’en détacher.
Mais comment savoir ? Au bord du monde, lorsque la chute ou l’ascension est imminente, Boeſ comprenait que le jour et la nuit se muaient en concepts abandonnés.
Les couleurs qu’il contemplait, venant de partout et de nulle part, lui rappelaient l’opale ; aussi variées, aussi intenses, aussi captivantes.
Mais elles n’étaient en rien triviales ; au fond de lui, il savait qu’elles venaient d’au-delà.
Et comme des sirènes, elles captaient le regard de l’impudent, le guidaient au désastre …

Un cri.
Un impact.
Et un craquement.

Le navire partit à la renverse, flanqué par une vague scélérate.
Un bâbordais agrippa vainement la balustrade. Lâcha prise. Et sombra dans l’abysse angoissée.
À tribord. Le bois céda sous le poids du paquet de mer. Écrasé.
Sire de Boeſ tenta tant bien que mal de reprendre le contrôle du bateau ; le timonier happé par les éléments, il était le seul à pouvoir mener cette expédition à son terme.

La foudre rageante s’effondrait dans l’océan protestant, dans un duel aux allures dantesques ; comme si les bons anges martyrisaient des démons dans un final pugilat, une dernière discorde.
Mais malgré ce chaos, ce cataclysme, ils touchaient du bout des doigts d’ultimes apodicticités.

Leur tombeau de bois s’élevait, suivant la courbe de la mer, s’élevant toujours plus bas, vers des abîmes sublimes, cosmiques.
La charpente se tordait, crissant en accord avec le déchirement des voiles, grinçant plus fort que le glas de la cloche vert-de-gris.

Puis plus rien.

Plus le moindre son.

Tranquillité.

Équilibre.

La pluie se crystallisa, saisie entre deux vides.
Le voilage, les flammèches des fanaux se figent dans l’instant.
Le vent se cèlera en silence.

Et le temps.

Le temps lui même eut perdu sa propre substance ; s’effrite, se délite ; jusqu’au Néant, cédera son sens. Son sang.