I.

4 minutes de lecture

— Debout, Sac-à-farine !

Quoi ? Qu’est-ce qui se passe…

— Non mais regardez-moi cette garache, roulée en boule dans son lit !

Hrist ? Que fais-tu debout à une heure pareille ?

— Ne la secoue pas comme ça, tu vas lui déboîter l’épaule.

Kara ?

— Tu rigoles ? Je suis super douce, là.

— Eh, oh ! Y’a quelqu’un sous cette fourrure blanche ?

Prima !

— Mais lève-toi, bon sang !

— C’est Thélie !

— Elle est de retour !

Par le Souffle Ardent !

Ni une ni deux, Brunehilde se jeta hors de son lit avec l’énergie d’un troupeau de bisons. La pauvre Hrist, sur son passage, n’eut d’autre choix que de récolter la monnaie de sa pièce : renversée par tant d’entrain, elle tomba fesses les premières sur le tapis du dortoir.

— La sauvageonne ! s’exclama Prima.

— On devrait lui dire ça chaque fois qu’elle roupille un peu trop.

Brunehilde revêtit l’uniforme des apprenties et mit un peu d’ordre dans ses cheveux d’albâtre ; pas assez, selon Kara, qui la coiffa plus soigneusement et reboutonna sa veste.

— Où est-elle ?

Le louveteau ne perdait pas une seconde lorsqu’il s’agissait de Thélie.

— Minute, garache, riposta Hrist. Tu es sérieuse, là ? Tu n’as vraiment rien entendu ?

Brunehilde scruta ses amies une à une, tout à coup déconcertée. Il était vrai qu’il se faisait bien tard pour débarquer à Carcanesse – ou bien tôt ? Dehors, la nuit noire dévorait le monde. Pas de lune.

— Où est Freyja ?

— La Vouivre est venue la chercher, pardi ! poursuivit la Petite Gargouille. Elle est dans la grande salle, avec toutes les autres : Thalania, Belgarde et Azelmire !

— Un Conseil ? À cette heure-ci ? Mais… Qu’est-ce qui se passe ?

— Volo-biòu ! jura Prima. Y’a eu un tapage sans nom dans la haute-cour, y’a à peine dix minutes. Thélie n’est pas revenue seule : elle a ramené avec elle une druidesse.

La nouvelle fit vaciller Brunehilde.

— C’est pourtant interdit…

— D’inviter quelqu’un d’extérieur à la sororité, oui, grimaça Hrist. Et le pire, c’est que ce n’est pas tout. J’ai entendu Belgarde, quand la Vouivre est venue sortir Freyja du lit. Elle a parlé d’un panthore.

— Pas croyable, chuchota la fille aux cheveux blancs. Qu’est-ce qui lui a pris ?

— C’est bien ce qu’on veut savoir, lui répondit Prima. Et c’est pour ça qu’on t’a réveillée. On va dans la Tour de Méluzyn. Tu nous accompagnes ?

— Évidemment.

Sans tarder, les quatre petites diablesses se glissèrent à travers l’ouverture de la lourde porte et s’élancèrent silencieusement dans les dédales de la forteresse. Brunehilde avait le cœur qui vibrait comme une peau de tambour : l’idée que Thélie fut ici, de retour, excitait la garache blanche enfermée derrière ses barreaux encore fragiles. Plus d’une fois, Kara dut réprimer son enthousiasme lorsque passaient des consœurs plus âgées ; freinées dans leur élan, les petites filles se plaquaient alors aux murs, loin des torches vacillantes des couloirs, sachant pertinemment qu’on les sommerait de retourner se coucher si on les trouvait hors du lit. Car ce genre d’affaires ne les concernaient pas.

Tout du moins, pas encore.

Ce fut essoufflées qu’elles débarquèrent dans la haute-cour, plongée dans l’obscurité. Les fenêtres de la Tour de Méluzyn, charriant les étoiles, offraient seules une belle lumière orangée. La cheminée y avait été allumée ; le Conseil débutait tout juste. Déjà quelques sentinelles faisaient le pied de grue sur le pavé, et parmi elles…

— Eh ! Qu’est-ce que vous faites là, vous quatre ?

Brunehilde lâcha un juron, mais il était trop tard : Larissa, son mentor, refermait déjà les griffes autour de son bras. Un coup d’œil à ses amies lui appris qu’elles étaient toutes tombées dans le même piège.

— Ne pose pas tes sales pattes sur moi, Mel ! s’époumonait Hrist.

— Quelle insolence, vilaine gargouille ! Je me demande bien de qui tu la tiens…

Elles étaient toutes là, les camarades de Thélie. Nyx, avec son air toujours aussi satisfait, n’avait même pas eu besoin d’attraper Kara pour la retenir : sage comme elle était, l’apprentie Tarasque s’était rendue d’elle-même. Prima, quant à elle, avait bien tenté de fausser compagnie à Effie. Mais la Came-cruse, bien plus expérimentée, avait eu un jeu de jambe d’avance.

— La curiosité vous tuera, petites chimères, déclara Mel.

— On a le droit d’être au courant, grommela Hrist. Dis-nous ce qui se passe !

— Parce que tu crois qu’on en sait plus que vous ?

Voilà qui sut calmer les furies. Assagie, Brunehilde lança un regard suppliant à Larissa, mais la Grande Garache secoua la tête.

— Moi non plus, louveteau, je n’en sais pas plus.

Depuis que Thélie avait convoqué le Conseil de la Vouivre, tout le monde à Carcanesse nageait dans le flou. Seule la patronne connaissait la raison d’un tel affolement, et son mutisme n’augurait rien de bon. Tant de sentinelles avaient été rappelées des quatre coins de l’Hexagone… Quelle annonce aurait-elle à faire, lorsque le feu de cheminée serait éteint ?

— Et pourquoi Freyja a le droit d’assister au Conseil, elle ? se révolta Prima.

— C’est une vraie question que tu me poses, Petite Came-cruse ? l’interrogea Effie de son éternelle voix sévère et impérieuse. Vous avez tendance à l’oublier, mais Freyja fait partie de la famille de la Vouivre, tout comme Azelmire et Belgarde. Sa place est donc aux côtés de la cheffe.

Brunehilde empoigna timidement la manche de Larissa, incapable de calmer ses palpitations.

— Est-ce que c’est grave ? Thélie… n’a pas fait quelque chose de mal, si ?

Un silence pesant lui servit de première réponse, puis Mel se tourna vers la tour.

— Si Thélie a convoqué le Conseil, c’est qu’elle détient une information de la plus haute importance. Et si, à tort ou à raison, la Vouivre nous la garde cachée, c’est qu’elle pourrait être tout aussi dangereuse que bénéfique. Nous n’avons rien d’autre à faire que d’attendre, Petite Garache. Thalania sait ce qui est bon pour nous. Elle agira toujours pour le bien de la sororité.

Malgré les paroles rassurantes de la Gargouille, Brunehilde voyait dans les yeux de chacune de ses aînées une émotion bien différente.

Frustration. Peur. Méfiance. Inquiétude.

De toute évidence, la situation ne plaisait à personne.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire M. S. Laurans (Milily) ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0