Le Renard
La vaiselle était sur le point de se terminer. Nous étions repus. Assez pour n’avoir plus envie de faire grand-chose de notre journée. Pourtant, un programme était malheuresement déterminé : Les conséquences de l'excitation collective. Celle qui vous oblige à un enthousiasme hypocrite. Sans ça, vous preniez le risque de passer pour un emmerdeur. Il fallait donc, lâchementt avec un grand sourire, répondre « oh oui, avec joie ! » à la question « ça vous dirait d’aller cueillir des mûres ? ». Je me consolais en me disant que cela rendait service à notre hôte. Mais fournir cet effort m’ennuyait prodigieusement. Équipés de Tupperware, nous avons dès lors marché quelques minutes à travers ce domaine immense dont la limite n’était visible qu’après quelques heures de marche.
Sur le chemin, nous évoquions ce qu’évoquent des amis lorsqu’ils ont l’occasion de s’isoler sur ces terrains gigantesques. La campagne nous faisait du bien.
C’est après un ruisseau et quelques fils barbelés que nous attendaient les travaux. Les épines qui me piquaient les doigts me confortaient dans l’idée que l’activité ne me disait vraiment rien. Chacun peinait à faire sa place dans le petit espace que la nature nous accordait : ou bien il tombait dans les orties, ou bien il se tranchait dans les ronces. Mais ça ne suffisait pas à taire le groupe qui profitait de ce moment pour refaire le monde.
Nous étions cinq. Plusieurs d’entre nous avions fait connaissance au début de ce week-end. Mais chacun avait sa paire. Ainsi, deux filles dont je ne connaissais le visage que depuis 24 heures discutaient avec ma cousine et un grand ami.
Moi, je me taisais. Les mûres me gonflaient et la nature me comblait. J’étais heureux de ne plus être en ville. J’avais simplement besoin de silence, de jouir de ce qui m’entourait. Alors, tandis que je ne prenais plus part à la conversation, une occasion de désertion se présenta. Je la saisis, franchis quelques végétaux piquants et m’aventurai sur ce territoire immense. Personne ne l’avait remarqué, je savais simplement risquer d’entendre à mon égard un « Il fout rien lui, il est passé où ? ». Le terrain était dépourvu de présence humaine : tout appartenait à notre hôte, ce qui empêchait aux hommes et à l’administration de s’y aventurer. C’était désertique. Le silence était merveilleux, autant que le paysage. Après divers embûches traversé, je mis les pieds sur ce qui semblait être un viel étang désséché.
Soudain, un craquement dans les talus trahissait l’idée que je puisse être seul. Quelqu’un d’autre était là, quelques dizaines de mètres plus loin.
L’ombre de la lisière dévoilait à peine les yeux doux d'un renard. Il était calme, n’éprouvait aucune peur, ne savait pas ma compagnie : c’est moi qui étais chez lui. C'était donc ça, le merveilleux. J'assistais au grand théatre de la nature. Là oû l'homme n'a pas encore mis les pieds,. Chacun de ses pas était celui d’un propriétaire qui m’accordait le privilège de se dévoiler. Ce moment était suspendu, durait. Je n’avais pas envie de dégainer mon téléphone, ni de l’approcher. Je voulais simplement le voir. Je n'avais plus envie de rien que de rester là, seul, avec lui. J'avais envie de dire au monde " oublie moi quelques heures, j'ai mieux à faire". Cette compagnie était la plus belle des solitude.
Le renard et moi restâmes ensemble quelques minutes, sans se poser de questions, sans chercher à rompre ce moment si intense. Je n’avais encore jamais connu pareil dialogue avec quelqu'un d'autre que l'homme. Le vent soufflait dans mes cheveux et couvrait le bruit de mon silence.
J’aurais souhaité faire durer cette rencontre quelques milliards d’années encore. Alors on se serait peut-être échangé un mot, appris à s'aimer.
Mon prénom retentit de l’autre côté de l’étang desséché dans lequel avait lieu ce face-à-face. Ils me rejoignaient. Le renard prit peur. C’était fini.
Sur le chemin du retour, je tentais de raconter cette histoire à mes amis qui semblaient n’y porter que peu d’intérêt. De l’œil, je cherchais le renard pour les convaincre de la beauté de ce que je venais de vivre. Il ne se montrait plus. Au fond, je crois que je leur en voulais un peu d’avoir mis un terme à ce moment. Ils continuaient de parler à voix haute, inconscients du spectacle qui les entourait.
Et moi, je restais avec ce renard dans mon souvenir.
Espérant le revoir un jour.

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