Dévalant ses joues de porcelaine, le liquide lacrymal laisse une traînée scintillante pour terminer sa course dans l'étendue nébuleuse du ciel. Sa parure de plumes cotonneuse l'enveloppe de manière cajôleuse et solitaire, permettant à la créature célèste d'épancher pleinement ses émois. Couchée sur un banc de nuages elle se laisse bercer par le vent, caressée par la Lune qui joue avec sa lumière pour ombrager ce beau visage accablé par un chagrin intarrissable. L'ange serre ses mains autour d'une pierre désormais terne qu'elle approche de son coeur, comme si elle pouvait lui transmettre sa chaleur et lui redonner son éclat chatoyant.

L'être ailé finit par se redresser pour détacher une bourse noire de sa ceinture, elle soupire et en déverse le contenu à ses pieds. Elle compte rapidement puis ajoute amèrement au tas la pierre froide qu'elle tenait fermement et additionne sa nouvelle acquisition aux autres toutes aussi ternes et vides. Une vie de moins, encore. Cela lui fait toujours autant mal, surtout qu'elle s'était attachée à la personne. La mort est certes naturelle mais lorsqu'elle est volontaire ça lui brise le coeur.

Quand on lui confie une vie, elle peut user de son pouvoir pour éviter des accidents mortels à ceux qu'elle garde, mais cette mort là, elle n'y peut rien. Cela fait des millénaires qu'elle est là, et elle en a des histoires légendaires, elle en a tenu des cristaux vibrants d'énergie de ceux qui se battaient pour leurs vies... mais dans ces "temps modernes" elle voit de plus en plus de pierre s'éteindre trop tôt dans ses mains impuissantes, sans comprendre.

Et encore le pire est de penser qu'elle n'est gardienne que d'une poignée de l'humanité, elle n'ose pas imaginer toutes ces autres pierres dans les mains de ses confrères et consoeurs qui partent en avance sur leur temps. Elle qui a été depuis l'éternité un ange gueilleret, perdre le contrôle sur la vie commence à lui peser lourd dans l'âme. Ses souvenirs remontent ; l'éveil de l'humanité ces enfants qui apprenent en douceur, laissant place aux meilleurs, la beauté de la nature neuve et délicate qui s'épanouit. Le positif de l'évolution l'emporte sur la violence occasionnelle de ces peuples. Elle se rappelle des premiers chants. La créature célèste aime chanter des chansons millénaires ça a toujours été l'une des meilleures chose qu'elle ait appris des hommes. Mais la planète à bien changé et l'humanité aussi, surpopulations, changements climatiques, violences...

Rêveuse, ses yeux captent une lumière au dessus d'elle et elle lève la tête, une lueur d'espoir se rallume dans ses iris sombres. Ses mains en coupe accueillent une gemme pour y lire un prénom. Du bout des lèvres elle le prononce "Agapé", prénom de l'amour, incarnant la vivacité, le charisme et la curiosité.

L'ange déploie ses ailes et traverse silencieusement les nuages pour descendre sur Terre. Dans la nuit sombre, elle quitte l'aura de la Lune pour pénétrer une petite maison de campagne isolée. Un berceau tout neuf a été installé dans la chambre parentale. L'enfant à quelques mois et gigote en riant, malgré l'heure tardive mais la cette famille ne dort pas, les parents s'émerveillant des actes et babillements du bambin. L'ange invisible s'approche du lit et regarde tendrement cet être innocent. Elle souffle doucement sur le bébé qui rit, chatouillé. Elle repense à tout ce que ses yeux éternels ont vus et c'est instant est l'un des plus purs. Elle décide d'exprimer ce qu'elle ressent dans ce cocon d'amour ; "j'ai vu tant de choses que vous, humains ne pourriez pas croire." elle sait que personne ne va l'entendre mais ce n'est pas le plus important. Elle préfère que les hommes se contentent de leur petit monde, c'est déjà bien suffisant.

Elle dépose un baiser sur le front de la petite fille alors qu'une larme perle sur sa joue. Alors qu'elle s'en va, un courant d'air dépose une plume nacrée dans le berceau et un saphir clair s'est formé de la larme divine sur l'oreiller.

C'est le coeur léger que l'ange rejoinds les cieux, un sourire aux lèvres.