Knockando 12 ans ou vodka-RedBull

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Aujourd’hui, Maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas.

Ça s’est passé autour de minuit, c’est pas clair – la faute au cocktail, MDMA avant ma ‘mission’, histoire d’y arriver, puis deux lignes et autant de whiskies chez Maman - j’étais légèrement dans le gaz, on dira… Mais c’est le seul détail qui m’échappe un peu, je me suis tout de même ressaisi, et je ne dois pas en avoir oublié d’autres, j’ai même empoché mon verre, un dernier regard sur son corps flasque étalé au pied du bahut, sa tête qui formait un angle bizarre, ses petits yeux porcins désormais fixes… Rien ne laissait croire à autre chose qu’à une malheureuse chute accidentelle, je me suis tiré. Personne en rue, pas de caméras de surveillance, il y a veillé, petit arrangement avec le maire, j’aurais pu m’en sortir, sauf que...

Hein ? Ben oui, ‘il’… Je vous parle d’un meurtre et c’est tout ce que vous avez retenu ?

Puis… attendez, vous avez cru que je parlais de ma vraie mère, là ? Mais nooon, pour elle, sainte femme, la drogue est juste un artefact assez abstrait de série policière, et ce que je bois de plus fort chez elle, c’est du thé noir de Chine.

Là, ‘Maman’, c’est une folle vieillissante en surpoids, plus de plumes et de bagues qu’Elton John dans les années ’70, sans parler des paires de lunettes délirantes couvertes de strass, officieusement mon mac et mon dealer, officiellement mon employeur dans la société-écran d’aménagement et déco d’intérieur… la couverture inclut même les cartes de visite professionnelles ‘Art & Home, Jérémie D*L*, architecte DPLG’. Ironique, je suis infoutu de repérer un mur porteur et je ne connais rien aux prescriptions urbanistiques départementales, j’ai juste un bac général, une jolie petite gueule, et un corps que j’entretiens avec plus de soin que Patrick Bateman dans American Psycho, les crèmes et les UV, la totale !

Là, c’était juste le débriefing hebdomadaire habituel, rentrer la commission pour ma place dans le réseau, récupérer les cachets et les 5g de coke, tous les services sous le même toit, et c’était cool, sauf que ça a dérapé, l’enchainement malheureux d’événements, la journée pourrie qui m’avait énervé, deux vieilles ‘clientes’ capricieuses coup sur coup, la coke mal coupée, le Knockando 12 ans tiède, et surtout le fait que Maman ne m’avait clairement pas attendu pour presque entièrement vider la bouteille. C’est surement ce qui lui a donné l’initiative de coller son gros bide à mon corps, sa main boudinée sur ma joue et ses lèvres baveuses sur ma bouche.

- Maman, mon créneau, c’est les femmes, hein !’’ ai-je dit en le repoussant. ‘’Essaie ça avec Kenny, c’est lui qui s’occupe de leurs maris’’.

- Pfff ! Kenny, toi, les autres, vous êtes juste des putes’’ a-t-il grogné d’une voix pâteuse.

- Escort, toy-boy, même prostitué, tout me va, mais jamais ce terme-là !’’ j’ai craché, avant de lui mettre une baffe. Il s’est affaissé lourdement au pied du meuble, et c’était fini, un accident domestique comme un autre.

En soi, ça n’aurait rien changé, après l’enquête forcément muselée et les funérailles, il y aurait eu une courte lutte de pouvoir entre Eric et Kyle au profit du premier, Stan, Kenny et moi n’ayant pas d’ambitions particulières, et la vie aurait continué.

Jusqu’il y a quelques minutes, et ce mail post-mortem à l’équipe, transmis par dieu sait qui de confiance qui a joué l’exécuteur testamentaire…

‘Mes Petits Chats, si vous lisez ceci, j’ai deux nouvelles pour vous. La première est que la leucémie m’aura finalement emporté. Je sais que vous ne me pleurerez pas, et je m’en moque, sachez que j’ai pour vous plus que le mépris cumulé des vôtres à mon égard.

La seconde est qu’à l’heure qu’il est, les données des transactions bancaires sur les comptes que je vous ai fait ouvrir à Malte, ainsi que les dossiers de photos de vos deals minables, sont aux mains de la justice de notre beau pays.

Je vous laisse à vos petites vies, Charon m’attend.

Maman’

- J'ai un peu bousculé le timing pour ton grand final, Maman, mais quand même, cruelle ironie’’ ai-je murmuré en me servant une vodka-RedBull ‘’Échapper à l’épidémie de sida des années 80 et survivre à quelques OD, tout ça pour crever d’un cancer… À ta santé, vieux sodomite flamboyant !’’

Moi qui me disais que la journée d’hier était pourrie, j’évite les assises pour me prendre la brigade financière et les stups sur le dos…

Qu’est-ce que je vais dire à Maman ? La vraie, je veux dire, ma mère…

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