Premier et dernier chapitre
Je me réveille, lasse, sachant que le dimanche s’était achevé pour laisser place au lundi.
Le lundi, jour où l’on doit travailler. Rien que ce mot m’exaspère, mais malheureusement, il fait partie du dictionnaire.
Je prends mon café et me brûle la langue, dans l’empressement, consciente de mon retard à l’école.
Je déteste mon métier : enseigner à des mioches qui n’ont aucun respect et qui se prennent pour des stars commence à me taper sur les nerfs.
Je monte dans la voiture et mets le contact. Le moteur rugit et j’appuie sur l’accélérateur.
Je me tape les bouchons, comme d’habitude… Saint-Gilles est vraiment une ville merdique pour y vivre quotidiennement.
Quand je vois les touristes s’extasier devant l’océan Indien qui se déchaîne, ça me donne envie de rire, gorge déployée.
Je me gare devant le collège et sors mon miroir. Je remets en ordre mon carré brun et reboutonne ma chemise que j’avais accrochée lundi avec mardi.
Je sors et claque la portière ; mes talons aiguilles cognent le sol quand je dévale la rue vers le portail.
Je maudis le trottoir abîmé quand je manque de me tordre la cheville.
Je franchis enfin la porte de la classe, après avoir souri en saluant les élèves. Quelle belle hypocrite je fais.
Je sors les copies de l’évaluation surprise que j’avais prévue et leur distribue les feuilles, le sourire aux lèvres, sachant pertinemment que je ne corrigerai jamais ces copies et qu’elles ne seront pas notées.
Je m’assieds… et m’écrase par terre.
La chaise est pourtant là, mais je ne parviens pas à la toucher.
Je pense perdre la tête et décide de rester debout.
Les élèves rient et je me sens idiote. Quelle bande de crétins. Je vais peut-être la noter, cette évaluation.
Je passe le reste du cours à me questionner sur cette chaise.
Elle est pourtant là, et je suis sûre que j’allais m’asseoir dessus, pas à côté.
Quand la sonnerie retentit, je décide d’aller vérifier la chaise.
Elle est dure et j’entends l’univers ricaner.
Le bleu sur mon dos est pourtant là.
Les jours d’après, je décide de vérifier la chaise avant de m’asseoir.
Elle est comme intouchable à 7h31 pile.
Alors, l’air de rien, je reste debout.
Les questions commencent à hurler dans mon esprit, et je pense réellement devenir folle.
Je peine à trouver le sommeil le soir, et j’en arrive au stade où fermer l’œil me coûte.
Je prends alors la décision de consulter.
Le sommeil me manque, et ma petite sérénité mentale aussi.
Le diagnostic est clair : je n’ai aucune déficience mentale.
Et pourtant, la chaise est toujours intouchable, le matin, à 8h31.
Le mois se poursuit tranquillement, et je remarque des choses étranges qui me font douter du diagnostic du psychiatre.
Chaque matin, dans les embouteillages, au rond-point, un chien aboie.
J’essaie d’ignorer ces petites choses qui me font douter de moi, mais plus le temps s’écoule, plus les phénomènes deviennent flagrants.
Ce matin, je me réveille à 6h30, comme tous les matins.
Je prends mon café et m’habille. Je consulte mon téléphone : toujours 6h30.
Je prends la voiture et le chien aboie, comme tous les matins depuis deux semaines.
Je regarde l’heure sur le tableau de bord : 6h30.
Je commence à me demander ce qu’il se passe, sérieusement.
Sûrement un bug informatique. Mais quand j’arrive dans la salle des professeurs, le pendule affiche 6h30.
Que se passe-t-il ?
Personne ne semble s’en soucier.
L’éclat des néons scintille parfaitement, le carrelage luit.
Je commence à trouver l’ambiance terrifiante et décide de sortir rapidement quand la sonnerie retentit.
Je salue les élèves, toujours avec mon sourire hypocrite.
Je pénètre dans la classe et constate avec horreur que l’horloge affiche elle aussi 6h30.
Un frisson parcourt mon dos.
Je pense que la chaise doit être touchable puisqu’il est 6h30.
Je m’assieds… et tombe.
Personne ne rit.
Aucun élève ne fait de remarque.
C’est comme s’ils ne m’avaient pas vue tomber.
Ils poursuivent leur vie, comme si tout était normal.
Et je sens l’angoisse serrer ma gorge.
Le sommeil me manque, et je mets sur mon dos ma folie.
Le soir, en rentrant, je me fais un café.
En me retournant, je donne un coup de coude dedans : le liquide s’étale et forme un cœur.
Je passe l’éponge, lasse, ne sachant plus qui je suis ni si je suis mentalement stable.
Le lendemain, tout se passe pareil : le chien, les néons, la chaise…
Je me sens comme enfermée dans une boucle.
La fatigue me ronge de plus en plus. Je refais un café.
En me levant, je fais vaciller la table : la tasse se vide et la tâche est la même qu’hier.
C’est là que je comprends : tout se répète.
Le lendemain, plus de chien, plus de chaise, plus aucun néon trop parfait.
Le silence des bugs devient angoissant.
J’entre dans la classe et regarde le tableau.
Les murs se déforment et se pixelisent, puis redeviennent normaux en une fraction de seconde.
Les élèves ne réagissent pas.
Soudain, une craie se lève et trace sur le tableau, qui vire orange, des lettres à l’envers.
Quand on les retourne, elles forment la phrase : “PROFESSEUR DÉSACTIVÉ.”
Un élève se lève et apparaît tout d’un coup tout près de moi, comme s’il s’était téléporté.
— Tu ne devrais pas être consciente.
Je chute violemment sur le flanc, sous l’effet de la peur.
Je me réveille en sursaut dans mon lit.
Tout ça n’était qu’un rêve.
Je me lève et me dirige vers la salle de bain, dans l’idée de faire ma toilette.
J’enlève mon tee-shirt.
Un bleu me nargue sur mon flanc.

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