Chapitre 3

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  • Samaël ?

Pas de réponse.

  • Samaël ?

Toujours pas de réponse.

  • Sam, bon dieu, réveille-toi, on a une urgence, fit Mao.

Samaël ouvrit un œil.

  • Hum ?
  • Une urgence, emergency ! Tu te souviens ?!

Il se redressa.

  • Bien sûr que je me souviens mais laisse-moi le temps d'émerger...

Il ouvrit son second œil et tourna la tête vers sa partenaire. Mao était déjà en train de se rhabiller. Elle remettait tee-shirt et sous-vêtements. Il ne put s'empêcher de profiter du spectacle : à contre-jour, sa silhouette fine était toujours aussi attirante. Mao se retourna.

  • Qu'est-ce que tu regardes ?

Samaël la regarda dans les yeux en arquant un sourcil puis il sourit.

  • Ouais, fit Mao. Mais ce n'est pas le moment. Je file préparer le camion et toi, accélère, s'il te plaît !

Samaël soupira et se leva d'un coup.

  • C'est bon, j'arrive, je serai prêt dans une minute, juste le temps de me passer un coup d'eau fraîche sur le visage.

Mao disparut de la pièce et Samaël se dirigea vers le lavabo. Il se passa les mains sous l'eau puis s'aspergea le visage. Il se regarda dans le miroir pendant quelques instants malgré l'obscurité.

  • Ouais... T'as vraiment une sale tête en ce moment. Mais bon... Tu ne sais jamais... Tu tomberas sur le gros lot ce soir... Hein ? se lança-t-il à lui-même.

Il se mit une gifle...

  • C'est parti...

*

  • Qu'est-ce que c'est ? demanda Samaël en ouvrant la portière du côté conducteur du camion et en prenant le volant.
  • Trente-huit tonnes contre véhicule léger.
  • Aïe !
  • Comme tu dis, peut-être mais je n'ai pas plus de détails.
  • Ça fait combien de minutes ?
  • Six ou sept.
  • Ah bah... On a le temps alors, fit Samaël en démarrant.

Mao le fusilla du regard.

  • Ne t'inquiète pas. Je sais, tu n'aimes pas mon humour. Mets ta ceinture, on est partis !

Samaël écrasa la pédale de l'accélérateur et le camion bondit hors du garage. Il alluma les gyrophares puis freina un grand coup pour s'arrêter net. Il se retourna vers une Mao furieuse et lui demanda :

  • Et au fait... C'est où ?

*

  • On y sera dans cinq minutes si tout va bien, indiqua Mao au central de régulation avec la radio puis elle se tut et laissa son regard se perdre dans le vague.

Cela faisait presque quarante-huit heures qu'elle n'avait pas vraiment dormi. Ce n'était pas totalement de la faute à son boulot, cette fois-ci : c'est elle qui avait trop de choses en tête pour trouver le sommeil. Elle avait toujours en mémoire les phrases qu'elle avait échangées hier au soir avec cet enquêteur privé.

  • Je suis désolé, Mademoiselle, mais j'ai suivi les pistes que vous m'aviez données et ainsi que celles que m'inspiraient votre cas et cela n'a abouti à rien. Honnêtement, c'est la première fois que cela m'arrive. D'habitude, j'arrive toujours à trouver un indice, un élément quelconque qui me permet de remonter jusqu'à un nœud qui empêche de dérouler la pelote. Cependant, dans votre cas, c'est assez atypique. C'est comme si - ne le prenez pas mal, s'il vous plaît - c'est comme si vous n'existiez pas avant votre adoption.

Mao se pinça les lèvres. Comme si vous n'existiez pas. Ce n'était pas "comme si" : c'était le cas, tout simplement. Elle cligna des yeux car le flash du gyrophare se refléta quelques instants sur les immeubles en verre devant lesquels ils passaient.

  • Mademoiselle, je suis désolé d'insister mais est-ce que vous ne vous souvenez absolument pas d'un élément avant votre arrivée dans votre famille adoptive ? Une image, une association d'idée, une odeur, n'importe quoi ?

A cette question, Mao s'était retenue. Elle aurait pu exploser, hurler et arracher les yeux à ce type. Mais cela n'aurait servi à rien. C'était peut-être normal de poser ce genre de question même si l'on sait pertinemment que la réponse est non. Une sorte de méthode Coué pour garder l'illusion d'un espoir.

  • C'est à droite ou à gauche à la prochaine ? demanda Samaël.

Pas de réponse.

  • Mao !

Elle sursauta.

  • Hein ? répéta Samaël. A droite ou à gauche ? J'ai un doute pour ce qui est du chemin le plus court.

Elle jeta un œil sur la route et les immeubles. Elle ne reconnaissait pas.

  • A droite.

C'était juste une intuition.

  • T'es sûre ? demanda Samaël en tournant les yeux quelques secondes vers elle.

Mao hocha la tête.

  • Alors tant mieux.

Et il tourna le volant vers la droite. Mao ne comprenait pas tout le temps ni les réponses, ni les affirmations que pouvait faire Samaël. Cela semblait toujours décalé ou bien, n'avoir aucun rapport avec l'instant présent. Samaël ne semblait pas se préoccuper de cela : l'instant présent.

Ils faisaient équipe depuis quelques semaines, depuis le début du mois de décembre en réalité. Son responsable ne lui avait pas trop donné d'explications sur le sujet. Samaël était arrivé et il avait semblé tout de suite être à son aise, même s'il avait par rapport à son travail une manière de l'exprimer très particulière. Elle ne savait rien de ses états de service bien qu'elle ait essayé de se renseigner. C'était comme si ce mec avait débarqué de nulle part. Cela l'avait un peu agacée au début, surtout quand on lui avait annoncé qu'elle devait changer de partenaire et que ce serait lui.

  • Ça fonctionnera. Tu verras, lui avait assuré son responsable.
  • Mais cela fonctionnait très bien avec Audrey, avait tenté de protester Mao.

Elle se souvenait qu'elle n'avait pas fini sa phrase. Audrey. Elle avait disparu du jour au lendemain et personne n'avait semblé s'en émouvoir. Cela l'avait perturbée mais elle n'avait pas su l'exprimer ouvertement par simple gêne. Elle avait vécu en équipe avec Audrey pendant presqu'une année et s'était rendu compte qu'elle ne savait rien de sa partenaire. Elle ignorait comment la contacter : pas de téléphone, pas d'adresse, pas d'ami en commun qui aurait pu lui dire ce qui s'était passé. Passer un an avec quelqu'un et ne rien savoir sur elle : elle avait réalisé à cet instant-là qu'elle-même n'était pas normale. Dès lors, comment pouvait-elle reprocher quoi que ce soit à ses collègues ?

  • Mao... Si tu veux bien revenir sur terre, tu devrais passer à l'arrière et préparer le matos... On arrive dans deux minutes et mon petit doigt me dit qu'on n'aura pas énormément de temps si jamais on doit accomplir un miracle...

Mao regarda Samaël. Elle sourit. Il était sérieux lorsqu'il parlait comme cela. Accomplir des miracles. C'était une drôle de manière de dire les choses, surtout pour quelqu'un qui semblait ne croire en rien. Samaël. Combien de temps resteraient-ils partenaires ? Combien de temps resteraient-ils ensemble ? Telles étaient les questions qui traversaient l'esprit de Mao juste avant qu'elle se décide à passer entre les sièges pour se rendre à l'arrière du camion.

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