Chapitre 5

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Samaël regarda Mao s'éloigner. Il savait bien que les non-réponses qu'il lui avait faites ne l'avaient pas satisfaite le moins du monde, mais pour l'instant, il fallait qu'elle s'en contente. Elle était fatiguée, et cela aiderait sûrement. Il était convaincu d'une chose : Mao n'était pas encore consciente de la vérité. Cela se passait toujours ainsi et il n'y avait pas de raison que cela change. Il y avait dans cette fatalité un côté navrant que Samaël ne pouvait ignorer mais avec lequel il était toujours obligé de composer à chaque fois que les choses s'étaient répétées. Il en avait déduit qu'il y avait une grande part qui étaient inévitables. Pourtant lui guettait les moindres variations et c'était bien normal puisqu'il était là pour cela, pour que les choses changent. Mao posait et se posait des questions. Pas n'importe lesquelles et c'était encourageant. La sagesse humaine avait attribué à la patience le grade de grande vertu. Samaël voulait croire que pour une fois, cette vérité était universelle.

Une fois que Mao eut disparu, Samaël retourna à l'accueil des urgences. Il interpella l'infirmière qui les avait accueillis et lui demanda un point sur la situation des deux personnes qu'ils avaient amenées. Celle-ci le reconnut et lui donna les quelques informations qu'elle avait à sa disposition.

  • La jeune femme est dans le coma et toujours au bloc, ils terminent de suturer les plaies. Surtout, ils font le tour de ses organes pour voir s'il n'y a pas d'hémorragie interne qu'ils auraient pu rater. Ses constantes n'étaient pas cohérentes avec ce que le chirurgien constatait. Et pour ce qui est du jeune homme, a priori, lui s'en est sorti. On l'a plongé dans un coma artificiel tout de même mais c'est l'histoire d'un jour ou deux. Mais euh... Ca vous arrive souvent de poser de vous préoccuper des gens que vous amenez ici ? fit l'infirmière qui ne cacha rien de sa surprise.

Samaël prit quelques secondes de réflexion avant de lui répondre puis il finit par sourire.

  • Non. Pas toujours, il y en a trop. C'est juste que là, j'en ressens le besoin. C'est assez inexplicable mais c'est ainsi.

L'infirmière acquiesça de la tête mais à sa moue, Samaël sut qu'il ne l'avait pas convaincue.

  • Vous savez, je ne vous demande pas nécessairement de comprendre... Je veux savoir... Ça ne va pas plus loin que cela.
  • En principe, je n'ai pas le droit de communiquer ce genre d'information à d'autres personnes que la famille...
  • Vous pouvez faire une exception pour cette fois-ci, non ? fit Samaël d'un ton qui ne laissait aucune place à l'hésitation mais tout en souriant. Je voudrais savoir aussi comment se porte le bébé.

*

Mao ne fit pas de zèle en retournant au quartier général. Elle gara le véhicule et débaucha dans la foulée.

  • Ça ne va pas ? fit une de ces collègues qui sortait du vestiaire.

Mao ne répondit pas. Elle fit un signe de la main et alla directement se changer. Elle ressentait une sorte de colère. Elle était en rogne par rapport à l'attitude de Samaël, c'était évident mais pourquoi ? Elle savait que lorsqu'elle s'était laissé emporter par les événements et donc qu'elle avait commencé de coucher avec lui, cela pourrait compliquer les choses mais, elle, en grande naïve, s'était dit que ce n'était que du sexe et après tout, pourquoi s'interdire du plaisir quand la vie en servait si peu sur un plateau. Mais ce n'était pas si simple et ce soir, c'était l'évidence même. Il ne lui devait rien mais Samaël avait ce don de la faire réagir au quart de tour. D'aucuns auraient sans hésitation affirmer que c'était parce qu'elle en était amoureuse mais la réalité était sûrement un peu plus compliquée.

Samaël était au sens propre quelqu'un d'assez séduisant malgré l'espèce de mystère dont il entourait sa personne. C'était quelqu'un qui, même si vous ne saviez pas précisément pourquoi, savait attirer votre attention. Il avait ce petit quelque chose qui faisait que. Mao l'aurait volontiers comparé à une certaine fragilité mais ce n'était pas le cas. Samaël avait beau faire preuve de sensibilité, il y avait toujours un décalage impalpable mais évident. En clair, il y avait un élément qui clochait, l'ennui, c'était qu'il était impossible de savoir quoi.

Mao ne savait même pas pourquoi elle s'était retrouvée avec lui, enfin... Comment elle en était arrivée à partager une certaine intimité avec lui. Elle était persuadée même si elle s'était refusée, il aurait tout de même continué à profiter d'elle et des sentiments un peu flous qu'elle avait pour lui. De la pitié. C'était le mot qui lui venait à l'esprit lorsqu'elle pensait à lui. Comment pouvait-elle confondre cette pitié avec des sentiments plus empreints de... dignité. Et surtout, comment en était-elle arrivée là ?

Mao secoua la tête. Elle était en colère et ce n'était pas sain. Elle ne pouvait se résigner à cela. Samaël ne devait pas l'entraîner sur cette voie. Cela n'avait rien à voir avec ce qu'elle concevait comme des sentiments normaux. La petite agitation rebelle qu'elle sentit lui remuer ses entrailles la rassurèrent. Elle était encore là, la Mao combative.

*

Mao habitait à trois pâtés de maisons du travail. Cela avait un côté pratique mais c'était aussi le meilleur moyen d'emmener ses préoccupations de boulot à la maison. La preuve en était qu'elle avait réussi à ramener Samaël. Enfin, c'était plutôt Samaël qui s'était ramené tout seul chez elle en vérité. La vraie question était pourquoi s'était-elle laissé faire. Mais pour autant fallait-il aussi avoir une idée sur la réponse et là, Mao n'en avait pas la moindre.

Son appartement était au dernier étage sans ascenseur pour que ce soit plus drôle. Ce n'était pas tout à fait une chambre de bonne et pas tout à fait un vrai logement. Elle le regrettait un peu mais finalement, étant donné son salaire et le confort relatif que lui procurait ce petit nid d'amour, elle s'en satisfaisait.

Avant de monter chez elle, Mao jeta un œil dans sa boîte aux lettres et l'ensemble de papiers publicitaires qui l'encombrait finit dans le vide-ordures. Puis elle attrapa la rambarde des escaliers et gravit les marches quatre à quatre. Elle était complètement vannée et elle se dit qu'il valait mieux pour elle qu'elle se couche rapidement avant que Samaël ne la rejoigne. C'était sa seule chance de pouvoir dormir ne serait-ce qu'une petite heure.

*

Samaël rentra un peu plus d'une heure plus tard. Malgré l'attention particulière qu'il prit à ne pas faire de bruit, Mao se réveilla et lança vers lui un regard flou.

  • Tu as fait que ce que tu avais à faire ? demanda-t-elle d'un ton qui semblait encore empreint de reproche.

Il sourit.

  • Oui, j'ai fait tout ce que j'avais à faire.

Il s'assit sur le rebord du lit et commença de retirer son tee-shirt.

  • Tu ne vas pas me dire ce que c'était, c'est ça ? Non ?

Samaël resta silencieux. Il se demanda pourquoi fallait-il que Mao pose la question alors même qu'elle savait qu'elle n'aurait pas la réponse. C'était quelque chose qui lui échappait. De plus, quelle était l'importance de mettre ce genre de non-dits comme l'enjeu d'une querelle qui irait sans l'ombre d'un doute vers une impasse.

  • Chut... finit-il par lui dire tout mettant en son doigt sur les lèvres de Mao.

Puis il l'attira vers lui et malgré quelques secondes de résistance, elle s'abandonna à son étreinte. Samaël respira ses cheveux. Ils sentaient bon le shampooing fraîchement appliqué. Mêlé à l'odeur corporelle de Mao, le parfum était tout à fait particulier. Il y avait quelque chose de pénétrant, presque à en vous mettre le frisson. Samaël était bien forcé de le reconnaître, même s'il savait beaucoup de choses sur le passé, le présent et l'avenir, ceci faisait partie de celles qu'il avait en ignorance. De plus, il semblait que ces choses ne puissent pas obtenir d'explication. C'était, quelque part, un peu ennuyeux car ceci ne correspondait pas à son mode de réflexion. Il fallait pourtant qu'il le prenne pour une donnée, un fait et non comme un mystère à résoudre. Après tout, l'autre avait le droit d'avoir ses règles inamovibles aussi. La vie n'aurait pas été sinon très équitable. Il sourit à cette idée tellement anthropocentrée d'équité.

Samaël regarda le plafond et se redressa un peu. Mao était de toute évidence vraiment exténuée cette fois-ci. Malgré le petit agacement qu'elle avait manifesté, elle s'était rendormie quasi instantanément. Il se pencha un peu et tendit le bras vers la table de chevet pour attraper son paquet de cigarettes. Il n'avait pas sommeil. Il n'avait jamais sommeil alors que la fatigue, elle, lui pesait de plus en plus.

Il s'alluma une clope et lut une nouvelle fois, le nom et l'adresse qu'il avait notés sur le dessus du paquet. Cela n'avait pas été très facile mais il les avait récupérées ces précieuses informations. Il avait dû y sacrifier un peu plus de temps que ce qu'il avait prévu :

Marie Lagnaude, 13 Rue Chomel, Paris 7ème arrondissement.

Désormais, il fallait trouver le moyen de la rencontrer. Le fait de l'avoir secourue pouvait être une bonne excuse quoique cela ne soit pas suffisant. Si c'était vraiment elle, il ne fallait pas trop traîner car de toute évidence l'histoire avait commencé de se dérouler.

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