Le bébé d’ailleurs
Le bébé d’ailleurs
Ô toi enfant de lumière
A jamais incréé
Pourtant si présent
Pourtant si vivant
Au-dessus de nos têtes et en nos cœurs
Partout et nulle part, omniscient tel un dieu
Patiente. Ici le temps n’est pas le même
Pour nous, ta mère et moi, il passe trop lentement sans toi
Un jour viendra où nous te rejoindrons
D’ici là, nous te ferons
Le plus grand nombre de fois
Que chacune de nos tendres nuits te fasse naître
Quelque part
En quelque endroit du septième ciel
Entre un nuage et un rayon de soleil
Créateurs de vie, mille fois parents
Chaque soir, en un endroit sur terre
Explose ainsi un orgasme de fécondité
Et un bébé d’ailleurs
Etre de lumière
Fruit d’amour
Perçoit la nuit
A défaut de voir le jour
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Plaisir de chat
Yeux qui s’affinent
Tranchent la pénombre
Regard qui tue l’obscurité
Silence qui s’installe
Blotti entre mes pattes de velours
Mes griffes acérées
Ne sont là que pour toi
Que pour te protéger
Toi seule
Je frissonne, tu frissonnes
Ne conjuguons pas plus loin ce si doux verbe
Frissonner à deux est suffisant
Il ne m’en faut pas plus
Pour te faire miauler de plaisir
Et te mettre à quatre pattes
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Petit alphabet des émotions
L, M, N…
Tout était écrit
Plus simple que n’importe quelle prophétie
J’aurais dû y songer
Le « L » venant avant le « M »
Elle s’est faufilée
Elle, présente, avant que je ne l’aime
M, N…
« N » après « M »
C’était une sorcière
Haine ressentie après l’avoir aimée
M, N, O…
« O » derrière « N »
Je me suis vengé
D’eau l’ai-je trempée après l’avoir haïe
N, O, P…
Puis la paix fut en moi
« P » juste après l’ « O »
Et ce fut bien rigolo
Mais…
R, S, T…
Même après
Tout compte fait
Ma haine est restée
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Mon héroïne
Ô toi ma sauveuse, ô toi mon héroïne
Perdu j’étais, foutu d’avance
Vague à l’âme et cœur à la dérive
Et lentement je chavirais… vers le pas grand-chose du rien
Et le trois fois rien du rien de rien
Soit donc du néant
Vogue, vogue la galère des galériens
Les bateaux ont-ils des jambes ? Eh non mon fils il faut ramer
A contre-courant, en surface, en surplace je m’épuisais
Jusqu’au jour où un phare m’éblouit
Et c’est toi mon héroïne, qui a sauté dans mes bras
Brisant mes chaînes, nous emportant au loin…
Pieds sur terre et tête dans les nuages
En lune de miel intemporelle
Tous les matins je m’éveille en pensant à toi
Tous les soirs je te sors de ta cachette
Et ne faisant plus qu’un tu m’emmènes vers les cieux…
Cruelle !
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Pauvre amour
Il était une fois, etc, etc…
Parlotte, verbiage, que du blabla
Pauvre amour !
Nom commun et pourtant singulier
Pluriel à ses heures perdues
Féminin, tantôt, masculin, parfois
Variable ou invariable, c’est selon, ça dépend…
De quoi, du vent ?
Et pourquoi pas du vent !
Quand on s’ennuie de l’air marin
C’est un peu la même écume
Mais… pauvre amour, pauvre mot !
Sitôt énoncé, étouffé au berceau !
On en parle, on le chante on se l’offre
On le prête, le déforme, le clone, le profane
On le fait fructifier, on le joue, en bourse ou en vrai
Pour de rire ou pour de faux
A loisir ou à défaut
Et puis, parfois, au détour d’un chemin
On le fait
En fait, l’amour on en fait…
Ce que l’on veut, ce que l’on peut
C’est-à-dire bien peu, trop peu
Jamais trop, jamais assez
Comme si le sens nous échappait
Pourtant si simple, si limpide !
Faut-il toute une théorie
Faut-il tant de livres, de films et de chansons
Combien de prothèses encore ?
L’amour c’est l’amour, en un mot comme en cent phrases. Point
Mais non, point à la ligne, virgule, point-virgule ou pas de point du tout
Ce n’était pas assez compliqué comme ça
Et ça continue
Et ça débat et ça chante et ça filme et ça crie et ça écrit et ça s’écrie…
Et ça craque, et ça craint
Et en fin de conte, tu le vois bien
Notre colère nous égare
Nous brise et nous brime
La frontière est si fine
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Amours de cauchemars
Venez à mon chevet ô petits cauchemars
Venez pénétrer ma chair fraîche
Mon corps vous est offert
Rien que pour vous mon âme s’est faite toute belle
Venez je vous attends
Je vous ai cuisiné, concocté, préparé
Avec amour ou peu s’en faut
Le plus profond des sommeils
Venez me rassurer
Veillez à m’assurer
Que plus jamais un beau rêve
Ne passera par là
La dernière fois
Ô petits cauchemars
Vous m’aviez abandonné
Un rêve m’a attrapé
Si merveilleux que j’y ai cru
Plus fort encore
Que ma propre mort
Une fois éveillé
Le piège était clos
Même le plus beau paysage
Etait devenu laid
Alors amis, petits cauchemars
Ne me laissez pas choir
Venez à mon chevet… venez !
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Au-delà des racines
Mes pieds sont rattachés à la terre qui t’a fait naître
Mes têtes et mes bras communiquent avec les cieux…
Prosterne-toi misérable mortel
Je suis ton père et ta mémoire
Mes frères et moi sommes l’âme de ton monde
Nos cœurs te font vivre toi et les tiens
Si les litres de sang que tu possèdes
Circulent si bien en tes veines
C’est à nous que tu le dois
J’ai vécu dix fois ton âge et suis encore jeune
Et toi tu te sens déjà flétrir
Et toi tu fanes déjà peu à peu
Tu perds tes pétales et les pédales
Et ne le vois même pas
Je sais à quoi ressemblaient tes ancêtres
Et les ancêtres de leurs ancêtres
Chacune de mes respirations s’écoule en une année
Mais toi, oui toi, que fais-tu donc ?
Tu me saignes, me brûles et me souilles
Fais bien attention !
Le jour où je partirai
Je t’emmènerai avec moi…
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Au royaume du noir
Voici venu le soir des démons intérieurs
Sortilèges à tout prendre pour enfants pas sages
Croque-mitaine mi-figue mi-raisin
Sortant de l’ombre
Face à la lune, profil aux étoiles
Ils arrivent, ils sont là
Se penchent sur le nouveau-né
De toute la tendresse qu’il n’a pas eue
Voici venu le temps des longs fantômes de pierre
S’effondrant sur eux-mêmes et retombant en neige
Collés à ton être, s’étendent à l’infini
Plus loin encore que tes horizons cachés
En tenue de nuit ils viennent te chercher
Pas de loup, œil de chat, cri de corbeau
Oui, les voici les voilà les sorciers à sornettes
Gris dedans, froids dehors, menant barque en son chemin
En secret, au creux de ton oreille, au cœur de ton esprit
Les voici, laisse-les
Ils ne sont qu’illusions
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Epiderme
Mon corps me colle à la peau
Se répand en miettes dès qu’il tombe
Se relève lourdement, me rentre dans les os
S’accroche à moi dès le réveil, me suit partout
Plus vite encore que mon ombre
Indécollable il se tord, se casse, remue
Plus lent qu’un pas en avant dans les sables mouvants
S’endormant parfois au détour d’une décennie
Dépasse rarement le siècle
Croule sous le poids de quelques maigres années
Une carcasse sans nom
Qui se décompose
Encore plus vite que ma prose
Pour ça oui c’est un rapide
Mon corps me pèse et encaisse sans cesse
Esclave de la pesanteur
Cloué au sol telle planche de bois
Enraciné comme une plante à peine carnivore
Il s’attache, il s’accroche
Mon esprit et lui bataillent
Ah, vraiment
Il n’y a pas plus pot de colle qu’un corps
Pas viande plus coriace
Trempé de gouttes de pluie, il résiste
Abîmé, il se répare
J’y enfonce mes dents, le surchauffe, le gèle, le frappe
Et il est toujours là
Moi mort, il me survivra
Et je tiendrai ma revanche
Mon âme s’installera, et avec régal
L’observera redevenir poussière
L’observera s’en retourner à la terre

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