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— Elle bosse Edna ?

Olga baissa les yeux sur cette main et le garçon la retira aussitôt.

— Pardon, bredouilla Edwin en se mordant la lèvre.

Olga donna un coup pour défroisser son tablier et s’éloigna, sans un regard.

Olga, c’était une mégère mais aussi la taulière. Elle jurait comme un homme et cognait plus fort encore. Edwin l’avait vu corriger des types qui faisaient deux fois sa taille et personne ne mouftait quand Olga râlait ; et elle râlait souvent, une vraie maladie. Olga tenait du nain par la taille mais aussi par les poils qui lui couraient sur la face, les bras et le dos des mains, débordaient même de son épais menton et son cou. Edwin ne connaissait pas de nains, mais la mère d’Olga avait dû en fréquenter pas mal.

Edwin détestait Olga. Il la tenait pour plus mauvaise encore que le patron, un sale type du nom d’Olivier – « Vivi » pour les habitués. Ces deux-là avaient le monopole sur le commerce le plus lucratif de Trouperdu ; on ne pouvait éviter l’établissement à moins de camper son champ et de baiser ses chèvres. Il faut dire qu’il n’y avait rien de mieux, ici, que cette foutue auberge. Rien de mieux à faire que de se saouler.

— OH MERDE J’CROIS BEN QUE J’VAIS GERBER !

La voix d’Olga s’éleva, puissante, depuis la cuisine :

— ET T’Y AS BEN INTÉRÊT À L’FAIRE DEHORS !

Au Rêve de Trouperdu se plantait là depuis la nuit des temps et l’aubergiste remontait sa création avant celle du village qui l’entourait ; ce que nul n’aurait pu contredire, ne se souvenant pas plus de l’un que de l’autre. Pour tous, l’auberge était là et elle serait toujours là, aussi sûrement que le borgne ne voyait jamais que sa chopine à moitié pleine. Le bourgmestre Célestin l’avait déclarée « établissement de prestige de Trouperdu », et ce grand bâtiment faisait office d’hôtel de ville. On y traitait des banalités de l’existence comme on y concluait les plus éminentes affaires : en se bourrant la gueule. La légende racontait même qu’une certaine année, un certain prince y avait troussé une certaine gueuse qui elle-même avait donné naissance à un certain Elu qui avait occis un certain dragon qui terrorisait un certain royaume. La source s’était perdue depuis et il était toujours question, à propos de l’affaire, de la sœur de l’amie d’une connaissance d’un parent plus ou moins proche qui tenait l’information pour vraie. La majorité des habitants de Trouperdu partageant leur généalogie, démêler les fils aurait été trop difficile pour que quiconque s’y risque et on tenait cette fable pour historiquement fondée.

Edwin se gratta l’œil ; non, ce n’était pas une poussière mais bien la torche qui crépitait à côté et sa vilaine fumée noire. Il observa la flamme suante ; sur l’autre flanc du pilier de soutènement, la figure d’une chose semblable à un gros sanglier observait Edwin de ses yeux vitreux. La bête devait mesurer au moins deux mètres avant qu’on la cloue ici, sa face comme un vulgaire trophée pour amuser les hommes qu’elle avait effrayés autrefois. Edwin la trouvait l’air admirable, presque royale même ses défenses brisées ; défenses qui devaient être immenses ! On l’avait figée d’un sourire carnassier qu’imprimait encore ses babines moqueuses et c’était comme si elle raillait tous ceux qui se tenaient là, prosternés sous son souvenir. Olivier, le tenancier, jurait l’avoir tuée lui-même mais Bernard affirmait qu’il n’en était rien ; la créature avait disparu bien avant et Olivier ne savait guère chasser que la gueuse.

On s’en racontait des belles, à propos des créatures qui hantaient les abords de Trouperdu. On causait de buveurs de sang et de monstres difformes mangeurs d’âmes qui auraient existés à l’aube du monde. On craignait la Vieille Forêt pire qu’une putain malade et l’on disait que ses choses y étaient attachées comme le fermier au tété d’une cousine.

À la vérité, l’excuse était trop bonne pour se risquer loin de l’auberge. De l’avis d’Edwin, les habitants de Trouperdu n’étaient rien que des trouillards.

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