Chapitre 8. Héphaïstos

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La journée d’Héphaïstos était aussi identique que celle de la veille, de l’avant-veille et de l’avant-avant-veille, et ce, depuis des siècles. À la seule différence que, depuis quelques jours, Héphaïstos était content. Il n’en connaissait pas la raison. Simplement, il était content. Ses jambes le faisaient un peu moins souffrir. Ce matin, il avait pris un bon petit déjeuner. Ses cyclopes faisaient du bon boulot. Une odeur de jasmin se baladait dans les couloirs du volcan. Tout allait à merveille.

Aujourd'hui, le trône de Zeus avançait bien. En continuant à ce rythme, le roi des dieux pourrait poser son royal fessier dessus d'ici au début de l’automne.

Il essuya son front d’un revers de la main et fit un pas en arrière pour contempler le siège d’or et d’éther. Pas mal du tout. Mais bon comme d’habitude. Héphaïstos faisait toujours du bon travail. Et puis cette fois le travail était moins ardu que pour celui d’Héra. Disons que ce trône-ci n’avait pas pour objectif de faire de son propriétaire une statue en or.

Zeus avait été formel, pas de magouille, pas de coup tordu cette fois. Héphaïstos secoua la tête en repensant aux paroles de son père. Pas la peine. Il avait déjà eu ce qu’il voulait. La reconnaissance. Et voir la tête paniquée de sa mère était sa petite vengeance personnelle. Si seulement il avait pu créer une machine qui permettait de mettre cet instant sur une feuille de parchemin, il l’aurait placardé dans son atelier pour rire tous les jours.

Il se remit au travail en sifflotant. Il y a trois jours de cela, les cyclopes s’étaient étonnés d’entendre leur chef siffler. Ce n’était pas dans ses habitudes. Déjà que parler était un exploit pour lui. Mais à présent, ils s’y étaient faits et appréciaient de le suivre en meumeumant gaiement. Oui, les cyclopes ne savent pas siffler.

Une journée donc, somme toute ordinaire. Jusqu’à ce que la porte de la forge s’ouvre sur Aphrodite. Les cyclopes les plus proches se retournèrent intrigués. Mais la forge était si bruyante, entre la lave se déversant dans les bassins, les coups de marteau et de masse, les différentes machines et presses en action, que la plupart gardaient le nez sur leur travail.

Un cyclope, l'œil exorbité, se précipita vers le centre de l’atelier, là où se tenait Héphaïstos. Ce dernier leur tournait le dos, concentré sur le trône. Manquant de tomber à cause de tous les débris de fer et de métal qui jonchaient le sol, le cyclope termina sa course en se cognant contre son patron.

  • Bah alors, Myron, on marche plus droit ? plaisanta Héphaïstos, en découvrant qui lui était rentré dedans.

Myron ne répondit pas et, à la place, pointa du doigt l'entrée de la forge. Aphrodite avait déjà descendu quelques marches et se dirigeait vers lui. Le visage de la déesse était fermé et son regard sévère. Héphaïstos n’arriva pas à comprendre cette expression, mais pour une raison inconnue, son estomac se serra. Pas comme les dernières fois qu’il l’avait vu. Avant, c'était une sensation déroutante, mais agréable, avec le cœur qui s’accélère, les mains qui deviennent moites et les jambes qui flageolent. Enfin, plus que d’habitude. Non, là, il avait mal au ventre. Des sueurs froides coulaient le long de sa colonne vertébrale et ses jambes étaient paralysées.

  • A-Aphrodite ? Qu’est-ce que tu fais là ? demanda-t-il, la bouche soudainement pâteuse.

Pour fixer un des ornements de l'accoudoir du trône, il avait dû poser un genou à terre. Le problème, c’est qu’il lui fallait plusieurs secondes pour déverrouiller le mécanisme de sa jambe et pouvoir se relever. Secondes qu’Aphrodite n’avait pas. Elle se tenait déjà devant lui, les poings sur ses hanches, le surplombant de toute sa hauteur.

Normalement, c’est dans cette position qu’il aurait dû la demander en mariage.

  • Je cherche la sortie Héphaïstos. Où l’as-tu mise ? Trois jours que je la cherche !
  • Qu-Quoi ?
  • Oh non, ne fais pas l'innocent. On a beau être marié, je ne suis pas ta prisonnière ! J’avais retenu le chemin de la sortie lors du dernier solstice d’été. Et quand j’y suis retourné, plus de portes !

Ses cheveux blancs tombaient d’un côté de sa tête comme une cascade, prenant les teintes rouges et oranges de la lave. Il retrouvait ce parfum de jasmin qui lui trottait dans la tête depuis plusieurs jours.

Héphaïstos en conclut qu’elle n’était pas assez en colère pour que les ronces fassent leur apparition. Dommage.

Toujours agenouillé, il tenta de trouver de l’aide parmi ses employés, mais les cyclopes restaient immobiles. Étrange, ils fuyaient son regard. Avec le temps, Héphaïstos avait appris qu’ils réagissaient ainsi quand ils étaient gênés ou qu’ils avaient fait une bêtise.

  • Myron, tu m’expliques ? ordonna Héphaïstos au cyclope le plus proche.
  • La sortie ? Quelle sortie ? Myron connait pas de sortie… tenta le cyclope d’une voix timide et rocailleuse.

Il venait de virer du gris gravier au blanc galet.

Les bras croisés, le doigt tapant nerveusement sur sa peau, le sourcil relevé, Aphrodite montrait à merveille son agacement. Si bien, que le pauvre Myron alla se cacher derrière Kostas.

D’une main, Héphaïstos bidouillait les rouages et écrous de sa prothèse. Il souffla d’énervement. Lui qui passait une si bonne journée quelques minutes encore. Et ce fichu mécanisme qui s’était encore bloqué ! Le feu coulant dans ses veines bouillonnait. De ses avants bras noirs de suie, des filets rougeoyants remontaient par ses cicatrices jusqu’à ses épaules. Il pouvait fabriquer des taureaux en bronze géants ou des chaussures ailées, mais n'était même pas capable de se faire une prothèse qui ne s'enrayait pas.

  • Bon les gars, où est cette satanée sortie ?! gronda-t-il.

Un brouhaha s'éleva parmi les cyclopes. Chacun y allait de son argument.

  • PAS TOUS À LA FOIS !

Un cyclope à la dentition anormalement parfaite fut désigné par ses collègues comme porte-parole.

  • On l’a changé de place, avoua-t-il penaud, avant de reprendre à toute vitesse. Oui, mais c’est parce qu’on veut pas que la patronne parte ! Depuis qu’elle est là, le patron, il nous crie moins dessus.
  • Et on peut chanter ! ajouta un autre plus loin.
  • Ouais ! s'exclamèrent-ils, en cœur.

À présent, ils la fixaient tous pour voir sa réaction. Réaction qui ne se fit pas attendre. D’abord surprise, elle recula d’un pas, les yeux écarquillés. Héphaïstos contemplait le moindre de ses mouvements. Aucun automate, pas même le plus sophistiqué, ne pouvait posséder le quart de la grâce d’Aphrodite. Même entourée de soufre, de lave et de cyclopes, elle resplendissait.

Finalement, elle se mit à rire. Et contre toute attente, tendit une main vers Héphaïstos. Par réflexe, ce dernier fit un mouvement de recul. Alors, doucement, elle lui prit le bras et l’aida à se relever.

  • Alors comme ça, tu es un meilleur patron depuis que je suis là ?

Face à l’air amusé d’Aphrodite, le pauvre Héphaïstos n’en menait pas large. Elle soufflait vraiment le chaud et le froid cette déesse. Il secoua sa tête pour retrouver ses esprits et l’usage de la parole.

  • J’aurais pas dit non pour un peu d’aide avant, marmonna-t-il dans sa barbe. Comment as-tu trouvé l’atelier ?

Il essayait de garder son calme, mais c’était difficile avec le tambourinement de son cœur dans sa cage thoracique et les mains fraîches de sa femme sur son corps brûlant.

  • Je sais, mais j’aime bien te voir à mes pieds, révéla-t-elle en plantant son regard dans le sien.

Ceci eut pour effet immédiat d'embraser tout le corps d’Héphaïstos. Ce n’étaient plus seulement les cicatrices de ses bras qui s'irradiaient, mais aussi celle de son torse, son cou, sa tête jusqu’à celles de ses oreilles. Dans une tentative de masquer sa honte, il se cacha le visage avec les mains. La fourbe, il l’entendait glousser à côté de lui !

  • Et j’ai simplement suivi les veines du volcan, elles semblent toutes conduire ici, continua Aphrodite, comme si de rien n’était.
  • Dame Aphrodite, coupa le cyclope aux dents blanches. Vous voulez voir ce que j’ai fabriqué aujourd’hui ?
  • Moi aussi, renchérit un autre.
  • Et moi ! s’écria Myron, qui avait retrouvé des couleurs.

Bénis soit les cyclopes.

Ils accompagnaient la déesse vers leurs établis. Certains lui montraient leurs armes tout juste terminées, d’autres leurs outils, d’autres les plans sur lesquels ils travaillaient. Héphaïstos pensait qu’Aphrodite allait les envoyer paître, importunée par leur demande d'attention. Elle n’en fit rien. Bien au contraire, elle les écoutait attentivement. Leur souriait lorsqu’ils lui présentaient un objet. Et discutait avec eux.

Un automate géant s'empara d’une masse à ses pieds et frappa trois fois sur le gong à ses côtés. Aphrodite sursauta et les cyclopes hurlèrent de joie.

  • Pause déj’ !

La forge se vida rapidement, ne restait plus qu’Héphaïstos et Aphrodite. Pourtant, on les entendait encore, les pas de courses des cyclopes résonnant dans les couloirs du palais.

De sa démarche gauche, Héphaïstos rejoignit Aphrodite devant un des établis. Tout en s’asseyant sur un des tabourets, il chercha entre les feuilles de parchemins, les pans de cuirs et les morceaux de métal, une poire à huile.

  • Désolé, pour eux. Ils peuvent être fatigants. Mais ils sont gentils, concéda-t-il.

Sa poire enfin trouvée, il glissa deux gouttes d’huile dans un des engrenages de sa prothèse. Il plia la jambe, mais elle faisait encore de la résistance, alors il recommença. Et au moins pendant ce temps, il ne regardait pas Aphrodite.

  • Ce n’est rien, ils sont mignons. Et puis, j’aime les gens passionnés, alors ils ne m’ont pas ennuyé.

En un claquement sec, la jambe d’Héphaïstos se débloqua.

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